Comme l’année dernière, Gonzaï s’est rendu en cet fin d’été à Torremolinos au festival Canela Party. Au menu : Crack Cloud, Curtis Harding, Metz, The Lemon Twigs, Protomartyr, Big Thief, Model/Actriz, Militarie Gun, Home Front, Superchunk, Fin Del Mundo, Finale… Soit une quarantaine de groupes plus énervés les uns que les autres. Alors, c’était bien ?
Torremolinos, c’est un peu comme l’oncle que tout le monde connaît, mais qu’on évite d’évoquer. Située sur la Costa del Sol (150 kms de littoral, 325 jours d’ensoleillement par an), cette ville de 70 000 habitants autrefois paisible a fini par devenir au fil des décennies le symbole du tourisme de masse en Espagne. Pour faire simple, disons qu’on y trouve tout ce que les brochures des années 70 vantaient comme le summum du glamour : immeubles en béton, plages bondées, vie nocturne à base de cocktails fluo. Bref, exactement ce qu’on aime chez Gonzaï (NDLR : Gonzaï est un média français qui avait tenté il y a quelques années de monter un festival de synthwave à La Grande Motte, pendant français de Torremolinos, mais en plus petit).
Ne vous méprenez pas. Derrière ses façades quelque peu défraîchies, Torremolinos cache un charme insoupçonné. On parle d’une ville balnéaire où l’on peut encore croiser des retraités britanniques au teint cuivré, affalés sur des chaises longues, tandis que des familles déambulent sur la playa en mangeant des churros dégoulinants de chocolat. Dans ce décor kitsch empreint de nostalgie consumériste se déroule chaque année le Canela Party, festival lui aussi sorti d’une autre époque.
A quelques pas des palmiers, des parasols et d’un mini-golf « 18 trous » en herbe synthétique où je ferais un score pas vraiment historique de 66, les festivaliers débarquent avec une envie irrépressible de faire la fête. Cette ville aux airs de fossile touristique devient alors le théâtre d’un événement déjanté, où la musique alternative et l’absurde se marient dans une ambiance aussi délirante qu’inattendue. Au menu cette année : du rock, du post-punk, du flamenco métal contemporain, un peu de pop, de la synthwave, des déguisements, des confettis, des dj-sets pour s’ambiancer, un stand merchandising qui ne désemplit pas, de la plage, un petit dej à l’hôtel où tu croises tous les groupes devant un bol de céréales, quelques stands de bouffe pas toujours bio sur le site du festival, et des sourires. Beaucoup. Tout le temps. Un peu comme aux JO. Mais sans sport.
Quatre Jours de déguisements, de débauche et de décibels.
Canela Party ou l’asile à ciel ouvert. Tu viens déguisé en T-Rex et tu repars avec une gueule de bois. Entre les deux, tu te fais chaque jour exploser les tympans par une dizaine de groupes dont le seul objectif semble de te mettre minable. Ce périple de fin d’année méritait bien un petit live report non exhaustif (celles et ceux qui veulent connaître la programmation intégrale du festival cliqueront ici et s’inscriront à la newsletter s’il y en a une pour ne rien rater de la programmation 2025). Histoire de vous donner qui sait envie et curiosité d’y aller.
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J1 : Comme une soirée de fin d’année au lycée, mais avec plus de bière
21 août. Torremolinos au top de sa routine. Plages bondées, cris d’enfants, bronzette obligatoire, vieillards paisiblement assis sur un banc, chaleur étouffante. En fin de journée, le décor change du tout au tout. Première soirée du Canela. Une première journée essentiellement consacrée à la vivifiante scène espagnole. On arrive sur les dernières notes de La Culpa. On ne saura donc jamais si le set du groupe méritait de quitter la clim’ de la chambre d’hôtel un peu plus tôt. Pas le temps de trop réfléchir de toute façon, Monteperdido arrive pour tout casser avec un punk rock sauvage. Energique mais un chouia scolaire. Adiós Amores, dont les mélodies douces-amères et la vibe nostalgique me font me demander si ce n’était pas mieux avant, quand on n’avait que trois chaînes de télé et pas de réseaux sociaux, prennent ensuite d’assaut la scène « Fistro » d’un festival qui n’en comporte que deux.
