Un chroniqueur de rock invité dans un club pour son nouveau bouquin, à Paris cela aurait été un peu pompeux. Petits fours et gloussements à moins de trente centimètres de journ

Un chroniqueur de rock invité dans un club pour son nouveau bouquin, à Paris cela aurait été un peu pompeux. Petits fours et gloussements à moins de trente centimètres de journalistes tentant de réussir un shooting. Mais en province ?

Vous allez me dire que recevoir Alain Feydri ce n’est pas non plus comme accueillir Paringaux ou Ungemuth. C’est possible. En plus de sa récente bio des Cramps, le bonhomme n’a édité qu’une bio des Kinks et participé à un livre sur les Dogs. J’étais d’ailleurs loin de me douter que dans cette salle de concert miteuse mais authentiquement rock, j’allais avoir en face de moi un puit de science rock’n’roll. Debout, devant une trentaine de teddy-rockeurs, punkettes, dandies, et même un type affublé d’une banane à faire rêver les Forbans, Alain Feydri raconte.

« J’ai le même âge que Joe Strummer. Quand il est mort cela m’a fait un choc parce que bon, on est nés à une semaine de différence. »

Sur une bande son préparée par ses soins, il passe en revue la cinéphilie notoire des Cramps. Citant à la fois les films qui firent office d’inspiration avérée à leurs chansons dont la Créature du Lagon Noir, 10 000 Maniacs, et ceux réfutés mais ouvertement adulés, tels La Mouche Noire ou Teenage Werewolf. Leur passion pour l’épouvante cheap des fifities (Ed Wood, Vampira, Bela Lugosi). Et leur sulfureuse affection pour les cinéastes violentissimes, de Cassavetes (The Killing of a Chinese Bookie) à Herschell Gordon Lewis en passant par Kubrick (The Killing) ou simplement déjantés (Russ Meyer, John Waters)…

« Ils ont une conception du rock assez abstraite. D’ailleurs ils ne disent jamais rock, ils disent rock’n’roll. Et la nuance chez eux, c’est pas anodin… »

Que Lux et Ivy furent suffisamment toqués pour connaître et aduler des types comme Ray Dennis Steckler ou Timothy Carey (dont Elvis était fan) est une chose. Mais dieu de dieu, l’homme connaît son sujet. Il a clairement tout absorbé. Tout fouillé, gratté jusqu’à l’os.
Finalement, il attaque par le menu les films auxquels ils ont eux-même été directement liés : la tentative avortée de remake du classique fantastique The Mask par Lux Interior, des rôles dans la suite de Blood Feast (premier film étiqueté ‘gore’), une apparition dans The Foreigner d’Amos Poe, la soundtrack rejetée de Crybaby qui finira sur le maxi All Women Are Bad, et la participation (sous la forme de cris de Lux) au Dracula de Coppola. Ouf…

« Les Cramps considéraient que le rock’n’roll était une forme d’art bien plus large que la musique. (…) La fascination que j’ai pour eux elle est liée à ça : leur monde, il est vaste. C’est le cinéma, c’est les tueurs en série… « 

Un scopitone démarre, et Alain Feydri entame une poignée de dédicaces de son bouquin. Encore embaumé d’une funèbre odeur de neuf. Quand nous partagerons une bière, à l’écart, ce sera l’objet de ma première question :

La sortie d’un bouquin sur un groupe oublié et négligé alors même que le crooner dégingandé vient de casser sa pipe, hasard ou réactivité exemplaire ?

« Parfaite et horrible coïncidence ! »


Et pour cause. Au mois de Septembre dernier, son ordinateur a planté, perdant une bonne part de l’avancée des travaux. Une fois (re)terminé, le bouquin part « En toute fidélité » chez ceux qui lui avaient fait confiance pour son premier ouvrage (Julie Production, éditeur activiste rock’n’roll de Montpellier), et ne sortira de l’imprimerie par un sombre coup du destin que l’avant veille du décès de Lux Interior. Coup de pub magistral, aurait on dit chez d’autres ; Alain Feydri lui est surtout estomaqué. Flippant d’avoir un lien, si ténu soit-il, avec la disparition d’une de ses idoles.
Sans exagérer, puisqu’il suivait le groupe depuis leur débuts, refusant de considérer un seul de leurs albums comme la répétition des précédents ou l’applicatio nd’une recette : « Les Cramps ont un rapport assez fort avec les choses du passé, de leur jeunesse quelque part. Mais en même temps c’est un groupe qui n’a jamais fait ‘passéiste’. Musicalement ils n’ont jamais fait d’imitations de rockabilly comme ont pu le faire des gens comme Robert Gordon… Les Cramps triturent malaxent déforme mais ne font pas de copie conforme. »

Bon. Alors. Un groupe formé en 75 qui fait du rock’n’roll sans être passéiste, il y a un mot qui saute à la figure, non ? Un truc fort et violent. Et pourtant…

« C’est les grands oublié du CBGB’s ! (…) Il y a un énorme malentendu entre eux et New York. Ils sont considérés comme des pedzouilles qui arrivent du Midwest. (…) Je pense qu’ils n’avaient pas le ‘verni culturel’ comme Television ou Talking Heads qui sont plus cérébraux. N.Y. est une ville particulière, une ville où l’art est pris très au sérieux. Et les Cramps n’ont pas ce vernis là. »

