24 mai 2025

Astral Quest : de l’acid-blues en Franche-Comté

Photo : Félix Devaux

Pauvre scène rock française qui titube malgré d’excellents groupes dans tous les coins, la faute aux difficultés grandissantes pour organiser des concerts et y faire venir du monde. On connaît un vrai fossé générationnel, fortement marqué par une culture et une approche de la musique très différente. Le rock’n’roll et ses repères, ainsi que son expression en direct sur scène, ne sont plus ceux des kids, du moins une grande majorité. On picore sous influences des plate-formes de streaming, on ne se déplace que pour des grands évènements médiatiques comme Jul au Stade de France, sinon, tout se consomme en ligne, avec des appétences marquées pour le rap et les sonorités electro. Je désespère un peu de voir essentiellement ce que l’on appelle des « boomers » aux concerts, et juste une poignée de jeunes gens, souvent là grâce à un parent.

Il faut dire que le rock joue aussi contre son camp, à mettre en permanence en avant la nostalgie, les anniversaires d’albums mythiques, les tournées célébrations, les reformations ultimes de musiciens devenus des vieillards fortement diminués à des prix de billetterie d’escroc qui écartent de fait les plus jeunes amateurs potentiels. Il reste heureusement les petits concerts, et notamment en province. Mais pas facile de donner envie à un jeune public qui n’a à-priori pas de connexions avec l’univers du rock et de ses codes blues et psychédéliques. Le stoner-rock, le doom-metal, et quelques musiques métallisées à tendance acide ou bluesy drainent malgré tout un public autour d’une trentaine d’années, plutôt esthète, ou qui désire se différencier de la masse.
Besançon n’est pas encore trop mal loti, avec pas mal de petites salles, qui commencent à quitter le snobisme du punk pour laisser entrer des groupes plus variés, du Metal aux sonorités blues et psychédéliques. L’Alsace a aussi un gros potentiel en matière de heavy music, mais les connexions ne se font pas facilement, car il y a toujours cette chimère du « groupe local », plus facile à engager parce que proche géographiquement, et pas trop gourmand financièrement.

Astral Quest n’est pas un petit nouveau. Son guitariste-chanteur Jean-Marc Devaux joue du blues et du rock en Franche-Comté depuis presque trente ans. Astral Quest est un trio qu’il a fondé, et qui a sorti son premier album en 2001, « Astral Quest ». L’objectif était de sortir du strict cadre du blues-rock pour aller vers les musiques acides qu’il souhaitait y mélanger : Cream, Procol Harum, Nektar, Hawkwind… Assez logiquement, Astral Quest est stoner-rock, ou plutôt stoner-blues. Après un second album également réussi en 2007, « Electrick Shaman », le trio ne trouve pas son public dans un périmètre habitué à une musique plus facile d’accès. Les références étaient subtiles, certes, mais Astral Quest n’en a pas fait un étendard. Il suffisait juste d’écouter et de s’immerger dedans. Mais l’esprit humain est ainsi fait : il ne lâche pas facilement prise.

Photo : Félix Devaux

Jean-Marc Devaux a continué ses aventures avec les Hipshakers et les Cosmix Banditos, plus blues-rock et taillés pour remuer les petits festivals et les concerts dans les clubs. Reformé en 2023 avec Vincent Fauvey à la basse et Serge Migneret à la batterie, Astral Quest a publié un excellent troisième album la même année : « Groundshaker ». Il manquait une pièce majeure à la discographie : un enregistrement live. Car c’est là que la férocité du trio s’exprime parfaitement. Mais Jean-Marc Devaux a voulu faire les choses bien, avec une bonne prise de son et un bon mixage, à l’ancienne, comme à l’époque du Rolling Stone Mobile Studio. C’est grâce à une cagnotte participative que « Loud’N’Clear 2025 » a vu le jour.
Et en fait, il faut le dire ici : le son live change beaucoup de choses. On sent la musique d’Astral Quest vibrer enfin clairement et profondément, moins bridée par l’effet un peu capsule du studio. Jean-Marc Devaux y est en totale liberté, faisant sortir de Gibson Les Paul des sons chauds et acides, sur lesquels il pose sa voix au trémolo si caractéristique, entre Jack Bruce de Cream et Roger Chapman de Family. Astral Quest ne fait pas dans la surenchère heavy-blues, mais bâtit un son riche qui emplit les enceintes, et semble couler en un débit d’apparence fluide et doux, mais régulièrement tumultueux, comme la proverbiale Loue.

