Chaque année, des milliers de festivaliers se retrouvent à quelques kilomètres de la frontière polonaise pour célébrer la musique dans une immense usine désaffectée. Reportage touts frais payés au festival Colours of Ostrava.
Après une décennie de piges dans la presse musicale, j’avais fini par croire que le voyage de presse entièrement pris en charge relevait du mythe, du privilège révolu réservé aux glorieux anciens du 20ème siècle. Et voilà qu’en un mois, je me retrouve coup sur coup à partir gratos au Danemark pour rencontrer Heilung (on en reparle très vite), puis en Tchéquie pour couvrir le festival Colours of Ostrava. A moi les avantages en nature et les fameuses tentatives de corruption du rock critic ! A moi les goodies !
Jour 1 : 13 juillet 2022
Me serais-je finalement perdu en acceptant enfin un voyage de presse? Comprenez-moi. Depuis de nombreuses années, je n’échappe pas à la règle suivante : attachés de presses, festivals ou labels proposent généralement aux pigistes de venir dans des endroits « fantastiques » pour rencontrer ou découvrir des groupes « incroyables ». Tout cela bien souvent au frais des petits pigistes. Cette fois, c’est différent, alors je ne vais pas vous la faire à l’envers. Même si ce papier n’est pas sponsorisé, je suis invité ici par l’office de tourisme tchèque qui a mis les petits plats dans les grands pour promouvoir la ville d’Ostrava. Qui s’en plaindrait ? Pas moi en tout cas. Direction Orly et décollage à 7h20. Dur, dur. Deux heures plus tard, l’avion atterrit à Prague. Dans le hall de l’aéroport, un chauffeur m’attend avec une pancarte « Albert Potiron ». Maman serait fière de moi si elle savait lire. Direction la gare, où le Pendolino – très beau train – va m’emmener jusqu’au festival Colours of Ostrava, à près de 400 kilomètres de là, dans l’Ouest du pays, à 10 bornes de la frontière polonaise et 50 de la frontière Slovaque.
Colours of what ? Ostrava. Commençons peut-être par une rapide présentation géographique, pas forcément inutile car ce festival n’est pas encore le plus connu de la planète terre. Et la ville encore moins. Moment Wikipédia : Ostrava est une ville du nord-est de la Tchéquie, la capitale de la région de Moravie-Silésie et le chef-lieu du district d’Osaka-Ville. En 2022, elle comptait selon mon estimation manuelle 279 791 habitants. En raison de la richesse de ses mines de charbon, elle fut aux 19ème et 20ème siècle un des grands bassins sidérurgiques d’Europe Centrale. Depuis, les temps ont changé et peu à peu, les mines ont fermé, paupérisant une place condamné à se moderniser pour survivre, ce que la ville ne cesse de faire à travers ses infrastructures.
Le festival Colours of Ostrava, lui, existe depuis 2002. Vingt ans. C’est le plus gros festival tchèque et l’un des plus importants d’Europe centrale. Avec ses 16 scènes (dont 4 immenses en plein air), Colours – comme on l’appelle ici – a tout d’un mastodonte. Niveau programmation 2022, des noms parlent (The Killers, Squid, Sleaford Mods, Franz Ferdinand, Kings Of Convenience, Tindersticks, Martin Garrix, Twenty One Pilots…), beaucoup d’autres, moins, voire pas du tout. C’est avant tout ceux-là que je suis venu découvrir. Avec 350 évènements en 4 jours, impossible de tout faire. Pas grave, car « festivaler », c’est aussi apprendre à renoncer.
Ce premier jour, je le consacre essentiellement à la découverte du site. Immense. Gigantesque. Bourré de recoins et de surprises. Le tout dans un décor extraordinaire, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO : l’usine de Dolní Vítkovice, juste à la sortie de la ville. Et accessoirement à 20 minutes à pieds de mon hôtel. Après avoir attrapé une Ragerstad, la bière qu’on trouve partout sur le site, je me pose devant l’immense scène principale, située à quelques mètres de l’entrée principale du festival. On commence par les gars de Bazzookas, avec leur ska sympathique pour se mettre en jambe. Sleaford Mods étant aux abonnés absents pour « raisons personnelles », je tombe un peu au hasard sur Fatoumata Diawara qui remporte la mise. Jouée par d’excellents musiciens (ce guitariste!), située aux confluents du rock, de la soul et de la musique tribale, cette musique s’avère parfaite pour un festival. Ma soirée se termine avec Twenty One Pilots, light show efficace totalement synchronisé avec la musique. Sur scène, deux types masqués. Probablement Tyler Joseph et Josh Dun. Un joue de la batterie, manifestement en live. Et un autre du piano. En tout cas on le suppose car le clavier est totalement caché dans un grand meuble en bois. Ce concert sent le fake à plein tarin mais à cette heure tardive, le public n’en demande pas forcément plus. Moi si, surtout après m’être levé à 4h du matin. Direction matelas.