Foutre le bordel, tel sera comme chaque année le crédo du Canela. Les vainqueurs de la soirée ? Les chicagoans de Deeper, signés chez Sub Pop. Leur palette est vaste. Entre indie et post-punk. « Art-poppeux »? « Arcade Fire-iens » ? « Curistes « ? Je ne sais pas mais chaque morceau fait mouche, part tranquillement et monte crescendo jusqu’à terrasser le public (en tout cas, moi). Les fans de Ian McCulloch et Robert Smith devraient aimer, ceux qui ne jurent que par Cardi B un peu moins. Les voilà suivis de Los Punsetes qui balancent un punk-pop caustique avec une nonchalance désarmante. Ils te parlent de la vie de merde mais ça te donne envie de danser. Paradoxe ? Pas plus que le fait de prendre le métro chaque matin pour gagner ta croûte.
J2 : Comment survivre au grand écart musical ?
22 août. L’équipe de Gonzaï, accompagnée de confrères de Mowno (on vous fera payer la pub gratos, messieurs), est toujours vivante. C’est la bonne nouvelle du jour. Certains festivaliers se réveillent probablement avec une petite gueule de bois, mais on sait déjà qu’ils seront à nouveau là ce soir pour en découdre avec une prog qui promet : Big Thief, Bar Italia, Curtis Harding, Slift, Standstill, Ghostwoman… On débarque sur le site au moment où les 4 filles de Fin Del Mundo enflamment une scène pourtant face au soleil couchant sous 30 degrés minimum. Ici, il fait chaud. Toujours. Et poisseux. Souvent. Leur musique est très proche de celle d’Explosions in the sky, avec une énergie plus positive. Parfait pour débuter la soirée.
Après des Ghostwoman toujours efficaces, les espagnols de Viva Belgrado sont la première grosse claque du festival. Puissants, énergiques, mélodiques, ils mettent tout le monde d’accord. Avec 13 ans d’expérience, quatre albums, plus de 200 concerts et un vrai succès en Espagne, le groupe de Cordoba déroule son post-rock post hardcore avec surpuissance. A peine le temps de se remettre de nos émotions qu’on enchaîne avec les andaloux Israel Fernandez, Lela Soto § Frente Abierto. Du métal flamenco contemporain qui passe merveilleusement bien en festival. Pendant que Curtis Harding balance son groove soul et nous fait croire que nous sommes des stars du dancefloor (même si je danse comme ton oncle Jean-Paul au mariage de ta cousine), on passe au stand merchandising qui ne désemplit pas. Une particularité : on y vend plus de tee-shirts du festival que des groupes qui y sont programmés. S’en suivra Big Thief, Standstill et les français de Slift à 2h du mat’ (« On est d’accord que c’est le meilleur concert de la soirée ? », nous écrit un confrère dans un groupe Whatsapp monté pour l’occasion. J’ai envie de répondre « Oui, à fond » mais je suis déjà au lit. Mon excuse : aujourd’hui on a bien bossé avec une interview filmée de Metz).
J3 : Est-ce que mes oreilles vont tenir ? Non. Est-ce que je vais partir ? Non plus.
23 août. La journée où le Canela te fait comprendre que t’es pas là pour enfiler des perles. T’arrives en pensant que t’as survécu à pire, mais dès que Finale attaque, tu comprends que tu n’es pas grand chose. Une énergie folle malade, un chanteur possédé qui finit par péter sur scène la moitié de la décoration du festival (« ça sera dans le report ? », me demande l’attachée de presse du festival. Bien sûr que non), des hurlements atroces, une façon de tenir son micro peu orthodoxe. Gros gros coup de dague en plein coeur. Pas facile de passer après cette tornade, mais Lisabo tente de faire le job. Devant un immense drapeau de la Palestine, et malgré un chanteur dont la voix peine un peu à prendre corps derrière un épais mur de guitares, les ibériques assurent le minimum syndical.
Place à Militarie Gun (excellents), Cloud Nothings (décevant et un poil brouillon excepté un Wasted days merveilleux pour terminer l’affaire), Wednesday (un petit côté country pop pas désagréable histoire de souffler un peu) et aux vétérans de Protomartyr (vétérans, on a dit). Arrive ensuite le gros morceau de ma soirée : Metz. Devant un public en fusion, les canadiens font ce qu’ils savent le mieux faire : plier un public façon origami. En bon privilégié, je suis le concert sur scène, juste derrière le groupe. Rapidement et comme toujours, je me rends compte que regarder un concert de cette façon n’a pas le moindre sens. Direction la fosse (il n’existe pas de gradins au Canela, tu t’en doutes). Furie complète. Rincé, je regagne l’hôtel. Pas de message sur le groupe Whatsapp. Ouf, j’ai rien raté. Une joie de courte durée quand le programmateur d’une salle de concert française me dira le lendemain matin « Hier soir, le meilleur concert et de très loin, c’était celui de Model/Actriz ». Caramba, encore raté. Personne pour me parler des perfs’ de Gilla Band et Dame Area en pleine nuit ?