Photo : Félix Devaux

Devaux, Fauvey et Migneret sont trois musiciens brillants, ne s’éparpillant pas en démonstration soliste. La cohésion est toujours de mise pour créer un mur du son mêlant la chaleur du blues-rock de Chicken Shack et de Savoy Brown, et l’acidité de Procol Harum et de Jimi Hendrix.
Astral Quest n’a pas enregistré son concert dans son fief de Lons-Le-Saunier dans le Jura, mais à Besançon, au Bastion, qui offre salles de concerts, de répétition, et un studio. Ce que l’on entend sur bande, c’est un petit concert chaleureux et habité, où la musique prend possession des murs. Le temps semble se suspendre une heure durant, et retrouve la magie des années 1970, rafraîchie et relue. Un groupe d’une chaleur musicale aussi intense ne pouvait pas passer à côté d’un petit plaisir d’esthète : une reprise de Going Down de Don Nix, qui sera un cheval de bataille pour Jeff Beck et Chicken Shack.
Dès Ground Shaker, Light Bringer, on plonge dans le brasier. Jean-Marc Devaux mène le morceau un peu à la Free, avec un riff doux et accrocheur, après une introduction psychédélique. La voix au trémolo semble amadouer l’auditeur, mais la guitare, soutenue par la basse, a tendance à grogner de plus en plus fort, de ce son rauque et saturé du blues anglais devant beaucoup à Stan Webb et Robin Trower. La montée en puissance se fait, les caisses résonnant plus fort, la basse vrombissant plus nettement, et la guitare coassant de wah-wah hallucinée.
Going Down poursuit le voyage avec un ton plus sombre. Only Love Matters enchaîne, avec une ligne rythmique un peu bousculée et une ligne pop à la Yardbirds, rappelant leur Heart Full Of Soul. Mais Jean-Marc Devaux n’est ni un clone de Beck, ni de Page. Le son bleu et dense teinté de wah-wah finement contenu rappelle Peter Green. Mais lorsqu’il s’envole en solos cosmiques plein d’écho, c’est le Robin Trower de « Bridge Of Sighs » qui vient à l’esprit. On pourra dire que j’inonde le lecteur de références subtiles et méconnues du jeune public. Astral Quest est indiscutablement aussi une porte d’entrée vers des artistes des années 1960-1970 séminaux.

Photo : Félix Devaux

Look At Yourself est un morceau du second album, propice à l’improvisation hallucinée et space-rock renforcé par le synthétiseur de Jean-Paul « Léa » Barbier qui vient convoquer Hawkwind. Astral Quest pioche avec parcimonie dans ses deux premiers albums, pour mettre en avant ce troisième album, « Loud’N’Clear 2025 » étant le deuxième disque de suite d’Astral Quest à disposer du même line-up. Jean-Marc Devaux est-il un dangereux leader à l’ego surgonflé par la cocaïne ? Il n’est qu’un courageux musicien tentant de faire vivre un groupe passion avec tous les obstacles que cela comporte en termes d’enregistrement et de scène en province. Est-il un malheureux personnage maudit par la terre franc-comtoise ? Stan Webb, le guitariste-chanteur de Chicken Shack, avec lequel Jean-Marc Devaux entretient de nombreuses similitudes (même jeu généreux, même feeling, même flegme), ne gardera pas un seul de ses line-ups stables d’un album, voire d’une tournée à l’autre à partir de 1970. L’argent est le nerf de la guerre, toujours, et souvent le fossoyeur des plus belles passions.
Il y a aussi de la nouveauté sur cet album, avec la nouvelle pépite The (Still Untold) Saga Of Our Cosmic Rush, dont la longueur et la bizarrerie texuelle rappelle autant Budgie que les Moody Blues. Le riff rappelle Mississippi Queen de Mountain, et en fait, le solo également. Dear Politician Blues résonne autant de Cream (le morceau Politician) que de Free. Le résultat final est assez génial. Il enchaîne sur un étonnant solo de batterie basé sur un morceau du troisième album : Navajo Earth Connection. C’est un travail sur les sonorités des caisses à la Ginger Baker et Art Blakey, et c’est extrêmement exigeant en termes de niveau de batterie. Devaux a trouvé en Serge Migneret son Ginger Baker, le côté frappadingue en moins. Les solos de batterie sont rares de nos jours, car difficiles à rendre passionnants sans être redondants.