Jour 2 : 14 juillet 2022
Pendant que l’armée française défile sur les Champs-Elysées, l’office de tourisme a décidé de faire découvrir les environs d’Ostrava à la petite dizaine de journalistes présents dont je fais parti. Autrichien, Allemand, Anglais, Moldave, Danois, Néerlandais, Polonais, Français… La colonie s’annonce joyeuse. Direction les alentours de la ville, dans les verdoyantes collines de Beskydy. Après une champêtre séance de téléphérique old-school et une descente effrénée en vélo de montagne du côté de Pustevny, nous partons au festival.
A peine l’entrée principale franchie, un écran géant sur notre gauche dévoile l’américaine Princess Nokia. Rapidement, on lui attribue sans trop hésiter la récompense de la pire prestation du festival. Voilà une « artiste » comme on les aime. Doté d’un laptop, un « musicien » sur scène lance un morceau et elle chante dessus. Par morceau, il faut entendre musique et voix de Princess Nokia. Pour être clair, le gars a appuyé sur un bouton et Comtesse Blackberry fait du karaoké sur ses propres morceaux. Nous entendons donc deux fois sa voix. Ce double effet kiss cool pourrait coller. Mais non. Il est 18h15, et à l’heure du pastis, Duchesse Motorola chante terriblement faux. C’est pourtant pas faute d’essayer, ni de s’entretenir. Entre chaque morceau, la belle boit un demi-litre d’eau, car elle se donne à fond pour remonter son bustier toutes les 30 secondes. Sa prestation globale bientôt terminée, elle ose même un « Where are you, my fans ? ». Silence gênant. Le public, relativement nombreux au début du concert, s’avère désormais plus clairsemé qu’un meeting communiste un soir de feu d’artifice. Ne connaissant pas le doute, indolore aux absences de retours positifs, Princess Nokia continue, puis finit par quitter la scène avec une moue de séductrice digne du TikTok 2022. On vient de croiser l’ovni du festival, espérons qu’il reste du kérosène dans sa navette pour le vol retour. Avant de disparaître enfin derrière le rideau, elle se tourne vers le public et montre sa culotte d’un air entendu. La classe absolue.
Encore sous le choc, nous nous dirigeons vers le Liberty Stage, où la jeune américaine Phoebe Bridgers délivre un show très « quali ». Influencée par la country, l’Américana et la pop (elle reviendra bien plus plus tard dans la soirée pour un morceau sans grand intérêt lors du concert des Killers), entourée par de jeunes et très bons musiciens, Bridgers offre au public présent de beaux arrangements, des chansons travaillées et incarnées, une présence. Après le naufrage KNkia, la communication va pouvoir reprendre. Au risque d’être un peu réducteur, Phoebe Bridgers serait une sorte de Billie Eilish sauce Américana. A l’unanimité, nous votons pour. Pendant ce temps, je rate bien sûr Mathias Aguayo à l’autre bout du site, tout comme Sinks, trio tchèque post-punk/noise, que je m’étais pourtant promis de voir. Ce voyage de presse serait-il un piège ?
Il faut dire que ce soir le temps n’aide pas. Quelques trombes d’eau tombent sur le festival. Recroquevillés sur nos positions (i.e : dans un espace VIP doté d’un toit), nous regardons les têtes d’affiche du soir. Voilà Franz Ferdinand pour sa tournée Greatest Hits. Presque vingt ans après l’éclosion du groupe, le chanteur Alex Kapranos garde la forme, même s’il est de plus en plus mal coiffé et mal habillé. Pas grave, son organe vocal est intact et AK le mobilise à merveille. Une accalmie se présentant, notre collègue néerlandaise parvient à nous convaincre de changer de scène pour découvrir Bakermat, un DJ « famous » qui doit probablement représenter ce que je déteste le plus. A savoir un gars qui appuie sur un bouton et fait semblant d’en activer dix autres. Passé ce moment de vide absolu, direction l’espace VIP pour s’abriter car la pluie retombe de plus belle. Le moment idéal pour Brandon Flowers et The Killers de sortir le grand jeu. Cintré dans une veste très Las Vegas – ville d’où vient le groupe, malgré le vent et la pluie qui redouble, Flowers et sa clique balancent leurs tubes. Job is done, mais sans passion. A moins que je n’ai bu trop de Radegast ?
