14 octobre 2013

GRAILS
Doux comme une enclume

GRAILS-cover-1000Etonnant comme, en pleine chasse aux sorcières terroristes, les groupes américains les plus radicaux des dernières années peuvent donner l’impression d’avoir tourné leurs amplis vers la Mecque. Mais pas n’importe laquelle ; une Mecque de l’espace où l’on croiserait Jimmy Page époque Kashmir sans sa perruque de caniche toiletté et des adeptes de la secte Raël à qui on aurait fait bouffer toutes les images de la guerre en Irak avec des accords stoner en trame de fond.
Le synopsis de cette croisade d’un nouveau genre, on peut le lire en filigrane dans la discographie de Grails, groupe découvert voilà quelques années grâce au fantastique premier album d’Ash Black Bufflo – membre non permanent de Grails – qui revisitait les grands espaces américains avec une fanfare de cowboys échappés d’un film de Sergio Leone. Le cas Grails est quant à lui plus épineux. Formé à Portland en 2000, le groupe a produit une série de disques aux noms plus alambiqués les uns que les autres – « Black Tar Prophecies Vols. 1, 2 and 3 », « Take Refuge in Clean Living », « Burning Off Impurities » – qui tous donneraient envie à l’américain moyen d’appeler le 911. Né de l’angoisse collective du barbu ceinturé d’explosif qui viendrait vous vendre des calendriers fourrés à la dynamite, Grails est donc un tank Panzer moulinant ses accords à la vitesse d’un paresseux grippé. On est en terre drone, pas de doute.

La sortie voilà quelques jours de « Black Tar Prophecies Vol’s 4, 5 & 6 » n’arrange évidemment rien à l’affaire. Suffit pour s’en convaincre d’écouter Self-Hypnosis ; Grails ne fait pas dans la joie de vivre, pas plus qu’il ne risque d’être choisi par les publicitaires du onzième étage pour illustrer une pub Apple. Démence, fureur, petites parenthèses jouées à la guitare médiévale, longs riffs sur une seule note pour appuyer la frayeur du grand soir, structures aux formes de labyrinthe pour paumer l’auditeur, apocalypse now sur ton jean de marque, défenestration de 50 % des auditeurs et parfum du déclin de l’empire romain dans toutes les tranchées de ce disque pas vraiment conseillés aux pieds plats.

En ces temps de tiédeur, il faut un certain courage – si ce n’est un peu de candeur – pour oser tant de rupture avec les modèles en place. La pochette de « Black Tar Prophecies Vol’s 4, 5 & 6 » est anxiogène, la musique l’est encore plus et le fait que ce disque ne soit actuellement disponible qu’en import est un gage de qualité – au moins échappera-t-on au supplice du vendeur à catogan de la Fnac ; ce disque c’est un peu le terrorisme du pauvre et son achat en VPC une espèce d’acte militant pour résister au préchi prêcha des pasteurs du cool. On pense au « Advaitic Songs «  de OM, à Earth dans ses envolées celtico-mystiques, voire à Matmos pour le bon-mauvais gout qui se dégage de certaines des pistes où le piano fait son entrée inattendue, tel le Elmer de Bugs Bunny surgissant d’un bunker au Pakistan. Très franchement, on se fout de savoir ce que racontent ces prophéties ; la musique de Grails suffira à foutre les chocottes à votre voisine de palier ou à vous faire interner pour fanatisme.

Grails // Black Tar Prophecies Vol’s 4, 5 & 6 // Kemado Records

Bester

PDG, avocat et assistant social à Gonzaï.

9 Comments Laisser un commentaire

  1. Le truc dans ma bal aujourd’hui. Pense que la NSA a pointé un satellite sur ma copro où les vieux font parfois un peu peur, c’est vrai.
    Alors merci Bester d’avoir mis en lumière ce groupe, et des mots bien trouvés pour dire qu’effectivement tout ceci est magnifique et improbable.
    Moi j’y entends/vois aussi parfois du John Carpenter à son meilleur. Des Mogwai redevenus beaux. Ou du Ryuichi Sakamoto habité par le démon (ce piano, bordel !). Et curieusement, ces morceaux alter-prog (ça pourrait être horrible ça, mais non) me calment plus qu’ils ne m’inquiètent.

  2. Réécouté le disque aujourd’hui, toujours aussi puissant. Bien vu pour Mogwai, j’ai tellement peur de citer ce groupe qu’inconsciemment je l’avais omis.

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