Les Ramones aussi se font étiqueter ‘cartoon’, mais avec « une identité new yorkaise assez forte ; ce que les Cramps sont loin d’avoir ». Lors d’une tournée avec The Fall (un plan improbable dû à leur présence à tous deux chez I.R.S.) ils se font même traiter de ‘Kiss’ par Mark Smith. « Ce qui avait beaucoup vexé Lux. Mais en même temps les Cramps c’est aussi ça. Il y a un côté spectacle, en donner aux gens pour leur argent »

Prenant le parti de mettre de la distance, ils écrivent Garbage Man qui assène dès l’ouverture ‘You ain’t no punk, you punk!’ et tracent leur route. Là où les punk veulent faire table rase du passé, Lux et Ivy veulent l’inverse : ressusciter la fièvre rockabilly, le sixties garage… Monomaniaques, ils passeront leur vie à jouer les passeurs :
« Les Trashmens, Hasil Adkins… Je me suis trouvé aux Etats Unis en 77 et les gens qui connaissaient les Sonics à l’époque s’échangeaient ça sur des petites cassettes pourries. On était content d’écouter un bout des Sonics, c’était un Graal mythique. On est loin de ce qu’ils sont devenus aujourd’hui : réédités, tout le monde les connaît. (…) Les Cramps ont déterré tout un pan de l’histoire du rock américain. »

Leur seul héritage. Car aucun groupe ne se réclamera des Cramps. A part peut être The Meteors. Mais  c’est remonter l’éternel débat à la surface : « Les Cramps ont désavoué très rapidement le psychobilly. Ils n’aiment pas quand ça va trop vite. Le psycho’ c’est devenu un truc où les groupes jouent 120 km/h sans substance. » Ok. Mais y’a-t-il oui ou non collusion entre ces furieux redneck et les zombis du rock’n’roll ? C’est ça que tout le monde se demande!

« En fait le terme psychobilly au départ, ça vient d’une chanson de Johnny Cash. One Piece At A Time. Et c’est là pour la première fois qu’est utilisé le terme psycho-billy. Et les Cramps ont réuilisé la formule, sans jamais dire qu’il l’avait emprunté. (…) Ils l’utilisent sur les flyers pour vendre les premiers concerts du groupe. Ils se définissent comme ‘psycho-billy’, ou ‘psycho-cats’… Dans leur esprit, c’est réinventer le rockabilly de façon psychotique. Et les Meteors se l’ont réapproprié… « 

Voilà pour les faits. Et pour la subjectivité ?

« Je n’ai aucune sympathie pour le psychobilly. C’est une musique qui m’assomme, c’est vraiment chiant. J’aime que la musique ait un peu de groove, un peu de chaleur… Là, c’est bêtement agressif. »

Evoquant même les foules de skins qui faisaient office de fanclub dans les tournées des Meteors, notamment au Gibus. A ce moment, une dispute éclate à côté de nous. Une fille éméchée se met à hurler, agressant un dragueur guère plus sobre. Nous rions. Jaune. La violence. Aussi emblématique du boom punk que du rockabilly originel. Remember Jerry Lee Lewis…

« Les Cramps ont des théories là dessus, sur le Sud. L’emprise de la religion chez les artistes du sud des USA, et la façon dont certains ont essayé de se débarrasser de ça sans y parvenir complètement. Cette espèce de dualité permanente, c’est presque le bien et le mal. (…) Quand ils donnent le titre à leur album, Songs The Lord Taught Us, c’est pas gratuit. Ça fait référence à ça. »

Alors quand on joue ce jeu là, on cherche quoi, la rédemption ou l’excommunication ?

« La religion et les Cramps, c’est tout et n’importe quoi. On croit en rien, on croit à tout. Ils disent tout et son contraire. » Avec des crises de foi effectivement assez déroutant…
« A un moment, Ivy refusait de voir Jeffrey Lee Pierce (NDA du Gun Club) parce qu’elle était persuadée qu’il lui avait jeté un sort ! Bon il faut savoir que Pierce et Kid Congo ont pas mal flirté avec toutes ces croyances, le vaudou etc. En fait ils étaient défoncés, c’était des junkies. Sauf qu’Ivy avait pris tout ça très au sérieux… »
De même, ils se fâchèrent avec leur guitariste emblématique, Bryan Gregory, parce qu’il pratiquait des messes noires et le vaudou. Pourtant les deux tourtereaux en cuir sont loin d’être des enfants de choeur : « Kid Congo Powers c’est les Cramps qui l’ont baptisé ainsi parce qu’ils avaient acheté des chandelles à effets magique, des chandelles vaudou, et ils ont trouvé que le nom sonnait bien alors ils lui ont proposé ça. Tu vois, ils refusaient ça, mais ils avaient un flirt permanent avec ‘les’ religions, au sens très très large. Les croyances. C’est très ambigu »

Nos bières sont à l’agonie alors Alain m’invite. Ayant été bien éduqué, je ne peux pas refuser. D’autant que je suis sur paille Et puis je n’ai aucune envie de clôturer la conversation. Seul à l’attendre, les phrases tournent dans ma tête. « Les Sonics… aux Etats Unis en 77″… « Myriam Linna, leur seconde batteuse, que j’ai réussi à interviewer »… « Le discours punk ambiant à l’époque, je l’ai vécu de très près »… « Marc Zermati, que j’ai rencontré tardivement alors que j’étais client de l’open market »…

A son retour j’ai sauté sur l’occasion de découvrir l’hommme derrière la culture.