Jour 3 : 15 juillet 2022
Entre les excursions matinales et les soirées à rallonge, je commence à fatiguer. L’office de tourisme a prévu aujourd’hui de nous faire visiter les alentours d’Ostrava. Mais pas les mêmes qu’hier, si tu me suis. Au menu : le tout nouveau musée des camions Tatra, Stramberk – charmant village au pied des Beskid Mountains, un super boulanger qui vend des excellents pains d’épices en forme d’oreilles, et un délicieux lunch. Pour faire court : notre difficile vie de journaliste suit son cours. Nous sommes toujours une dizaine, en provenance de quasiment autant de pays, et la plupart sont en réalité des influenceurs/bloggers/journalistes spécialisés dans le « voyage ». La musique est finalement pour eux un prétexte pour découvrir Ostrava. En tout cas pas vraiment le sujet de leur futur papier. Je me demande un peu ce que je fais là, n’étant pas vraiment étiqueté Guide du routard.
Après une sieste à l’hôtel, direction festival. Une routine agréable s’installe. Cette soirée commence à merveille. 18h30. Sur l’immense scène principale, les norvégiens Erlend Øye et Eirik Glambek Bøe délivrent leur musique acoustique lunaire. Kings of Convenience n’a rien d’un nouveau groupe, mais après plus de deux décennies d’existence, il reste sacrément frais. Sur scène, un dispositif minimal mais à l’efficacité maximale les met en valeur : deux parapluies pour les protéger du soleil, et point barre. En écoutant leurs deux guitares qui ne cessent de se parler, de s’entremêler, leur sens de l’humour entre les morceaux aux airs de classique pop, on se dit que la monarchie pop a encore de beaux jours devant elle. Une chose semble entendue : ces roitelets de la pop ont définitivement enterré aux oubliettes la princesse téléphonique d’hier. Ils sont pourtant venus les mains vides. Au stand merchandising, on trouve du totebag Killers, du tee-shirt 21 Pilots, du bob LP, mais définitivement pas de produits Kings of Convenience. Dommage, je voulais acheter un mug mais c’est mort.
20h. Direction la Bolt Tower, point le plus haut du festival – et d’Ostrava avec ses 78 mètres de hauteur – pour déguster dans le ciel un verre de Prosecco servi avec une boule de glace au Cassis. Dans le vin, la boule. Etrange, mais pourquoi pas, puisqu’ici ils servent aussi du café avec du Tonic. Tout en haut de cette tour industrielle, le gigantesque site de Colours Of Ostrava s’offre à nous. Un endroit décidément hors-normes, terriblement sympathique et cool. Perdu dans les cheminées géantes, on se croirait dans la pochette du Animals des Pink Floyd.
Absorbé par cet incroyable panorama, je rate le français Vincent Moon qui ne joue pourtant qu’à une dizaine de mètres de moi. Tant pis. Direction le carré VIP (comprendre : un espace immense où les « VIP » sont si nombreux qu’on pourrait penser que le I est en trop, mais où tu peux aller plus vite aux toilettes que le festivalier lambda) à coté de la principale scène du festival, pour boire une Radegast, la bière qu’on trouve partout sur ici et qui ne porte ni plus ni moins que le nom du dieu de la bière et de la fertilité dans la mythologie slave. De mon côté, je ne suis pas certain que les deux fassent bon ménage. Sur le Main Stage arrive désormais l’américaine Laura Pergolizzi, dites LP. Après 15 ans de galère et le succès en 2016 de son single Lost On You, LP fait désormais le show. Enfin, elle essaye. Là où Kings of Convenience misait sur la qualité du contenu, LP, elle (ou i.el car c’est un artiste de genre neutre), préfère mettre l’emballage en avant. Look, jeux de lumières, nombreux déplacements sur scènes, tout a été fait pour donner à voir au public. Ou pour le détourner de morceaux quasi inexistants ? De mon côté, la question est vite répondue et je me dois de quitter cet endroit aussi rapidement que l’accumulation de Radegast me le permet. Direction le Glo stage pour découvrir Axel Thesleff et sa techno tribale et pas trop minimaliste pour me garder en vie. Une bonne surprise, surtout après la catastrophe LP. Bientôt une heure du matin. Même si l’heure du crime est passée, SAMA finit par m’achever à coups de BPM incisifs mais par trop répétitifs. Les basses sont si fortes que je sens les frites belges danser au fond de mon estomac. Time to go home avant de me transformer en ketchup.
