Voici l'histoire d'un peintre et du chanteur de Villejuif Underground qui montent un groupe de musique expérimentale. « We will play for spirits » est le titre de leur nouvel album. Et on veut bien les croire.

Pour une fois que la présentation officielle d’un groupe ne nous prend pas pour des abrutis, on se permet un gros copier-coller avant de passer à l’interview de ce duo parisien.

« C.I.A Debutante est un duo formé par Paul Bonnet (Disposition Matrix, The Nightclub Toilet) et l’australien Nathan Roche (Le Villejuif Underground). Créé l’an dernier, le groupe a déjà à son actif une demi-douzaine de K7 sur des labels comme Officine, Tanzprocesz ou Royal Sperm. « We will play for spirits », leur nouveau double album sur Crudités Tapes/SDZ va vous transporter à 10 000 au dessus des océans, dans un radeau de fortune malmené par les vents, à moins que ce ne soit tout simplement le mauvais oeil. Librement inspiré d’un crash aérien, ces 18 morceaux cryptiques forment une mixture incongrue entre l’électronique vintage d’un pilote autodidacte, possiblement kamikaze, et le spoken word d’un enquêteur un peu déviant aux théories houblonneuses… ».

GONZAI : Bonjour Paul, c’est toi qui est à l’origine du projet CIA Débutante ?

Paul Bonnet : Non. On est tous les deux responsables. J’ai proposé à Nathan de venir enregistrer chez moi, un soir. Après quelques semaines de faux bond, on a fini par enregistrer 3h de musique. On s’est rendu compte que ça kickait bien et ces 3 heures sont devenues un disque qu’on a sorti quasiment immédiatement. Puis on s’est mis à faire des concerts. Tout s’est enchaîné super vite.

C’était quand ?

Nathan Roche : Vers octobre, novembre. Il y a pile un an.

Paul, tu viens d’où ?

Je suis parisien. Je suis peintre, sorti des Beaux Arts il y a deux ans. Je suis un outsider dans la musique, je ne viens pas d’une scène musicale. Mais depuis qu’on a commencé le projet, on a vraiment été soutenu par des gens à Paris. Le Non Jazz, l’Epoque à Stalingrad, Max Kaario et son CmptrMthmtcs. Il y a vraiment une scène hyper excitante en ce moment. C’est vraiment bien d’en faire partie.

Quels sont les groupes ou projets de cette scène qui vous paraissent les plus excitants ?

Ce qui a été le plus intéressant pour nous cette année, c’est les concerts qu’a organisé Jean-Charles à l’Epoque, un bar vers le métro Stalingrad.

Nathan : Il y en a tellement. Quand je sors voir des concerts, je ne vois que des trucs de musique expérimentale. C’est super important pour développer ton imagination. Je ne vais jamais voir de concerts plus « normaux ». Je vois des concerts de rock seulement quand je suis en festival avec Le Villejuif Underground.

En un an d’existence, vous avez été hyper prolifiques.

Paul : On a sorti pas mal de choses, c’est vrai. Des trucs autopubliés à quelques dizaines d’exemplaires enregistrés à la maison par moi sur des cassettes trouvées d’occase. On a aussi sorti un CD-R sur un petit label australien, Chemical Imbalance records. Et aussi un split avec Half High.

Nathan : Un groupe australien.

Paul : Quand on enregistre avec Nathan, c’est super fluide. On appuie sur RECORD, et ça part comme ça. Tout ce qu’on a enregistré jusque là, c’est des choses très spontanées. La sauce montant au fur et à mesure, on nous a proposé d’enregistrer dans un vrai studio. Et là ça a été une manière d’enregistrer très différente. Ils ont fait du découpage, de la post production, ce qui nous a pris beaucoup plus de temps. Ca nous a donné pas mal de migraines. Au final on se retrouve avec quelque chose de plus abouti. Pas forcément de mieux que nos prods enregistrées hyper spontanément, mais ça sonne plus fini.

Quel est votre pire souvenir de concert ?

