© Bieke Depoorter

Avec son premier album « Letter to yu », le Belge d’origine chinoise prouve encore une fois que si la pop électronique était une mappemonde, Gand en serait certainement l’épicentre.

« Qu’a-t-elle de plus que moi, cette pouffiasse ? ». Cette question, qui revient en boucle quand il est question de disputes ayant poussé le mari en dehors du lit conjugal, s’applique parfaitement quand il s’agit de mesurer la distance qui sépare la Belgique, et plus précisément Gand, du reste du monde musical.

Gand, chef-lieu de la province de Flandre-Orientale, héberge depuis longtemps le QG de Deewee, label fondé par Soulwax grâce aux écus d’or récoltés par les frères Dewaele depuis plus de 20 ans, et qui les ont mis suffisamment à l’abri du besoin pour imaginer cette maison de disques inspirée par Factory et où poussent depuis une nouvelle génération de songwriters polyglottes au carrefour entre la froideur des Pays-Bas, la FM de Londres, l’esthétisme nordique et avec ce côté in-between tellement belge qu’on met au défi quiconque d’arriver à en résumer l’esprit. La pop belge, et plus précisément la gantoise, c’est une sorte de maison sans murs et en prise à tous les vents. Et il en va donc de même pour Boris Zeebroek, 38 ans et moitié artistique du duo formé avec Charlotte Adigéry, autre âme égarée dans cette ville 3D à cristaux liquides qu’est Gand.

Bolis Pupul: Letter to Yu Album Review | Pitchfork

Deux ans après leur « Topical Dancer », déjà nettement au-dessus du lot quand il s’agit d’imaginer la pop de 2040 dansée par des robotsGPT, Bolis a eu comme des envies d’évasion sur un disque en solo. D’autres ont essayé avant lui ; on ne les a jamais revus. Dans le cas de « Letter to Yu », il est d’abord question d’identité. Pas à la manière d’Eric Zemmour, hein. Une quête d’origine qui rend les comptines de Bolis faussement naïves, superficielles par erreur, dansantes en apparence finalement, pendant que le DJ se gratte la tête. « D’où viens-je ? ». Telle est la question posée en amorce par celui dont le père est belge, et la mère hongkongaise. Décédée en 2008 dans un accident, elle infuse sur l’ensemble du disque ; telle une ombre après laquelle le Belge semble courir d’un titre (« C’est ici que tu es née il y a 59 ans, et enfin, je suis là. Pourquoi ai-je mis si longtemps? (…) Je suis désolé que nous ne puissions faire ça ensemble…» sur Letter to yu) à l’autre (le très François de Roubaix Spicy Crab). Au milieu, un mini-tube nommé Completely Half évoquant tantôt Yellow Magic Orchestra tantôt Fujiya & Miyagi, avec cette voix susurrée qui rend le titre addictif même pour celles et ceux ne disposant qu’une jambe. Pas assez pour bouger sur le dancefloor, mais suffisamment pour sautiller vers la platine et activer le mode repeat.

Inégal parce que mélangeant deux cerveaux dans un même corps, « Letter to Yu » est aussi ce genre de disque à deux vitesses à écouter comme un début de soirée au Redbull. Lent dans la première moitié, complètement sous drogues dans la seconde ; deux faces d’une même pièce qui devraient ravir ceux qui réussissent à danser et penser en même temps, et la garantie au final de ne pas s’être tapé un disque linéaire de plus.
Si l’on aura bien compris les vertus thérapeutiques de l’exercice pour Bolis Pupul, le résultat aurait mérité un 7.8 chez feu Pitchfork. Tant pis que l’ensemble manque un poil de corps, les capacités mélodiques du Belge débridé jouent pour son avenir. « Letter to Yu » se conclue sans qu’on sache vraiment si le héros de notre histoire a finalement retrouvé la trace de ses propres racines, mais il y a suffisamment d’idées dans ce garçon pour faire refleurir trois arbres généalogiques.

Bolis Pupul // Letter to Yu // Because

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