En 2002, spectatrice, j'eus comme un orgasme scopique. Le responsable ? Un certain Gaspar Noé et son Irréversible. Huit ans plus tard, avec la sortie d'Enter the void,

En 2002, spectatrice, j’eus comme un orgasme scopique. Le responsable ? Un certain Gaspar Noé et son Irréversible. Huit ans plus tard, avec la sortie d’Enter the void, la perspective d’une rencontre avec le réalisateur coupable de cette décharge d’adrénaline fait tressauter mon corps survolté. Ultime sursautement avant l’interview.

Que se racontent un cinéphile averti et une cinéphage admirative autour d’un verre d’eau? Réponses en tous genres, influences, souvenirs, philosophie…. Des réponses dans tous les sens, voire plus si affinités.

Il semblerait que vous revendiquiez votre scoptophilie. Quels sont les films qui ont émoustillé votre rétine de spectateur?

Le premier dont je me souviens, ce fut Jason et les Argonautes, vu à l’âge de quatre ans à la télé. Les squelettes qui se battaient, ça m’avait impressionné. Le 2e ce fut 2001, l’odyssée de l’espace au cinéma avec mes parents. Je devais avoir 7 ans et j’étais resté scotché. Puis les James bond, j’aimais bien les filles en bikini. Quand je suis arrivé en France, le plus gros choc ce fut Eraserhead de Lynch. Et aussi un film qui n’était sorti qu’en VHS, Schizophrenia. Et puis enfin les films expérimentaux de Jordan Belson et Kenneth Anger.

Le dispositif narratif en voix off de Seul contre tous (et Carne) rappelle d’ailleurs celui de Schizophrenia.

Il y a deux films en voix off ininterrompue, c’est Schizophrenia et L’homme qui dort de Perec, que je n’ai vu qu’une fois mais qui m’avait beaucoup plu. L’utilisation dans Seul contre tous est à cheval sur ces deux films.

Etes-vous un scoptophile onaniste ?

J’étais onaniste ado, je me branlais en regardant des pornos ou des catalogues, c’était comme être toxicomane. Et puis à un moment, tu te dis que partager avec les autres c’est peut-être pas mal aussi, le plaisir de voir l’impact que tu peux produire. Si les gens se lèvent, crient, ça veut dire que le film existe. Je me dis que si les gens n’aiment pas mes films, c’est qu’ils sont de mauvais éléments. Les gens qui se cassent, c’est pas grave, finalement tu ne gardes que les plus forts. C’est la sélection naturelle.

Carne, Seul contre tous et Irréversible constituent de façon hétérogène un film à part entière (prologue, corps et épilogue). Pourquoi cette construction filmique ?

Au départ, Carne ne devait être qu’un moyen métrage. On m’a poussé à faire une version longue. Du coup, j’ai rajouté 40 minutes pour en faire un long. Si j’avais pu les faire à la suite, les raccrocher comme Bouchitey a fait pour Lune Froide…mais il y avait trop d’écart de temps. Pour Irréversible, j’avais vraiment envie de Philippe (Nahon), dans le film. Donc la dernière séquence qu’on a tournée, le début du film, est devenue une séquence où on explique ce qui s’est passé à la fin de Seul contre tous. Et puis je lui avais dit qu’il aurait le plus gros plan du film ! J’aurais bien aimé le mettre dans Enter the void, mais là c’était compliqué.

La pornographie est omniprésente dans votre filmographie (Sodomites par exemple où on aperçoit encore Philippe Nahon). Peut-on vous considérer comme un cinéaste de la chair, comme Cronenberg par exemple?

Pour Sodomites, j’avais proposé à Philippe de passer sur le tournage. Il y avait une vieille assise à côté de lui qui faisait du porno gérontophile et qui croyait que c’était un figurant: Du coup, elle lui a proposé un rôle dans un porno ! Sinon, Cronenberg reste plus fasciné par les anomalies de la chair, mais on voit qu’il est profondément athée comme moi. D’ailleurs, je sors le calibre si on me dit encore une fois qu’Enter the void est spirituel !

Comment s’est fait le choix de Tokyo pour Enter the Void ?