Nathan : On n’a pas de mauvaise expérience, mais pour les plus pétées et marrantes on dirait sans doute jouer dans un salon de Thé chic à Gand pour un public peu réceptif a notre musique, en hallucinant à la bière belge avant de dormir dans un van des sixties. On a aussi pris un bus pour 8 heures de trajet, histoire de revenir d’une fête d’anniversaire polonaise. Un vieux type bourré essayait de débrancher notre matos pendant cette fête.

« Je pense que Le Villejuif Underground n’existerait pas avec moi si je ne jouais pas dans CIA Débutante. »

Nathan, que détestes-tu le plus dans le milieu de la musique?

L’arrogance et la fermeture d’esprit de certains. On n’apprécie ce genre de hiérarchie car la vie n’a aucun sens !!!!!!!!!!!!

Faut-il prendre de la drogue pour faire un bon morceau de musique expérimentale?

Pas du tout mais on en a définitivement besoin pour les autres aspects de la vie.

J’ai cru comprendre que tu n’aimes pas trop les codes de la scène rock indé. Qu’est ce que tu reproches à cette scène?

Les codes justement. J’aime pas les structures obligatoires, ça me donne l’impression de pointer au bureau.

Quel est votre pire cauchemar? Avoir votre musique dans une pub Nike?

Aucun. On veut faire autant de blé que possible et financer nos tournées pour moins de 5 personnes. Et puis on préfère Adidas.

« We will play for spirits » sort uniquement sur cassette. Du pur snobisme ?

Bien sûr que non. Quand on sortait les choses nous mêmes, je pouvais dupliquer facilement les K7 à la maison. C’est par souci d’économie. Nathan et moi n’avons rien contre les MP3 et le digital, mais on aime bien aussi fabriquer des choses qui vont être un peu plus difficiles à trouver. Des choses qui sont autant des artefacts que des…

Nathan : objets d’art ?…

Paul : Oui, voilà. Enfin sans prétention aucune. Disons qu’on partage tous les deux une fascination pour l’aspect matériel du truc et pour tous les mystères qui vont avec. Une cassette avec peu d’infos fabriquée par des gens avec leurs petits moyens, c’est plus fascinant qu’un coffret vinyle plus industriel d’un énorme label.

Votre projet est parfois proche de la musique expérimentale.

Paul : Pour moi c’est de la pop-music. Mais je ne suis pas musicien. On fait ça avec les moyens du bord et les influences qu’on partage. Le résultat est ce qu’il est. C’est pas dans notre ambition de faire de la musique bizarre. Pour moi il y a un côté assez straight forward dans CIA Débutante. C’est intéressant de partir sur une idée de départ, et de voir que le truc part en couilles derrière. Notre musique est un peu le produit des circonstances.

« J’ai fait ma culture sur les blogs MP3. »

Ces influences dont tu parles, c’est qui ? On pense à Shadow Ring, Ruth White, Robert Ashley, The dead C, ce genre de choses.

Quand j’ai rencontré Nathan il y a 3 ou 4 ans, le premier truc dont on a parlé, c’était musique. On partageait plein de goûts, notamment The Shadow Ring.

Nathan : Tous les groupes surprises !

Paul : Vanity records par exemple.

Nathan : Ah oui, avec tous ces vieux groupes japonais !

Paul : Il y avait la musique électronique post-punk de la fin des années 70, début des années 80. Des trucs qui sont faits par des gens qui découvrent en même temps qu’ils font. Avec les possibilités offertes par de nouvelles technologies, mais aussi un certain amateurisme qui aboutissent à des trucs complètement uniques comme The Shadow Ring. Ils ont jamais appris à jouer de la musique, mais à leur manière, ils sont quasiment devenus un groupe de rock en faisant des espèces d’opéra spoken word complètement jetés.

Nathan : Dans le projet, on parle aussi d’écrivains comme Don de Lillo ou Thomas Pynchon. Des mecs un peu paranos, qui ont l’air fascinés par les conspirations.

Ces groupes ne sont pas forcément ceux qu’on croise immédiatement quand on commence à s’intéresser à la musique.

Paul : J’ai fait ma culture sur les blogs MP3. A l’époque on pouvait encore tout télécharger sur Megaupload. Je faisais des réserves et je vivais dessus pendant des mois. Tu lisais des choses sur toute une frange de trucs complètement inconnus, mais qui ont l’air unique. Et ça finit par devenir une obsession.

