Le sachiez-vous ? Dans un monde pas si parallèle que ça, Stromae est devenu disque d’or trois jours seulement après la sortie de « Multitude », un troisième album sans tubes et plaintif où l’auteur fait du raplaplaoutai. Au nord de son royaume bruxellois, à 50 kilomètres exactement, deux autres personnes sortent quasi simultanément un autre album qui sonne nettement moins comme une blague belge. Dites bonjour au « Topical Dancer », accouché par Charlotte Adigery et Bolis Pupul, et pas qu’une fois.
Quiconque a déjà visité la Belgique sait que le pays est double, traversé par une ligne invisible délimitant deux territoires que tout oppose, la Wallonie et la Flandre ; une déclinaison territoriale du classique « deux salles deux ambiances » où Francophones et Flamands s’écharpent plus silencieusement que dans une BD d’Astérix, mais avec le même mépris que les Gaulois pour les Romains. La faute à une histoire compliquée dans un tout petit pays, et qu’on s’abstiendra par faute de place de dérouler ici, mais qui donne au premier album d’Adigery et Pupul une dimension supplémentaire. Pour éviter de faire fuir toute l’audience, on évitera de parler de musique électronique engagée, mais c’est pourtant bien de cela dont il est question tant les deux sautent à pieds joints sur les frontières pour créer leurs drôles de boites à rythmes.
A 50 minutes de Bruxelles sur la carte, se trouve Gand ; une ville flamande parcourue par le graphisme, la jeunesse, le design, les disquaires comme Music Mania ; en gros l’épicentre artistique de la Belgique depuis que les frères Dewaele de Soulwax y ont posé le studio de leur label Deewee, semblable à celui du Factory de Tony Wilson, à Manchester. C’est ici, via l’inusable paire de producteurs flamands, qu’Adigery et Pupul prendront racines en 2016 après la sortie du documentaire Belgica, et c’est là que depuis 5 ans, dans le grand building Deewee aux lignes claires, les deux préparent l’accouchement d’un premier album qui a lui-même donné naissance à un vrai enfant (Charlotte Adigéry a appris qu’elle était enceinte le jour de la signature du contrat, d’où la pochette aux rondeurs assumées).
Le faux, d’enfant, semble avoir Grace Jones, Laurie Anderson et David Byrne pour parents ; c’est une grosse GPA rendue possible par les coups de beat et les deux parrains Dewaele, bien conscients de ne plus avoir l’âge pour avoir des gosses, ont quand même transmis un peu de leur patrimoine génétique. En résulte « Topical dancer », un album abordant les thématiques du racisme, de l’appropriation culturelle et de la misogynie par le bon côté, par la dérision, sans ton moralisateur et le tout dissimulé derrière des gimmicks adroits. C’est notamment le cas sur Blenda, où celle qui possède un arbre généalogique un peu bordélique (d’origine martiniquaise et guadeloupéenne mais née à Narbonne et exilée à Gand, donc) chante « Siri can you tell me where I belong » ; et d’autres titres comme Huile Smisse (vous l’avez ?), HAHA (où Adigery sample son propre rire comme dans une version techno-soft du Shining de Kubrick) ou Thank You sont du même acabit. Et difficile de ne pas faire le lien entre la Belge Adigéry et la Canadienne Marie Davidson, lorsque celle-ci avoue ne pas comprendre ce monde d’après où il est exigé des musiciens qu’ils soient également des content creators ou des influenceurs Instagram.
Loin des quotas sur la diversité et l’inclusion, en vogue dans toutes les grandes entreprises comme dans les PME du divertissement, Adigery (noire) et Pupil (jaune) passent donc un bon coup de karcher sur toutes les idées reçues, mais sans jamais pointer du doigt. La destination, ici, est montrée avec les pieds. Et cette pop futuriste et disons responsable leur va comme un Gand. On ne sait papa où t’es, mais on aimerait bien voir cette ville polyglotte, à l’image du duo, devenir la capitale d’un monde où les couleurs ne seraient plus qu’une nuance sans importance.
Charlotte Adigéry & Bolis Pupil // Topical Dancer // Deewee (Because)
3 commentaires
la ‘belnik’ cé çà?
beurk! sur merde!