Parce que c’est une ville fascinante, pleine de néons, avec une imagerie psychédélique. Quand on voit les dessins des indigènes du Mexique qui prennent du peyotl, on dirait que tout est en néons. Ca rappelle un certain type de voyages hallucinatoires. Tokyo, c’est un flipper géant, dans lequel les deux petites billes américaines sont ballotées sans trop comprendre ce qui leur arrive.

Votre cinéma est esthétisant, plastique. Votre père (peintre) a -t-il eu une influence sur votre travail ?

Les toiles que peint Alex dans le film sont de mon père. Si le film est très coloré, c’est parce qu’avec mon père il y avait des tableaux ultra colorés partout à la maison. Et puis, il aimait bien sortir du cadre du tableau, utiliser les châssis, une volonté d’exploser le cadre qui peut-être se ressent au niveau narratif dans mes deux derniers films.

Et la peinture, vous y avez pensé?

Non. Quitte à faire un truc, j’aurais préféré la peinture, mais je ne veux pas être en concurrence avec mon père. Et le cinéma m’amuse beaucoup. J’ai basculé dans une cinéphilie féroce assez jeune et j’aime fabriquer cette drogue qu’on appelle le cinéma.

Et la littérature, c’est une inspiration ?

Je n’ai jamais été un très grand lecteur de romans. Maintenant encore moins. Des essais essentiellement. Mais je me sens plus rempli par des films. Entre un essai et un documentaire sur le même sujet, je préfère l’image. Ma mémoire est visuelle. Ce qui n’a pas été converti en images dans mon cerveau disparait.

Dans le générique de Seul contre tous, il y a une longue liste de remerciement à divers réalisateurs. Choix arbitraire de ma part, Dario Argento, Alex De la Iglesia et Jacques Audiard. En quoi ces réalisateurs vous ont-ils influencé ?

Ce sont tous des realisateurs qui avaient vu Carne et qui m’avaient dit « faut que tu fasses une version longue ». Chaque fois que j’en croisais un, il me demandait où j’en étais. Ce sont des gens que j’estime beaucoup, Dario Argento plus que beaucoup. Quand j’ai fait Carne, j’avais l’impression d’être tout seul dans ma cave, mais le succès du court métrage et les encouragements des autres réalisateurs, tout ça m’a poussé. Il y a des journalistes et des magazines qui comptent mais l’avis des réalisateurs que j’admire compte encore plus. Celui que je n’ai jamais vraiment rencontré, je l’ai juste croisé dans un ascenseur, c’est Lars Von Trier. J’aimerais bien le voir, lui parler.

Vous sentez-vous proche du travail d’expérimentation d’un Grandrieux dans Sombre, qui mêle sexe et violence dans une mise en scène animale et instinctive ?

J’aime beaucoup. La force de Grandrieux, c’est sa radicalité. C’est un grand « filmeur », il fait des images qu’on ne voit pas chez les autres. Dans Sombre, il y avait des partis-pris que je n’avais jamais vus avant, qui en font un film très mental. Les séquences floues de Sombre m’ont peut-être poussé à faire du flou aussi. Les images floues sont plus belles que les images nettes. Pour Enter the void, je pensais que l’image allait encore plus ressembler à du super huit mais finalement comme les trucages étaient complexes, ça aurait été dévalorisant pour l’équipe de tout flouter après. On a fait un compromis : on floute mais sans excès !

Le travail sonore, bruitiste remplace souvent la musique (hors la présence de morceaux classiques). Pourquoi ce choix ?

La référence pour Enter the void, c’était Eraserhead dont tu te rappelles autant les images que l’ambiance sonore. Pour le classique c’est juste que ca fonctionne émotionnellement. Et puis si tu veux du Velvet Underground, ça coûte trop cher. Entre 90 minutes de Beethoven et 30 secondes du Velvet, tu fais ton compte.

Vous avez déclaré : «  Si je veux faire passer un message, je vais à la poste ». Quel but cherchez-vous à atteindre avec vos films ?