Jour 4 : 16 juillet 2022
Petit déjeuner à 8h à l’hôtel. Personne. Mes collègues ont tous disparu. Ont-ils survécu à LP hier soir ? Rien n’est moins sûr. 10h30. Je les retrouve dans le hall. Vivants. Direction le centre d’Ostrava, où il est notamment prévu de nous faire visiter la « Municipality Tower », offrant une vue à 360° sur toute la ville. Dans la foulée, nous avons également le droit à une visite guidée des quartiers ouvriers d’Ostrava, qui rappellent certains coins de Manchester. Cette ville a une âme. Aucun doute. Pour la musique, on verra plus tard. Un lunch dégusté au HogoFogo, un des meilleurs restaurants de la ville, une sieste en mode « C’est ça où je m’endors à jamais », puis direction Colours Of Ostrava pour le dernier jour de ce trip tchèque passionnant en tout point.
Histoire de me réchauffer un peu, direction Drive Stage où les vétérans africains de Mazaher retournent la foule à coups de tambourins. Traditionnelle, répétitive et minimaliste, leur musique authentique est idéale pour nettoyer quelques cérumens synthétiques entendus la veille au détour des allées du festival. Le temps d’esquiver quelques gouttes de pluie et je me rends devant la scène des espoirs (Full Moon Stage) où les tchèques de Dudla déroulent une new-wave minimale propre et carrée respectant toutes les règles du genre. Sans faute des de ces Praguois. Concernant les textes, joker, car je ne comprends toujours pas un mot de tchèque. Après l’Afrique et la new-wave, pourquoi pas un peu d’électro-pop comme 2022 sait en produire au kilomètre ? Luuvers fait le job (enfin si l’on peut dire puisque le chanteur chante en playback). Rien de dément, mais je garde le nom en tête pour une prochaine fête d’anniversaire. Pas grave, puisque sur le Full Moon stage, un nouveau groupe tchèque débarque. Et met très rapidement les choses au point. Le patron , ce soir, c’est Vellocet Roll. Intégralement vêtu de blanc, le chanteur de ce collectif (ils sont 8 sur scène) donne tout. Les musiciens également. Fleuron de la scène alternative tchèque, le groupe alterne entre collages fleurant bons le psyché, guitares fuzz et saxophones délirants, le tout saupoudré d’une sauce de poésie existentielle. Sur le papier, ça donne envie de fuir. En live, tu n’as plus qu’une idée : rester. Conclusion : grosse claque.
Pendant que la température chute, l’heure avance. Sur le Liberty Stage, les soeurs de Larkin Joe délivrent un rock carré. Originaires de Nashville, Tennessee – elles le rediront plusieurs fois, les frangines ont baigné dans la culture Americana, le rock sudiste et le blues. Une reprise de Son House, parfaite pour terminer ce festival des plus réussis, finit de convaincre un public qui, rapidement, se presse devant le Main Stage pour acclamer la star du festival, Martin Garrix. En coulisse, quelques langues se délient, Martin palperait 900 000 euros pour son concert d’une heure trente. Note pour moi-même : accélérer mon apprentissage de Garageband et penser à acheter deux synthés sur Le Bon Coin en rentrant. Insensible au show Garrix, usé jusqu’à la corde, je rentre.
Alors docteur, ça donne quoi au final ?
Le bilan de ces quelques jours à Ostrava ? Site incroyable, excellente programmation, super ambiance, aucun français ou presque, dépaysement total. Que demander de plus ? Colours Of Ostrava : je reviendrai. Invité ou pas.
4 commentaires
Il décrit le truc t’as l’impression non seulement d’entendre le son mais… Surtout les vibrations ! Big up Albert
ce soir je nique gwendo! qui kamp vieuxxxx?
jock white y se prend pour alice coupeur d fois ?
salut ! nazi! place de la guillotine!