La carrière de Coolio est semblable à un iceberg dont la partie émergée n'aura été percutée que par la micro-génération 80-81, celle qui était en classe de troisième lorsque sorti "Gangsta's Paradise", et dont le passage en boucle allait infester à tout jamais les oreilles immatures. Pour les plus anciens il ne s'agissait que d'une reprise de Stevie Wonder, pour les générations suivantes ça sera simplement un titre d'Eminem.

Coolio ne concerne donc que très peu de gens, mais ils les concernent intensément. Ces gens là ont désormais 33, 34 ans, ils sont encore capables de marmonner le refrain du choriste L. V. (« na na na nanana», yaourt incompréhensible, living in Gangsta’s paradise ») en sifflotant les accords de violons comme autant de scies vrillant les nerfs. Car le titre peut évoquer des choses sombres. Des adolescents qui se cherchent entre Scatman et Alliance Ethnik, une époque obscure, une madeleine au goût de merde. Et c’est ce que chante Coolio, une marche through the valley of the shadow of death, autrement dit une randonnée macabre à travers le néant musical. 1995, l’année Coolio – il obtint un grammy pour cette chanson – et heureusement la seule. Et une génération marquée au fer rouge.

http://youtu.be/WUTJgk0HFqw

Ne reste alors de Coolio qu’une sorte de faux pas adolescent, souvenir possiblement matérialisé par la possession de l’album correspondant, voire du précédent, « It takes a thief ». Deux beaux cds aux pochettes cornées, plastique sale, que je conserve précieusement en attendant que la hype ne se réempare du CD comme objet de collection cool, pour le son laser et la fonction shuffle bien pratique. Même si « Gangsta’s paradise » était orné du fameux parental advisory qui sonnait si authentiquement voyou pour nos esprits rebelles, l’adjectif couperet « commercial » tombait aussitôt à son écoute, permettant de créer une scission parmi les fans de coolio de ma classe, entre les partisans de Coolio Original Gangster et ceux de son virage commercial. Car jusque là, l’homme avait sa street cred. Mama i’m in love with a gangsta, Ugly Bitches… Avec Gangsta’s paradise, tout le monde se mettait au rap, le titre réunit tout le monde en abolissant toute hiérarchie du goût : du hip hoppeur qui gonfle tout le monde avec sa cassette NTM d’Authentik au blaireau avec sa compilation Dance Machine. Et remis dans le contexte de l’époque, c’est inadmissible.

Mais tout ceci n’est donc que la part émergée de l’Iceberg, son heure de gloire, celle où il croisa pour la réalisation du clip Michelle Pfeiffer, une autre star des années 90, pour la BO du film Esprits rebelles. Avant qu’il en soit lui même éclipsé par le mash-up d’Eminen sur la célèbre instru’, dépossédé de son propre « vol » de génie [Gangsta’s paradise est une reprise du Pastime Paradise de Stevie Wonder écrit en 1976, NDR]. Là n’est pourtant pas le centre de gravité de son oeuvre, qui se trouve beaucoup plus bas, bien en dessous de la ligne de flottaison de la culture pop : quelque chose de monstrueux, glacial et protéiforme.

« Mes lyrics sont comme les animaux qui montent dans l’arche. »

Evoquer la carrière de l’homme aux dreadlocks, l’ancien gangster de South Compton, pouvait sembler facile, une simple ligne dans un dictionnaire du rap, mais l’homme cachait bien son jeu. En faire l’inventaire et l’analyse se révèle en réalité un travail titanesque. Des semaines de recherches bibliographiques, de visionnages de téléfilms horrifiques et d’écoute de mauvais rap auraient été nécessaire à une enquête tout juste honnête. Coolio est trop énorme. De mon côté je ne ferai que bâcler le travail, alors voici.