Photo : Félix Devaux

You Have Lost Your War est un nouvel extrait de l’album « Groundshaker ». Il a la nervosité d’un bon Led Zeppelin de 1969, et ce mélange de hargne et de douceur typique des groupes heavy-psychédéliques des années 1960-1970. Devaux est encore et toujours intenable sur les attaques, mais reste un musicien concis et construit. Il ne fait pas dévaler les notes pour rien comme un Eric Clapton pris au piège de Cream. Il développe ses sonorités et ses notes, et emmène l’auditeur vers toujours plus de nouveaux paysages sonores et intellectuels. A ce stade, je suis en train de m’interroger. Cet étrange mélange de musique psychédélique et de heavy music me rappelle quelque chose, avec un chant particulier, original mais un peu fragile. Et c’est sur ce titre que me vient le nom de Smile, le trio pré-Queen avec Brian May, Tim Staffell et Roger Taylor.
Life Is Nothing But A Dream est à tous les niveaux une architecture à la Robin Trower. Le chant épique et poétique rappelle le bassiste-chanteur Jim Dewar, le ton soul en moins, la douceur folk en plus. On n’a pas souvent l’occasion d’entendre une guitare électrique d’une telle qualité dans nos campagnes, comme on dit à Paris. Pour avoir amoureusement écouté Robin Trower, Jimi Hendrix, Eric Clapton, Peter Green ou Frank Marino, le jeu intense de Jean-Marc Devaux est d’une qualité rare. Et celui de ses deux comparses ne l’est pas moins. Ce morceau est un intense chaudron de heavy-blues féroce comme il n’en existe plus depuis 1971.
Come On And Join Us (Cosmic Boogie) clôt le set de manière exceptionnelle. Astral Quest décide de se poser en successeur d’une tradition ancienne qui est celle du boogie électrique à rallonge. Entamée par Canned Heat avec son Fried Hockey Boogie sur l’album « Boogie With Canned Heat » en 1968, le groupe répond au Jeff’s Boogie des Yardbirds en 1966 sur l’album « Roger The Ingineer ». Mais Canned Heat l’implante davantage dans la continuité de John Lee Hooker. Il terminera en deux chefs d’oeuvre : Refried Boogie sur l’album « Living The Blues », et Woodstock Boogie, saisi sur pellicules pour le film « Woodstock », évidemment en 1969. Le boogie cela s’étendra de la Grande-Bretagne avec Status Quo jusqu’à la Hollande avec le fantastique L.B. Boogie du groupe Livin’ Blues en live en 1975. Come On And Join Us (Cosmic Boogie) est cet héritage, et il est particulièrement réussi. Car si cette musique semble simple, elle a besoin de créativité pour être palpitante. Et c’est le cas de Come On And Join Us (Cosmic Boogie), qui ravive ce vieux feu oublié qui, vues les réactions du public, conserve intacte son efficacité.
Astral Quest sonne de manière totalement unique, loin des ersatz de Stevie Ray Vaughan et des Joe Bonnamassa, alignant les descentes de manche et les bends de phacochères pour impressionner un public blasé. Le trio franc-comtois fait vibrer cette subtile corde acide dans sa musique, dont les résonances illuminent et irradient les onze morceaux de cet album d’une honnêteté totale. On imagine une belle affiche associant Ganafoul et Astral Quest pour une soirée de rêve, au chaud au coin du boogie réconfortant, de celui qui fait oublier pendant quelques heures les emmerdes de la semaine. Ce bel album fait vivre ce feu sacré le temps de chaque écoute, et permet de se donner le courage de se lever le matin.

Photo : Félix Devaux

Merci à Félix Devaux (felixdevaux.com) pour les photos.

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