Avec sa dégaine de bibliothécaire et son sourire discret, l’Australienne Carla Dal Forno bricole une coldwave captivante entre mélodies pop et instrumentaux planants sur son deuxième album, « Look Up Sharp ».

Les jeunes femmes de la relève électronique se débrouillent très bien toute seule. Kaitlyn Aurelia Smith, Kelly Lee Owens ou encore – entre autres – Molly Nilsson mènent chacune leur petit business d’une douce main de maître, allant jusqu’à gérer composition en home studio, visuels voire parfois même label. C’est le cas précis de l’Australienne Carla Dal Forno, nouvelle lointaine descendante des Suzanne Ciani et autre Laurie Anderson. Après avoir bourlingué dans différents groupes amateurs dans sa très créative Melbourne natale, c’est en Europe qu’elle a véritablement commencé à prendre son envol. D’abord par un passage dans la Mecque berlinoise avant de s’installer depuis maintenant deux ans à Londres où – comme Kelly Lee Owens – elle a bossé chez un disquaire tout en continuant à faire de la musique dans son studio artisanal.

Un album (« You Know What It’s Like ») et deux EP’s (« The Garden » et un autre de reprises dont Lana Del Rey) encourageants mais parfois hésitants plus tard, elle a creusé son sillon entre instrumentaux d’inspiration ambient, grosse influence coldwave / post-punk 80’s et nappes de synthés analogiques. Rien de bien original pourrait-on se dire en 2019 quand des tas de groupes pouvant venir de Niort ou de Rostov-sur-le-Don se revendiquent de ces fameuses années 80 : vieille diva fatiguée désormais totalement fantasmée par toute une génération de jeunes musiciens.

La différence entre Dal Forno et l’armée de néo-corbeaux en mal d’inspiration est finalement assez simple. L’Australienne se sert bien évidemment de tout l’attirail goth comme d’un décorum pour sa musique mais c’est au service de vrais bons morceaux ce qui change forcément tout. Alors au moment du deuxième album, elle a quitté son label Blackest Ever Black pour monter sa propre affaire Kallista Records, et son « Look Up Sharp » confirme tous les espoirs placés en la compatriote de Nick Cave et Crocodile Dundee. Et probablement encore un peu plus tant elle élargit la palette sur ce nouveau disque.

Basse hookienne, bruits sourds et angoissants qui vire à la claustrophobie époque « Closer », le décor est planté dès le très beau No Trace qui a du faire remuer Martin Hannett dans sa tombe presque trente ans après sa mort. Près de la moitié des titre sont des instrumentaux inspirés ; allant du simili post-rock (Hype Sleep) à du early-Eno orientalisant (Leaving For Japan) du médiévalo-gothique à la Cocteau Twins (Heart Oh Hearts) ou carrément de l’ambient atmosphérique (Creep Out Of Bed).

Une série d’illustrations sonores vaporeuses qui mettent en valeur notamment les deux impeccables premiers singles (So Much Better, Took A Long Time) où la voix éthérée et tout le talent pop de la jeune femme sont mis en évidence. Car si l’ambiance est lugubre, les titres sont efficaces et plein d’humour comme le Don’t Follow Me en clin d’œil au A Forest de The Cure mais c’est cette fois l’homme qui est traqué par une femme dans la forêt. Et elle a de l’audace en osant même rappeler un genre devenu infréquentable aujourd’hui comme le trip-hop sur Push On et ses beats breakés. Attention pas du lounge pour lobby d’hôtel mais en allant plutôt chercher vers le grinçant « Mezzanine » de Massive Attack. Une influence qu’elle revendique sans complexe car, comme ses congénères citées plus haut dans l’ambient ou la techno, elle recycle avec talent Carla Dal Forno : sa musique goth pas du tout glauque donnerait presque envie d’aller faire un brunch dans les catacombes dimanche matin.

Carla Dal Forno // Look Up Sharp // Kallista Records

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