Rip sur le rap

Apparition en rappeur dans la série Une nounou d’enfer, acteur dans Ptérodactyles de Mark E. Lester où je cite « un groupe d’apprentis archéologues chaperonné par le professeur Michael Lovecraft se rend en pleine forêt, à la frontière Turquo-Arménienne. Au même moment et au même endroit, un commando de l’armée américaine (dirigé par Coolio) tente de capturer un rebelle. Une rencontre improbable où ils devront unir leurs forces pour faire face à une menace qui, à priori, semblait impossible : des ptérodactyles, bels et bien vivants… ». Coolio, ce sont aussi des rôles dans China Strike Force ou Dracula 3000. Il aussi joué dans The Convent de Mike Mendez qui est à ma connaissance le seul film de nonnes zombies, cross-over conceptuellement passionnant et très sexy, ainsi que dans le plus mauvais Batman jamais tourné (certes l’affirmation se discute puisqu’il y a aussi eu Batman Forever du même Schumacher) Batman et Robin de Joel Schumacher, avec Georges Clooney et Arnold Schwarzenegger dans le rôle de Mister Freeze. Il fut aussi le Démon Lazarus aux pouvoirs télékinétiques dans Charmed ainsi qu’un ex-taulard qui accompagné de son complice Daniel Baldwin (le troisième frère Baldwin, pas le plus connu) enlève « une star du cinéma érotique pour lui faire tourner un clip porno qu’ils diffuseront sur Internet afin de se faire de l’argent.» dans Piège sur internet. Dans toutes ces apparitions, une seule cohérence : ses dreadlocks. En fait, si vous voyez un noir avec des dreadlocks dans un film ou dans une série, il y a une forte probabilité qu’il s’agisse de Coolio. Cachées sous un casque certes, s’il faut interpréter un commando de l’armée américaine, mais la plupart du temps exhibées fièrement. Avec son oeil fou et ses vêtements multicolores, on pressent chez Coolio l’envie de devenir le fils spirituel de Mister T en reprenant ce qui a fait son succès : un look, un faciès mutique et une filmographie lamentable. Et oui, Mister T aussi a été rappeur. #MisterT#Educationalvideo#minishortenjean

Le cinéma n’est qu’un des multiples terrains de projection de l’empire Coolio sur la sous-culture. Il y a aussi la télévision, où il participa à l’émission de télé réalité Celebrity Big Brother avant de s’en faire virer en deuxième saison pour bad attitude envers ses codétenus.
L’homme n’est pas forcément maître de ses émotions, en témoigne ses quelques affaires de violence conjugale, notamment celle où il roula sur sa petite amie en 2013 après l’avoir bastonné, le tout sous les yeux de son fils selon TMZ. Côté coeur, n’oublions pas qu’il fut aussi en ménage – probablement furtivement – avec Afida Turner, a.k.a. Lesly du Loft 2, depuis mariée avec le fils de Ike Turner,  ainsi qu’avec Mounia des Anges de la téléréalité 2, émission dont l’enjeu était de remporter un featuring du maître sur son single – ce single existe bien qu’il me semble qu’il ne soit pas sortie suite à un clash avec la production. Tout le détail est expliqué dans l’article d’Entrevue.fr : « Monia gagne le single avec Coolio grâce à ses seins ». Il faudrait certainement visionner la saison entière pour comprendre les subtils jeux de pouvoir et de séduction entre les protagonistes de l’affaire, tout en enquêtant sur le hors champ, les coulisses, ce qui se passe du côté de la production; il s’agit là d’un travail qui pourrait m’occuper une vie entière, ce qui me ferait négliger l’émission culinaire où Coolio explique en imitant James Franco singeant Riff Raff se prenant pour un gangster noir la recette de la « caprese salad ». Merci de lire cette phrase en la rappant façon Coolio dans votre tête, en marquant bien les rimes en R.

« Coolio Iglesias »

