Les Paul, synthés et table analogique : le musicien le plus prolixe du moment est un créateur d’ambient japonais de 43 ans qui fonctionne à l’ancienne. Pas sûr qu’il plaise aux nerveux et aux impatients, mais voilà au moins un travailleur acharné que Jean-Louis Murat ne traitera jamais de branleur.

Le domaine de la production musicale est suffisamment foisonnant pour qu’on n’appelle pas trop vite le Guinness des Records, mais à coup sûr Chihei Hatakeyama, créateur ambient de son état, mérite une bonne place au Panthéon des stakhanovistes. Le compte est difficile à tenir, mais il aurait sorti depuis 2006 au moins 82 albums en solo, duo ou au sein de collectifs, sans compter les compilations de ses premiers pas dans l’expérimental, soit un total proche d’une centaine de disques. Avec une telle productivité, on pourrait croire le Japonais un peu fébrile. Si l’on ajoute que Hatakeyama fut autrefois guitariste d’un groupe qui reprenait Metallica et Slayer, on s’étonne presque que son oeuvre apparaisse si tranquille.

On ne vous mentira pas : ceux qui sont allergiques à Brian Eno et sa (très nombreuse) descendance musicale ne verront en Chihei Hatakeyama qu’un vaporeux comme beaucoup d’autres. Cela dit l’artiste n’est pas sans importance, et pas seulement parce qu’il sort plus de disques que Michel Onfray ne sort de livres. A ce sujet, une précision terre-à-terre : Hatakeyama s’édite lui-même via son label White Paddy Mountain. Il l’a créé en 2010 après avoir longtemps travaillé dans ce secteur – pour une maison important du rock prog, du jazz et du blues au Japon.

Le shoegaze de l’ambient

C’est avec une certaine constance technique qu’Hatakeyama produit ses albums à la chaîne : guitares, quelques synthés, une table de mixage analogique. Ensuite, il mélange deux mix et les agrémente de quelques éléments de dernière minute. Pas de DAW, le numérique n’est pas son ami. C’est en tout cas ce qu’il expliquait au site de musiques expérimentales Fluid Radio en 2019. L’écriture des textes est une question évacuée d’emblée, le beat aussi, ce qui permet de gagner du temps pour créer de longs paysages expérimentaux à un rythme… de peintre, justement.

Composé de Fender Strat, Ibanez 7 cordes, Gibson Flying V et surtout d’une Les Paul à laquelle il rend hommage sur l’album « Void XXI », son pool de guitares s’avère présent mais extrêmement discret, voire lointain comme une rumeur. On n’est clairement pas chez SQÜRL, mais parfois dans une sorte de shoegaze ramolli à l’extrême. Quelques accents Guthrie se laissent entendre, comme tamisés et plus secs, et surtout lointains là aussi, comme un Guthrie doucement surfé. Discret, lointain : des mots qui conviennent en général assez bien à la musique de Hatakeyama, si fine qu’elle semble perpétuellement filer entre les oreilles.

Vagues, deuil et méditation

On croit entendre des vagues dans la musique de Chihei Hatakeyama, et d’ailleurs il y a beaucoup de bords de mer dans ses titres et sur ses pochettes. C’est un peu à double tranchant au Japon où l’océan est une masse aussi potentiellement apaisante que menaçante, quand il n’est pas l’endroit des disparitions volontaires.

En général la musique de Hatakeyama n’est pas à proprement parler morbide, mais pour sûr elle est mystique. Certes, elle ne serait pas totalement aberrante dans un crématorium – si les croque-morts se lassaient un jour de Jeff Buckley – en particulier le tout dernier album « Late Spring » qui laisse planer une atmosphère de deuil notamment suggérée par les fleurs de la pochette et le titre du deuxième morceau, Rain Funeral. Le précédent disque « Void XXII », à l’étonnante couverture Carpenteresque, n’est pas non plus dénué d’une petite coloration macabre.

De manière générale, Hatakeyama évolue sur un créneau doux et contemplatif, à l’écoute de la nature, l’influence culturelle japonaise aidant. Il existe d’ailleurs au XXIème siècle une école nippone de l’ambient comprenant notamment Toshimaru Nakamura (aucun lien) et Hakobune, musicien assez prolixe. Et l’on peut y ajouter l’Anglo-japonais Ian Hawgood et sa quarantaine d’albums depuis 2008.

Pour découvrir ce domaine musical, on recommandera l’expressif « Hau » (2006) du duo Opitope, composé de Tomoyoshi Date et Chihei Hatakeyama dont ce fut le tout premier album. Et si l’on veut puiser aux racines du nouveau tsunami expérimental nippon, le « Opposite » (1998) de Taku Sugimoto est une beauté sombre à s’offrir un soir de méditation sous la pluie.

https://chiheihatakeyama.bandcamp.com/

2 commentaires

  1. Très facile des nappes au kilomètre mais tout le challenge de la musique « ambiant » est de ne pas tomber dans la nunucherie ou pire dans la musique de relaxation.

  2. On entend beaucoup dans la presse parler de Basinski et pas suffisament d’Hatakeyama. Super cet article et tout à fait d’accord avec l’analyse et les impressions de l’auteur ! 😉

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