Ce n’est pas tous les soirs que la télé nous offre un petit bout de culture musicale à grignoter, histoire de se sentir moins imbécile une fois l’acte sacré commis. Le 11 octobre dernier j’avais le choix entre la publicité filmée de TF1, le visionnage d’un excellent « Inspecteur Barnaby » sur notre chaîne publique préférée FR3 et quelques émissions pathétiques sur des femmes en mal de grossesse.
Pas de quoi fouetter un chat hein ? J’opte pour une rediffusion de l’« Amadeus » (1984) de Milos Forman sur ARTE. Me voilà moulé dans mon fauteuil, la clope au bec, sirotant mon déca, m’apprêtant à suivre le « rise & fall » de Wolfgang Amadeus Mozart, de la gloire éphémère au dénuement le plus complet. Certes, la confrontation avec Antonio Salieri alors compositeur attitré de la cour de l’empereur Joseph II offre une porte ouverte à tous les fantasmes, jusqu’à attribuer la paternité du célèbre « Requiem » à un Salieri prêt à tout pour s’approprier le génie du trublion. Mais l’ensemble donne une impression de sale boulot … Même si Tom Hulce est un Mozart inspiré, sa manière de ponctuer ses phrases d’un rire imbécile proche de l’éructation de l’âne me navre. Mozart est le génie fantasque, ok … Mais quid de son amitié avec papa Haydn ? De son implication dans la franc-maçonnerie qui lui inspirera ses œuvres les plus puissantes avec entre autres son opéra « La flûte enchantée », la symphonie n°40 ou le Requiem ? Bref, une fois encore je suis déçu et au bout des 2h35 j’accueille avec joie le générique libérateur.
Subitement, je me souviens de cet autre film …
Comment s’appelait-il déjà ? Rien à voir avec Mozart, celui là traitait d’un autre compositeur … Franz Schubert … oui c’est ça … « Notturno ». Rien à voir effectivement mais qui s’en souvient ? L’air de rien ce petit film est devenu culte pour les quelques schubertophiles qui peuplent notre petite planète.
Allons droit au but, chers lecteurs, pour apprécier ce film il faut quand même avoir un peu buché son histoire de la musique. Si Franz Schubert reste pour vous le gars qui a commis uniquement la célèbre « Truite » – La Truite va-ga-bonde la-la lalalalala – etc. ou l’Ave Maria que l’on massacre à la tronçonneuse tous les jours dans le métro … Ce n’est pas gagné mais alors pas du tout … Pour faire simple, il suffit de se rappeler ces autres films comme « Trop belle pour toi » (1989) de Bertrand Blier avec Gérard Depardieu, Carole Bouquet et Josiane Balasko, où l’on entend les Impromptus op 90 et op 142, petites pièces pour piano régulièrement jouées et enregistrées. Ou alors cet autre film « La jeune fille et la mort » (1994) de Roman Polanski avec Sigourney Weaver et Ben Kingsley dont la bande originale reprend le quatuor éponyme en guise de leitmotiv … Plus proche de nous, « Le goût des autres » (1999) d’Agnès Jaoui avec Jean-Pierre Bacri, Gérard Lanvin, Alain Chabat et Anne Alvaro. On y entend la sonate pour piano D537 qui accompagne les rendez-vous romantiques de Castella et Clara. Voilà, c’est mieux, vous y êtes presque, on va pouvoir enfin causer du film !
Évidemment, si je vous parle de ce film c’est bien parce que je suis persuadé que c’est un des meilleurs films biographiques jamais produits sur un compositeur. Réalisé par Fritz Lehner en 1988, le film met en scène Udo Samel dans le rôle de Franz Schubert ainsi que Daniel Olbrychki dans le rôle de l’ami Franz Von Shobert et Michaela Widhalm dans celui de la petite sœur Josefa. Le synopsis est très simple : La syphilis ronge le musicien qui, entouré de Josefa et d’un groupe d’amis, compose énormément sans tenir compte de la dégradation de son état physique. Au fur et à mesure qu’il approche de la fin, le musicien se souvient… Pour ceux qui ne connaissent pas Udo Samel, il est aussi le Docteur Blonskij dans « La Pianiste » (2001) de Michael Haneke avec Isabelle Huppert, Benoît Magimel et Annie Girardot … Son interprétation de Schubert lui a aussi valu une nomination méritée pour la catégorie Meilleur acteur lors des Prix du Cinéma Européen décerné à Berlin en 1988.
En quelques mots, tout y est.
A commencer par la terrible révélation de la maladie. A cette époque – vers 1825 – on soigne la Syphilis et autres maladies infectieuses à l’aide de bons bains de mercure. Et à l’hôpital s’il vous plaît, de quoi terrasser sur place les plus costauds d’entre nous. Lourdeur du métal face à la légèreté des cheveux qui tombent en grappes sur les premières mesures de la symphonie n°8 « inachevée », le film débute avec un froid glacial qui plombe l’atmosphère glacée d’une Vienne rincée par une pluie d’hiver.
La longue errance du Zwerg commence, petit et pas franchement bien foutu, le musicien aura réussi à attraper une MST – on se demande bien comment – tant il est timide et replié sur lui-même. Une pute, sans doute, en attendant mieux, mais ça lui aura coûté très cher … Plus de 1000 œuvres composés en moins de 15 ans dont près de 600 Lieder (poèmes chantés allemands accompagnés au piano seul), le Schwammerl est un dingue de boulot. Des moments sympas ponctuent cette vie d’acharné avec les schubertiades où les amis chantent en s’abreuvant d’une vinasse qui coule à flots. Partout la mort rôde, c’est l’époque qui veut ça finalement. Sa sœur et lui font partie des cinq enfants rescapés sur quatorze tentatives de leurs parents qui voient passer les enfants mort-nés avec une sérénité morbide. C’est l’époque où la tuberculose s’en donne aussi à cœur joie, Franz Von Schobert danse avec sa dulcinée, livide et saoule, la faisant tournoyer gaiement comme une poupée aux lèvres sanglantes jusqu’à ce qu’elle en crève. Pas cool tout ça … Mais tellement vrai … Schubert aura quand même chanté l’amour toute sa vie avant de s’en aller avec son Doppelgänger à l’âge avancé de 31 ans.
« Notturno » est disponible en VO sur le site d’Amazon.de, le genre de film qui en France se passe sous le manteau, accroché à la bande magnétique d’une VHS repiquée soigneusement lors de l’unique retransmission télé.
Si vous êtes germanophone, tant mieux pour vous, c’est l’occasion de vous prendre une bonne dose de culture et de vous lancer sur les traces du nain syphilitique qui croit encore en l’amour de la belle meunière. Sinon il vous faudra poireauter en espérant croiser le chemin d’un leiermann, promeneur solitaire et joueur de vielle, portant dans sa besace le précieux produit sous titré. Tiens au fait, elle est où ma K7 ?