« Moi ? Pour vivre, je travaille pour l’imprimerie des timbres poste. En fait je suis postier, comme Bukowski sauf que je l’ai fait plus longtemps que lui »

L’évocation de ce vieux Hank nous fait marrer mais j’en reviens à mes moutons ; on ne se met pas à écrire comme ça à la cinquantaine. So who are you ? J’étais sur le point de redécouvrir une part de l’histoire du rock vue de l’hexagone…

« Les premiers trucs que j’ai écrit c’était en 78 à Paris dans un magazine mort-né qui s’appelait Rocks, qui a duré un numéro. Dans lequel j’avais fait quelques critiques de disques, et la critique d’un concert de Ian Dury au Bataclan. Tu vois, ça date pas d’hier. »
Vérification faite, il y avait aussi une chronique de Père Ubu. Cleveland, Akron… déjà.  Il me raconte son amitié avec Youri Lenquette, photographe et correspondant à Londres pour Best. « Il m’avait proposé de reprendre sa rubrique sachant que c’était très mal payé et un peu aléatoire. J’avais réfléchi, je m’étais dit ce n’est peut être pas la meilleure idée. Et j’ai bien fait parce que trois mois après, Best a abandonné la rubrique. »

Last but not least, par sons biais, Alain trainant ses guêtres à Londres rencontrera Lindsay Hutton, responsable écossais du fan culb des Cramps qu’il faillit (encore un acte manqué) relayer à ce poste…

« Après je suis rentré en Dordogne, en 85-86, et j’ai commencé à participer à un magnifique fanzine fabriqué à Toulouse qui s’appelait Nineteen, et qui a duré plusieurs année. Là j’étais un des piliers, on tournait sur 7-8 personnes »

Un exemplaire déniché depuis affiche un beau papier de fond sur Johnny Burnette qui trahissait déjà une passion pour le rockab’.

« Après ça j’ai enchaîné, j’ai écrit pour Abus Dangereux (je continue d’ailleurs), j’ai écrit pour Rock Sound, pour Rolling Stones France, j’ai écrit pour XRoads, pour pas mal de magazine… »

Viennent les années 80 où il se plonge dans le paisley, Green On Red, Rain Parade etc, avant de prendre en main un groupe. Celui de ses frères, Scuba Drivers, évoluant dans le giron du label Closer (Fixed Up, City Kids et des certains Thugs…) faisant de lui un manager, prônant le D.I.Y. et le vivant à pleines dents

« Un bon souvenir les années 80, je me suis bien marré. Je souviens d’ailleurs, en 87-88 (sic), d’une soirée organisée par leur label, Spliff, au Fahrenheit d’Issy les Moulineaux. La contenance, je ne m’en souviens plus mais la salle était pleine. Dix jours plus tard, Nirvana et Tad jouaient au même endroit (…). Et les jours suivant à Paris, si tout ceux qui prétendaient avoir été à ce concert avaient vraiment pu, la salle aurait explosé. »

Le déclin des années 90 ? « Moi je me suis toujours intéressé à des trucs hors normes. En écrivant pour des fanzines tu reçois des trucs fait de manière artisanale, et t’arrive toujours à trouver des trucs intéressants dans le lot. Bon y’a de la daube comme partout, mais… »

Le temps se rapproche. Demandant « Et aujourd’hui ? » le voilà qui défend un petit fanzine toulousain, Dig It, passionné de soul et de garage, affichant soudain une ferveur qui fait chaud au coeur. Nous sourions. Cette ferveur-là, c’est celle qui est au coeur du rock’n’roll. Le combustible même de Gonzaï. L’essence même de ce que nous avons partagé ce soir. Une vie de fanzine ; dans l’ombre donc, mais pas dans le silence.

Il dédicace encore quand je pars, flottant, l’impression d’avoir survolé 50 ans d’un seul coup. 57 pardon.

« Comme je te disais, je suis né en 1952. Comme tous les Ramones morts aussi. Le seul qui n’est pas mort, Tommy, est né en 51… Tu vois ? »

Je vois bien.

14 commentaires

  1. Alain Feydri aime THE GORGONS (mais il n’a pas eu a acheter leur album)(je crois) STUFFED DELICE un merveilleux cadeau de Noel…disponible a droite et a gauche, mais plutot a gauche.
    STUUFED DELICE le dernier Gorgons (ever)

  2. Bonjour Alain, magnifique article…et de Ts belles illustrations…t as ecrit pour CROSSROADs??

    T’as ete paye?

    Bien a toi…

    Francis

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