Après avoir réussi à nous écoeurer du rêve américain en moins de temps qu'il ne faut à Madonna pour doper sa pop culture au Botox, l'oncle Sam revient avec au fond de son sac un ballon d'hélium, l'une de ces petites poches d'air qui font encore croire qu'un monde meilleur est encore possible. Des sosies de Terry Riley y chanteraient des messes en onomatopées, McDonalds vendrait des Steve Jobs Burger et le bruit des klaxons ressemblerait à s'y méprendre à une B.O. de Sophia Coppola. En attendant les dits miracles, le premier disque de Ash Black Bufflo permettra aux sourds de voir l'avenir et aux aveugles d'entendre cette Amérique qui n'existe plus.

Andasol, tel est son nom. Perdu dans les limbes de l’internet, et qui plus est gratuit, une délivrance accessible à chacun par le biais d’un seul clic. La vie est bien faite. « Ce disque a été enregistré sans aucune guitare électrique, c’est le bruit des gouttes d’eau qui clapotent sur ton crâne vide », cette mention devrait suffire à éloigner les plus barbus et les primates à Perfecto ; c’est même pas dit. Mélange de maximalisme et de vide astral, le premier disque d’Ash Black Bufflo déjoue les lois de la gravité, comme si Pierre Henry avait croisé sur son chemin Neil Armstrong et que les deux avaient décidé d’embarquer sur un thérémine à combustion nucléaire, destination la périphérie de Pluton, en orbite autour d’une partition. Le décor est planté. Comme un drapeau américain sur la lune, oui oui.

Andasol, premier album d’un compositeur de Portland à qui il aura fallu cinq ans de travail, de coupes et de sacrifices pour parvenir à cette pierre angulaire de musique contemporaine. Musique cinématique, parce qu’instrumentale, où les cowboys de l’Ouest croisent des danseuses de flamenco, où la superposition des instruments répétés à l’infini donne à l’ensemble une chair humaine, chaude et imprévisible. Un opéra des temps nouveaux, mené à la baguette par un druide complètement stoned. Esprit de Moondog, es-tu là ? A toi les sirènes rugissantes du New York aux heures de pointe, à moi le bruit du vent dans les plaines, les flûtes du désert aride et le far-west instrumental relooké mode Art Nouveau. Ash Black Bufflo, c’est le Koudlam de l’Oncle Sam, la maîtrise des instruments en plus.

Andasol, parce Misery is the Pilgrim’s pasture. Une chanson de 4 minutes et 52 secondes, qui surpasse de loin tout ce qu’on a pu entendre de zigouigouis instrumentaux composés par des fils du Connecticut ayant reçu l’intégrale de Philip Glass pour leur majorité. Une ode à la vie sous toutes ses forme, un déroulement mélodique digne du Brill Building mais sans les paroles pour souligner les effets de style, un boulet de canon où flûtes et piano s’entrechoquent jusqu’à l’explosion, un flash instantané des cinquante dernières années de culture américain vues à travers le prisme émotionnel, un prolongement heureux du In C de Terry Riley, avec des anges qui font des claquettes par intermittence. Bande-son parfaite d’un film qui, heureusement, n’existe pas.

Andasol, parce que plein d’autres titres du même niveau. Du Tulsa Slut qui fait penser à du Boards of Canada shooté à l’Air Wick, du Darkturnofmind avec sa lente marche funèbre qui aurait pu permettre à Bukowski d’en finir avec les symphonies de Gustav Malher, Buho et sa contrebasse ancrée dans une réserve d’indiens, le regard fier et les harpes en oripeaux. C’est… comment dire ?.. hypnotisant de beauté.

« Andasol », la traduction espagnole de « a walk in the sun ». Marcher dans la lumière, on ne saurait mieux dire. Collaborateur éphémère au sein de groupes tels que Holy Sons ou Grails, Ash Black Bufflo plante ici ses 51 étoiles, bien profond dans le sol. Quelque part au croisement entre DM Stith, Sam Amidon et le bruit des bols tibétains, un tournesol mélodique orienté vers la lumière, l’émotion. La beauté du vrai. La précision d’une enluminure, la nervure d’une feuille morte à l’automne, la vingt-cinquième heure d’une journée parfaite. Un disque de peintre, à regarder droit dans les yeux.

http://ashblackbufflo.bandcamp.com/album/andasol

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