C’est Xavier Giannoli, lors d’un festival à Buenos Aires, qui avait répondu à un journaliste, en citant Hitchcock et son histoire de poste. Mon but, c’est le manège. Tu fabriques un manège, un train fantôme, c’est l’amusement qui compte. Mes films, ce sont des montagnes russes pour adultes.

Vos films sont bourrés d’aphorismes. Est-ce une réminiscence de vos études philosophiques ?

« Travailler, c’est pour les esclaves ». « Il ne faut jamais faire pour de l’argent ce qu’on ne ferait pas gratuitement ». Ce sont des phrases de Buñuel. Plus jeune, j’avais un cahier où je notais tous ces aphorismes. Certains ont fait leur chemin jusqu’à l’écran. Pour la philo, j’allais surtout aux cours sur le temps et sur Nietzsche, les deux qui me passionnaient le plus.

Le temps détruit tout ?

Tempus edax rerum ! J’ai pensé le prendre comme titre mais Irréversible; ça fonctionnait mieux. Et puis c’était un peu plus international.

Dans Seul contre tous, un panneau annonce « la mort n’ouvre aucune porte ». Encore une citation de votre cahier ? N’est-ce pas contradictoire avec le propos même d’Enter the Void ?

Ca vient de La solitude des mourants de Norbert Elias. Parfois il y a une phrase qui accroche, tu la soulignes et voilà. La mort dans Enter the void, c’est ce que voit le personnage, c’est dans sa tête. C’est son trip. Vers la fin, on comprend qu’il ne voyage pas au-dessus de Tokyo mais de sa maquette, il monte dans un avion et se voit enfant avec ses parents. Il devient totalement dysfonctionnel.

La provocation est-elle un moteur créatif pour vous ?

Quand j’étais gamin j’adorais Hara-kiri. Je ne sais pas si c’est de la provoc’, mais il y a une forme d’humour noir, cradingue, qui me fait rigoler. Tu retrouves ce type d’humour chez Buñuel quand il fait Un Chien andalou ou Los Olvidados. Il s’agit juste de faire toi-même ce que tu aimes voir chez les autres. On me dit parfois que je suis puéril. Je suis à mi-chemin de la volonté technique d’un Kubrick et d’un professeur Choron !

Qui dit Choron, dit cul. A quand un film porno mis en scène par Gaspar Noé ?

Pour l’instant j’ai besoin de vacances. Enter the void c’est quatre ans, avec des tensions à toutes les phases. Il faut se ressourcer entre deux films. Celui-là, c’était un rendez vous avec moi-même. Si je n’avais pas pu faire ce film, je l’aurais vécu comme un échec personnel. Quant à réaliser un film érotique, oui. Et puis un documentaire aussi. Au moins tu vas n’importe où avec la camera, tu n’as pas ce côté organisation, planification avec les assistants.

Vos personnages ont de plus en plus une identité soluble qui rend difficile voire impossible toute identification du spectateur (sublimation du protagoniste comme une boule de naphtaline dans Enter the void).C’est un choix?

Ce sont les films qui s’y prêtent. Peut-être la prochaine fois je vais filmer en gros plan un visage. Mais je ne suis pas fasciné par filmer la bouche quand une personne parle. Dans un vieux numéro, Libé avait demandé à des réalisateurs : « Pourquoi filmez-vous ? ». Luc Moullet avait répondu, pour faire des voyages, rencontrer des filles et gagner beaucoup d’argent. Lynch pour pénétrer des univers qu’il ne pourrait pas découvrir autrement…

Et vous, pourquoi filmez-vous ?

Je ne sais pas. Pour pouvoir monter moi-même dans le manège idéal.

Photo: Jean Picon
« Enter the Void », en salle depuis le 5 mai.

 

 

22 commentaires

  1. ce qui est triste (aussi bien pour la journaliste que pour le cinéaste) c’est de confondre à ce point jeunisme attardé et lumières de la modernité.
    La pornographie c’est du travail artistique sur la chair maintenant ! digne de se faire comparer avec Cronenberg ! qu’est ce qu’il ne faut pas lire comme betises…M’enfin venant de celle qui met ce navet qu’est la Horde devant le subtil Benjamin Button, plus rien ne m’étonne…

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