J4 ? And the winner du meilleur déguisement is ?
24 août. Dernier jour, et apothéose. Traditionnellement, le public doit venir déguisé et les groupes qui le souhaitent peuvent l’être aussi. Bilan : si t’es pas venu déguisé, t’es pas vraiment venu au Canela. L’année dernière, on avait croisé des licornes, des dinosaures et même un mec habillé en facture d’électricité. Cette année, on a rencontré un Snoop Dogg plus vrai que nature, des athlètes des JO à la pelle, un gars déguisé en contrôleur de train qui met des amendes au public toute la soirée, un autre en plant de cannabis, une femme déguisée en voyante (elle lit dans une boule de cristal, qui n’est autre que le crâne de son ami chauve), des vrais mariés, une française véner’ portant haut le maillot d’En avant Guingamp, deux sublimes hurluberlus déguisés en Sims lumineux, un photographe hyperactif muni d’un ballon gonflable rose, un pauvre bougre menotté en bagnard,,… La liste est sans fin.
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L’effet est immédiat : tout le monde a le smile. Un sourire énorme qui fait du bien avant de retrouver dans quelques jours le plaisir insidieux d’une conf call. Soudain, un nouveau spectateur arrive, impeccablement déguisé en faux Donald Trump. 4 potes déguisés en gardes du corps (costumes, faux talkies) l’entourent. L’effet est saisissant, d’autant que quelques autres amis se sont littéralement transformés en vrais-faux supporters de Trump. Trop c’est trop. Ici le second degré est roi. Une famille déguisée en Devo, une bande d’amis en Kraftwerk, on ne sait plus où donner de la tête. Mais quel bonheur. Comment voulez-vous que je m’extasie sur PJ Harvey à Rock en Seine après tout ça ?
Lorsque Crack Cloud déboule sur scène, on a perdu tout le monde sauf un membre du groupe WhatsApp : « Je pensais pas dire ça un jour…mais qu’ils se remettent au crack putain. Même Squid a l’air plus brouillon »
Et la musique alors? Ah oui, c’est vrai. Elle est à la hauteur du bordel ambiant. A tel point que le set de Snooper, des punks de Nashville, a tout du naufrage intégral. Enfin naufrage…Par chance, de nombreux problèmes techniques empêchent la chanteuse de chanter faux. Merci petit Jésus. The Lemon Twigs alternent glam rock kitschissime et mélodies en or massif. Trop fin et racé, le frêle esquif de Long Island peine à empocher la mise face à un public espagnol qui n’aime rien tant que de parler pendant les concerts. Un collègue éclairé me souffle « Remarque, l’avantage des Lemon Twigs, c’est qu’ils n’ont pas besoin de se déguiser ». Que l’avocat du groupe n’hésite pas à me contacter sur Insta (451 followers égarés) ou X (un peu plus) pour porter plainte. Je transmettrai.
Sans surprise Superchunk propose un son indie rock vitaminé qu’on connaît par coeur. Un doudou indé un peu usé quand même. Lorsque Crack Cloud déboule sur scène, on a perdu tout le monde sauf un membre du groupe WhatsApp : « Je pensais pas dire ça un jour…mais qu’ils se remettent au crack putain. Même Squid a l’air plus brouillon ». La conversation n’a plus ni queue ni tête. Un autre membre : « J’ai une famille devant moi, ils sont tous défoncés ». Un journaliste plus pro nous fait un point Optic 2000 : « Je viens de perdre une lentille, donc je déclare forfait pour le reste de la soirée ». Soirée qui se terminera à 5h du matin. Autant dire sans moi.
Canela Party ou comment perdre trois kilos en quatre jours sans faire de sport
Tu l’auras compris, le Canela (ça veut dire confetti en espagnol, ce qui tombe bien car chaque groupe à le droit à un immense jet de confettis dans le public pendant son concert), c’est plus un marathon qu’un festival. Le résultat (les pieds en compote) est le même mais la méthode diffère. Ici, au lieu de courir, tu danses, tu bois, tu cries. Petit conseil pour l’année prochaine : si tu cherches un endroit où tu peux tout oublier, y compris ta dignité, n’hésite pas, fonce. Ca t’évitera aussi de lire des live report inutiles. Viva Canela.