Encensé par Tecknikart, défoncé par Chronicart et oublié de tous peu après, tel fut le destin de cet essai culte pour tout aspirant dandy du début des années 2000. J

Encensé par Tecknikart, défoncé par Chronicart et oublié de tous peu après, tel fut le destin de cet essai culte pour tout aspirant dandy du début des années 2000. J’avais alors 18 ans et décidais que le concept de dandysme ne pouvait pas se décliner exclusivement au masculin et l’essai de Camille de Toledo (oui, c’est un pseudonyme) venait de légitimer, grâce à quelques arguments « prêts-à-penser » réconfortants, ma tendance au spleen.

Lorsqu’il termine son livre à presque 25 ans, le jeune homme a tout lu (de Foucault à Deleuze en passant par Fukuyama et Hakim Bey), a tout vécu (depuis les bancs des grandes écoles jusqu’aux squats artistiques londoniens) et souffre du syndrome du « je suis le petit fils d’Antoine Riboud – fondateur de Danone – et je n’aime pas les yaourts ». A la suite de ce qu’il nomme le double effondrement (Mur de Berlin et World Trade Center), il tente de justifier sa défiance face au capitalisme et sa foi dans la naïveté choisie. Il y a quelques mois, le besoin s’est fait sentir de reprendre ce livre dont il ne me restait en tête que la couverture laide montrant une fille aux seins tombants seulement vêtue d’un masque de Kermit et de collants verts pomme. Une fois l’écran  de fumée du « je comprends pas toujours ce qu’il raconte mais c’est surement très cool » dissipé, que reste-t-il du héros du sortir de l’adolescence ? Pendant 6 mois, ce livre a donc traîné au fond de mon sac, tel une amulette me préservant de la médiocrité morosité ambiante.

« L’épaisseur, cher ange, est un truc de has been, disait la fille. Au contraire, le fluide, cher ange, réconcilie la culture et l’économie. Ecoutez. Vous entendez le cri du dauphin… » Elle s’arrêta net et se mit à osciller du cul.

Ecrit à la fin des années 90, l’essai de Toledo est contemporain de l’affirmation de l’ère du flux (financier et d’information), renforçant la  défiance de l’auteur face au règne de l’immatériel. Il légitime ce rejet par l’existence de « pierres » venues bloquer toute perspective d’avenir pour une génération désabusée, un peu trop encline à céder au cynisme et à l’inaction. Ces pierres, Toledo en compte cinq. Les deux premières  ont fait du libéralisme le mode de gestion sociétal ultime et indépassable, supposé assurer le maintien de  l’équilibre international. Les deux suivantes ont induit une absorption de la subversion et de la contre-culture par la société marchande. Partant de l’exemple du mouvement Situationniste récupéré de toute part, Toledo constate la perte de capacité de nuisance des mouvements dits alternatifs. La dernière pierre a disséminé les lieux de pouvoir économique et politique. En conséquence, il serait impossible de s’opposer efficacement aux dérives du système.

L’auteur évoque ensuite la naissance du « schizophrène heureux ». Cet individu qui, ayant choisi de répondre aux sollicitations permanentes du flux, le vit comme un privilège. Il célèbre la légèreté et la célérité tout en méprisant l’épaisseur et la chair périssable. Entre autres solutions plus ou moins pertinentes pour sortir de l’ère du fatalisme et de la médiocrité intériorisée, Camille de Toledo évoque le concept de « romantisme aux yeux ouverts », cette idée de candeur choisie qui permettrait le dépassement de la résignation. Selon lui, le romantique se doit de lutter contre l’amalgame Art et Capital en choisissant de croire au pouvoir de l’utopie et de l’insurrection pacifiste.

La verve de Camille de Toledo a cela de touchant qu’elle est pleine d’une naïveté faite mode de pensée. Usant d’un vocabulaire lyrique justifié par sa passion pour l’esthétique romantique, Archimondain Jolipunk tient plus du journal intime que de l’essai sociologique. Construit comme un roman avec happy end au troisième acte, l’essai traîne son lot de passages tirés par les cheveux. Encore très proche des méthodologies scolaires qu’il critique, Toledo invoque des concepts abstraits plombant son livre de quelques moments de pure branlette intellectuelle. Usant et abusant du name dropping, ses citations longues et pas toujours pertinentes ramènent aux dissertations de philosophie écrites avec l’obligation de remplir deux copies doubles. Qui plus est, le livre offre en appendice un récapitulatif supposé rationaliser une réflexion tenant plus de l’exercice esthétique que du raisonnement scientifique. S’il n’épargne aucun lieu commun, l’essai de Camille de Toledo a au moins l’avantage de les énumérer afin de les intégrer consciemment. Ce patchwork pas toujours cohérent de pensées d’auteurs prédigérées et de raccourcis séduisants demeure un précieux guide de conversation à l’usage des jeunes gens à contre-courant qui, tels des sardines, aspirent à remonter la rivière en banc.

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