Nathan, tu parles énormément sur les 18 morceaux de cette K7.

Nathan : Pour cette nouvelle cassette, j’ai préparé tous les textes la nuit qui a précédé l’enregistrement. J’ai écrit toutes ces histoires en une nuit. Avant ce projet par contre, j’improvisais tout directement au micro.

Paul : La plupart du temps, on découvre la musique en même temps qu’on la fait. On écoute quelque chose qu’on vient d’enregistrer et on se dit « What the fuck ? Comment c’est sorti, ce truc ? ». Je ne suis pas musicien. J’avais jamais touché un instrument avant de commencer à jouer avec Nathan. J’apprends au fur et à mesure. On a un ou deux vieux synthés analo, une boite à rythmes, un écho, une guitare et c’est tout. C’est très basique.

Nathan, entre tes albums en solo, Le Villejuif underground et CIA Débutante, t’as encore le temps d’aller aux toilettes ?

Nathan : J’essaye, oui. C’est indispensable. Maintenant, j’en suis à un stade où je pense que Le Villejuif Underground n’existerait pas avec moi si je ne jouais pas dans CIA Débutante. CIA, c’est de l’expression directe, immédiate. Dans Villejuif Underground, je suis plus détaché, moins investi. J’écris les chansons, je les présente en concert, et voilà. Je suis bien plus intégré à CIA Débutante. Chez Villejuif, je suis le chanteur d’un groupe qui existait avant moi. Pour les tournées, c’est aussi complètement différent.

Tu veux dire que vous arrivez à l’heure au concert ? J’ai vu que le Villejuif n’est pas arrivé à temps pour jouer au festival Levitation ou il était pourtant programmé.

Exactement ! C’était un sacré bordel cette histoire.

Paul, tu as aussi d’autres projets à côté ?

Paul : Plusieurs. Ca se développe au fur et à mesure. J’ai sorti moi-même une cassette de mon projet solo. J’étais invité à jouer à un festival l’été dernier. Une nouvelle cassette va également sortir sur le label After hours Eden Prostitute. Je joue aussi avec Enrique Graël, un artiste espagnol. On a fait notre premier et peut-être dernier concert il y a un mois. Il n’y a aucun hi-concept dans la démarche, c’est plus du bullshit.

« On avait envie d’épuiser les gens avec ce disque. »

« We will play for spirits » est vachement long.

On avait envie d’épuiser les gens avec ce disque. Qu’ils soient dans un ennui tel qu’ils finissent par être parfois surpris par certains thèmes. J’aime bien les disques trop longs, mal foutus et qui sont sur le point de s’écrouler. Avec Nathan, on aimait bien l’idée d’avoir un album qui soit trop tout. Il y a plusieurs portes d’entrée. On ne se soucie pas de si les gens vont écouter ou pas.

Au fait, qui sont les deux mecs sur la pochette ?

Faut demander à PES*, l’auteur de cette pochette. C’est un très bon artiste qui joue aussi sous le nom de Clark Gable. C’est aussi un éditeur de fanzines, un mec qui fait énormément de collages. Je crois que ça vient d’une pub Armani. On a pas du tout participé à l’élaboration du truc. On lui a laissé une liberté totale parce qu’on adorait sa capacité à évoluer entre un univers hyper pulpy et quelque chose de plus paranoiäque, voire labyrinthique. Ca convient bien à cette cassette qui a tendance parfois à s’approcher du ridicule.

Ca sort sur le label SDZ. C’est quoi l’histoire ?

Nathan : le mec qui tient le label est le premier type à qui j’ai parlé en arrivant à Paris. Il a aussi sorti les premières productions du Villejuif Underground. On sort aussi sur le label Crudités, qui regroupe des trucs beaucoup plus expérimentaux. Leur dernier projet par exemple, c ‘est l’album « Songbook #6 » de Mattin.

CIA Débutante // We will play for spirits // SDZ
https://sdzrecords.bandcamp.com/album/we-will-play-for-spirits

En concert à la Station le 9 novembre (la date est passée mais comme on est des gros punks on l’a laissé pour vous montrer qu’on était des gros punks)

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