Traduire les grands chapitres du rock'n'roll dans la langue de Michel Sardou, tel est le périlleux exercice auquel Antoine Jobard se livrera une fois par mois pour nous aider à décrypter les tablettes. Pour inaugurer la série, voici "Quand l'autruche attaque Cash", un grand moment de "Cash: The Autobiography" racontant comment l'homme en noir a échappé à une attaque mortelle... d’autruche. Un conseil: toujours avoir une bonne ceinture sur soi.

« Une sale période, la plus sérieuse et la plus longue, débuta pour moi quand j’ai commencé à prendre des calmants après une opération de l’œil en 1981, puis continué à en prendre… même quand je n’en avais plus besoin. Et tout ça a empiré jusqu’à ce que je sois quasiment tué par une autruche.
Les attaques d’autruches sont plutôt rares dans le Tennessee, c’est vrai, mais celle-ci est vraiment arrivée, au sein d’un exotique parc animalier que j’avais établi derrière les bureaux de la House of Cash, près de ma maison au bord de l’Old Hickory Lake. Ça s’est passé pendant un hiver particulièrement glacial, alors que des températures au-dessous de zéro avaient réduit de moitié notre population d’autruches: nous avions un couple dont la femelle ne voulait pas se laisser attraper pour rentrer dans la grange — et elle est morte de froid. C’est, j’imagine, ce qui a rendu son compagnon barjo. Avant ça, il avait été parfaitement aimable avec moi, comme tous les autres oiseaux et animaux quand je traversais leurs enceintes.
Ce jour-là pourtant, il n’était pas très content de me voir. Je marchais dans les bois, au sein de leur enclos quand il sauta brusquement sur le sentier, pile devant moi, pour ensuite s’incliner en déployant ses ailes et siffler méchamment.
Rien ne se passa durant cette rencontre. Je me suis juste tenu là jusqu’à ce qu’il rentre ses ailes, arrête de siffler, et parte. J’ai poursuivi ma route. Et pendant que je marchais, je réfléchissais à une riposte. Il m’attendrait sûrement quand je repasserai par là, prêt à m’offrir le même accueil, et je ne pouvais pas accepter ça. C’était moi le patron. C’était mon terrain.

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L’autruche s’en foutait pas mal. Quand je suis revenu, je portais un bon gros bâton de presque deux mètres, bien déterminé à en user. Et comme prévu, il était là, sur le chemin devant moi, à faire son manège. Quand il a commencé à s’avancer vers moi, j’ai pris l’offensive, et lui ai balancé un bon gros coup.
Je le ratais… Il n’était plus devant moi. Il était dans les airs, et une-demi seconde plus tard, il était en pleine descente, avec cette sorte de gros orteil plus grand que ma chaussure taille 48, en direction de mon ventre. Il frappa — je suis sûr que pour lui, il n’a pas été une seule fois question de ne pas me frapper — et franchement, j’ai légèrement décollé du sol. Il me brisa deux côtes inférieures et déchira mon ventre jusqu’à la ceinture. Si ma ceinture n’avait pas été bonne et robuste, sans une boucle bien solide, il m’aurait ouvert les tripes exactement comme il en avait l’intention. Il me projeta sur le sol donc, sur le dos, et cassa trois autres côtes contre un rocher — mais j’avais assez d’esprit pour continuer à secouer le bâton, et il n’a pas pu me terminer: je suis parvenu à lui mettre un bon coup dans les pattes, et il s’est enfui en courant.

On a nettoyé ma blessure, on m’a recousu et renvoyé à la maison, mais j’étais loin d’être comme neuf. Ces cinq côtes cassées faisaient un mal de chien. Voilà pour quoi sont vraiment fait les calmants ! et je me suis donc senti parfaitement dans mon droit pour pouvoir en abuser en grandes quantités. Mais ce droit cessa d’être justifiable après toute cette histoire ; une fois que la douleur cessa complètement. Je savais que j’en prenais parce que j’aimais leurs effets sur moi. Et alors que ça tourmentait ma conscience, ça ne la tourmentait pas assez pour m’empêcher de descendre encore une fois la vieille route de l’addiction. Bientôt, je faisais le tour de différents médecins pour prolonger mon approvisionnement en pilules dans les quantités qui m’étaient nécessaires, et quand ça commençait à déranger mon système digestif, je me mettais à boire du vin pour arranger mon estomac, ce qui marchait raisonnablement bien. Ma consommation en vin se fit bientôt plus nette, m’entraînant dans des limites de moins en moins confortables suite aux amphétamines que j’ajoutais au mélange parce que — eh bien, parce que j’étais toujours en train de chercher cette sensation d’euphorie.
J’en étais donc là, opérationnel, drogué, ralenti, accéléré, retourné, accroché, passant du bon temps, vivant en enfer… »

Extrait de Cash : The Autobiography
Traduction initialement parue sur http://www.lessouterrains.com/johnny-cash-autruche/

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