Coolio donc, dont j’apprends que le pseudonyme provient de la remarque d’un de ses amis qui lui disait qu’il ressemblait à « Coolio Iglesias » lorsqu’il chantait à la façon d’un crooner (source Wikipédia), et dont retracer la carrière revient à tirer des seaux de merde d’un puits qui en contient autant. En 2001, Coolio sort un nouveau disque exlusif au Japon – privilège rare des artistes n’existant que sur la scène extrême orientale, on pense à Spinal Tap, Mirelle Mathieu… – intitulé « Coolio.com », avant que ses titres ne soient repris dans l’album « El Cool magnifico » à la diffusion mondiale – 483 vues en 8 ans sur Youtube pour le titre Show me love, merci de faire monter les stats ici, à travers lesquels se dessinent une triste vérité : il n’a absolument pas mué depuis son premier single Fantastic voyage.
Coolio dont l’entière discographie ne vaut surement pas la peine d’y perdre une après-midi sous le regard consterné de sa femme, Coolio l’étalon merde du hip hop à côté de qui même 50 cent le gros caïd au rap de falsetto paraîtrait plus finaud, et qui permettrait presque de relativiser l’existence de la Fouine, Coolio le chainon manquant entre tous les pires épisodes de la sous culture pop LOL internet qui nous vide l’âme et participe de la dépression d’Alain Finkielkraut sur le nivellement de tout par l’en dessous, Coolio en BD sur internet, Coolio incarcéré dans la même prison que son fils, Coolio ou la conspiration des crétins, Coolio soutier de la sous-culture, Coolio recycleur de son lui-même tel un même humain, Coolio apparaissant partout où on ne l’attend pas – et comme on ne l’attend nulle part c’est vaste –, Coolio qui sonne si bien en anaphore… et bien ce Coolio là, est désormais chauve.

Cookin With Coolio_FRANK151

Deux maigres dreads de chaque côté du crâne, de part et d’autre d’une calvitie à la Michel Blanc, et c’est désormais une sorte de sage. Si nous sommes désormais habitués à la vieillesse des rockers, aux Rolling Stones en pommes ridées et au « Punk is Dad », il nous faudrait désormais commencer à encaisser la sénilité des rappeurs. Une vie à parasiter la bête, sans jamais lâcher le morceau et ce grâce au seul Gangsta paradise. Dans une interview à Vice, Coolio revient sur la genèse du titre pompé à Stevie Wonder. « Stevie Wonder était une sorte de Dieu… Moi je suis comme Noé. Mes lyrics sont comme les animaux qui montent dans l’arche, l’arche c’est moi, je suis le vaisseau qui a permis au titre d’arriver sur terre ». L’écriture ? Tel le prophète : « D’une certaine façon, c’était une intervention divine parce que la chanson s’est écrite toute seule ». Et alors on se prend à rêver d’une civilisation ayant atteint un tel degré de raffinement éthique et de technologie écologique qu’elle serait capable à son extinction de se biodégrader intégralement tel un tas de compost, et ce en moins de 15 jours, discographie de Coolio comprise, afin qu’il n’en reste absolument plus rien.

Place nette pour les prochains. Et bonne chance.

9 commentaires

  1. Ou la, vous passez sous silence un des événements majeurs de cette phénoménale carrière: le truc avec Ophélie Winter. Si, si, il y a même eu une couverture du défunt magazine élégant et sexy MAX avec ces deux figures des nineties à date de péremption courte, je me souviens d’avoir interviewé le dreadlocké à cette occasion. Ils avaient je ne sais plus quel projet ensemble (enfin son projet à lui avec celle à qui dieu avait donné la foi et son chirurgien plastique des raisons d’y croire, on le devine, et il a du le mener à bien)

  2. J’en ai le vague et douloureux souvenir. Et je suis persuadé qu’il y a encore plein d’autres chose de ce même acabit, et même des apparitions qui n’ont toujours pas été répertoriés, à l’heure actuelle nous ne savons pas encore la moitié de ce qu’a fait Coolio. Pour bien faire il m’aurait fallu y passer non une après midi mais une vie entière, mais c’est là que ça se complique. Etudiez à fond la filmo de Coolio, ce que j’aurai dû faire, c’est forcément mais paradoxalement négliger d’autres pans de la vie de Coolio, si j’écoute Gangsta paradise j’oublie Fantastic Voyage, si j’enquête je le néglige, si j’en parle je le tais, si je l’aime je le hais, Coolio exige un culte étrange. Je reviendrais là dessus pour mon second papier sur Coolio : « conditions de possibilité d’une enquête sur Coolio »

  3. J’ai commencé ma vie de « mélomane » sur cet album de Coolio, vague souvenir de playground vauclusien à transpirer en m’imaginant bad boy à deux balles, formidable remontée proustienne, merci.

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