La musique celtique traditionnelle ne rime pas toujours avec des compilations de biniou indigestes aux visuels douteux. Quand Gwenno s’en mêle, ça donne « Tresor », un kaléidoscope d’influences passées et actuelles entremêlées dans un univers à la croisée des chemins entre Jane Weaver et Vanishing Twin.

À 41 ans, Gwenno semble déjà avoir vécu une bonne dizaine de vies. Née au Pays de Galle, à Cardiff, elle est devenue danseuse à 16 ans pour un spectacle irlandais de Las Vegas. De retour en Grande-Bretagne, elle a ensuite participé au concours Eurovision de 2003, puis a rejoint le groupe de pop anglais The Pipettes, dans le plus pur style des girl-bands des 60s, type Ronettes et autres Shangri-Las. Elle a ensuite suivi le groupe australien Pnau, et ainsi partagé quelques scènes avec un certain Elton John, pourtant très éloigné musicalement du conte féérique dont il est ici question.

Lorsqu’elle décide de faire cavalière seule, Gwenno opère un virage radical. Son premier album « Y Dydd Olaf » (2014) est chanté quasi exclusivement en gallois, tout comme le suivant (« Le Kov », 2018). Son dernier album « Tresor », sorti en juillet, suit tranquillement la courbe du virage (qui n’en est maintenant plus vraiment un).

Gwenno - Tresor | daMusic

Gouaille des Cornouailles 

Ici, Gwenno chante en cornique, sa langue maternelle, transmise par son poète de père. Lui-même écrivait et parlait dans ce dialecte oublié, apparu autour du VIIe siècle en Cornouailles et disparu un millénaire plus tard devant la soif d’hégémonie culturelle de l’Angleterre. Ce n’est qu’en 2010 que l’UNESCO a cessé de considérer le cornique comme une langue morte.

Ne serait-ce que par ce prisme du langage, « Tresor » est empreint d’une conscience politique très pointue, elle aussi relevant de l’affaire familiale. Pour compléter l’arbre généalogique, la mère de Gwenno était membre de la « Chorale rouge de Cardiff », et son activisme politique (très à gauche sur l’échiquier) la mènera par deux fois à la case prison pendant les années 80, alors que sa fille apprenait tout juste à marcher. Le choix de chanter en cornique (et en gallois sur N.Y.C.A.W, acronyme de « le Pays de Galle n’est pas à vendre »), c’est donc pour Gwenno une prise de position indispensable et viscérale, une invitation à s’émanciper de la culture globalisée et de l’omniprésence de l’anglais (qui, d’ailleurs, n’est que la troisième langue de la chanteuse, après le gallois maternel).

Psyché jungien

Au-delà de son aspect politique et de son originalité linguistique (vous en connaissez beaucoup, des albums en cornique nommés aux Mercury Prize 2022 ?), « Tresor » est aussi une mosaïque d’une extrême finesse, une œuvre absolument unique aux sources d’inspiration aussi diverses que profondes. Il y a évidemment le folklore celtique et ses contes, mais aussi le christianisme, l’histoire personnelle de la chanteuse et sa récente maternité. Elle s’est aussi intéressée aux théories du psychologue Carl Jung sur l’inconscient collectif, comme une manière de canaliser ces influences, entre mythologie, récit de l’individualité et hommage à la culture celte.

Cette mosaïque est aussi au cœur même de la musique de « Tresor ». La psych-folk rencontre les rythmes new wave et la synthpop, en empruntant quelques détours ambient et atmosphériques : si l’album peut rappeler aussi bien Kate Bush, Julee Cruise ou Molly Nilsson, certains morceaux plus sombres (comme Keltek) ressemblent à ce que pourrait être le « Filosofem » de Burzum s’il était joué par la chorale de Twin Peaks ou la fée de « Never For Ever ». L’univers visuel de l’album, qui n’est pas sans rappeler le symbolisme de Jodorowsky, est une parfaite traduction de cette richesse musicale, comme le clip du morceau d’ouverture An Stevel Nowydh, sorte de conte bucolique presque angoissant.

Femme à tout faire

Sur « Tresor », Gwenno arpente ainsi une kyrielle de chemins délicats dont elle est non seulement la voix, mais aussi la principale instrumentiste, jouant tour à tour flûte, harpe celtique, lyre et claviers. Son mari Rhys Edwards (autre figure de la scène galloise, avec son groupe de psych-folk Jakokoyak) s’occupe des instruments un peu moins originaux : guitare, basse, batterie. Après deux ans d’écriture, l’enregistrement a principalement eu lieu en Cornouailles, berceau du cornique, pendant les prémices du confinement. La région était alors déserte, les résidences secondaires vides, un parfait cadre pour renforcer l’atmosphère onirique et feutrée de cet album rempli de secrets; le plus gros tenant peut-être à la relative indifférence avec laquelle il a été accueilli de ce côté de la Manche.

N’empêche : pour découvrir ce trésor, pas besoin de carte compliquée, un simple retour aux sources de la culture celtique devrait suffire à comprendre que Gwenno ne rime absolument pas avec Manau.

Gwenno // Tresor // Heavenly Recordings.
https://gwenno.bandcamp.com/album/tresor

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