Il y a 50 ans, Johnny Hallyday sortait « Vie », dernière pierre de son édifice psychédélique branlant. Deux rééditions de 1969 sont l’occasion de revenir sur cette période méconnue, la seule durant laquelle l’idole a été musicalement pertinente, déroutante, créative. Retour sur ces cinq années en quatre albums.
1966 : sortir de la salle de bain. Le 10 septembre 1966, dans une salle de bain, des lames de rasoir font de l’œil à une idole qui peine à renouer avec le succès depuis sa compromission avec l’ennemi : service militaire, mariage, refus d’être enfermé en cage à Médrano, père de famille depuis trois semaines. Un has been de 23 ans déprimé par ce trou d’air, étouffé par la presse, écrasé par la pression de son statut de star, de mari et de père. Il plonge ses yeux bleus fatigués dans ceux des lames puis s’empare d’une boite de barbituriques. Ce jour-là, l’idole est en tête d’affiche à la Fête de l’Huma et son équipe, de l’autre côté de la porte, l’attend, le presse. Ils finissent par l’enfoncer – la porte – et trouvent Johnny Hallyday, au bord de sa première presque-mort.
Johnny a rencontré quelques problèmes quand il est retourné à Paris et s’est coupé les veines -mais il va bien maintenant » titre alors le NME, avec une photo de Johnny aux côtés d’Alan Price des Animals, le jazzman Chris Barber et l’immense Otis Redding. La photo a été prise à Londres où Johnny s’est rendu entre le 22 août et le 09 septembre pour enregistrer au Olympic Studio.
Il quittait Londres, la tête pleine de ces rencontres et des disques britanniques de 1966 annonçant l’avalanche psychédélique, l’avènement du LP et, avec lui, du concept-album : le Pet Sounds des Beach Boys, Revolver des Beatles, Blonde on Blonde de Dylan, Fifth Dimension des Byrds etc.
Bref, Jojo quitte Londres, rejoint sa salle de bain et tente de se suicider. « Mais il va bien maintenant ».
Si Dylan a eu son accident de moto de 1965 comme révélation musicale, Johnny a eu sa tentative de suicide : il effectue un virage radical, quitte à égarer le public français. Il sort, dix jours après sa tentative, Noir c’est Noir, sa catharsis. Il retourne ensuite à Londres pour poursuivre l’enregistrement de l’album Génération Perdue, accompagné des pointures britanniques Mick Jones et Tommy Brown.
Un soir, alors qu’il dinait avec le même Otis Redding, il entend un guitariste dans l’arrière-salle. Avec Otis, il s’approche de l’imprésario du musicien, Chas Chandler des Animals, et lui demande si le gamin peut faire sa première partie en France. Le gamin est américain, il vient d’arriver à Londres et, ça tombe bien, il va monter son groupe. Il s’appelle Jimi Hendrix.
De retour en France, Johnny oublie la salle de bain et retrouve la salle de concert, le 13 octobre, à Evreux. Pour l’éternité, ce sera le premier concert officiel du Jimi Hendrix Experience. La presse en parle comme « d’un mauvais cocktail entre James Brown et Chuck Berry » avec ce type qui joue de la guitare avec ses dents. A Nancy en revanche, le 14 octobre, la presse salue la performance de ce « Tommy Hendrix ». Le 18, ils sont à l’Olympia pour un Musicorama infernal et hurlant. Le public voit arriver le trio anglo-américain. Une Experience, indeed : un son de guitare déchire les amplis et, de ce déluge, les musiciens émergent. Le public, sidéré, voit le chanteur-guitariste jouer avec une seule main. De l’autre, il fait coucou. Salut les copains.
Johnny suit et chante presqu’exclusivement les titres du dernier album intégrant des beats soul suaves aux guitares saturées, des sons qui peuvent justement rappeler les lives habités et libérateurs du Redding. Johnny, en sueur, enchaine avec un medley devenu iconique : Jusqu’à minuit, Confessions, Noir c’est Noir. Dégoulinant, au sol, torse nu, les cheveux blonds le couvrant, les yeux fermés, la voix profonde et suppliante : « y a-t-il quelqu’un qui veuille m’aimer ? ».
1967 : Psychedelic. Johnny s’essuie le visage et poursuit sa carrière sur cette voie : il retourne enregistrer à Londres, chante Hey Joe sur les conseils de Jimi, s’accompagne d’une Fender Telecaster et s’adjoint les services du guitariste des Yardbirds : Jimmy Page. Il joue sur la chanson Psychedelic en 1967 puis sur A tout casser en 68 – avec un solo à l’archer qui fait tomber l’auditeur de sa proverbiale armoire.
En 1967 sort également Mon Fils qui marque la rencontre avec Jacques Revaux et donne le ton des compositions à venir avec les Blackburds, nouveau groupe de Johnny dirigé par Mick Jones. L’accent est mis sur l’épaisseur sonore avec un renforcement des cuivres : cinq trompettes rejoignent le saxo ténor. S’ajoute ensuite une pierre indispensable : le claviériste et arrangeur Richard Donnez, qui se fera connaître surtout pour ses arrangements disco avec Cloclo et Cerrone.
Les Blackburds préfacent ainsi la pop baroque des années à venir : une musique moins commerciale, emprunte de nostalgie et de mélancolie, inspirée par les structures du classique, aux paroles hallucinées se voulant poétiques. Hello Beach Boys, Moody Blues, Irrésistibles, Procol Harum…
Ils conservent une base résolument rock comme en atteste le Palais des Sports du 14 novembre durant lequel ils interprètent un Lucille en anglais. Une version soul dévastatrice, interminable, habitée. Un blondinet aux cheveux courts, large collier habillant son torse nu découvert par une veste en cuir trop courte, joue de sa Fender derrière la tête, l’explose – la Fender – et se cambre sur la scène avant de s’effondrer dans sa tire.
Lessivé, il se lance alors dans l’année 1968. Moins explosive, plus fleurie. Il troque le cuir à la Brando contre la fourrure à la Louis XVIII.
1968 : Au pays des hippies. L’année 68 se veut plus instrumentale, avec deux albums inégaux où les bonnes chansons sont excellentes et les mauvaises, plus nombreuses, sont, au mieux, ridicules. Une synthèse de sa carrière. Le premier, Jeune Homme, sorti en 1968, fait la part belle aux cuivres qui lancent l’assaut, portés par une batterie et des percussions pop et répétitives. Ils accompagnent la voix, plus profonde, au ton très narratif, de Johnny.
Le Mauvais Rêve est un monument de ce virage baroque. L’entrée par le clavier decrescendo, accompagné de la batterie effondrée et d’une guitare mélancolique, introduit un chant désabusé narrant une apocalypse froide, la marche du solitaire face à un monde en effondrement, au ralenti, dans le tumulte des distorsions et du cri final.
« Marchant dans la ville inerte j’allais dans les rues désertes. Mon cœur bat si fort que j’en tremble encore. J’étais seul parmi les morts. Des passants au regard vide, au teint de plâtre livide, pétrifiés, semblaient attendre. Et soudain on vit descendre la nuit en plein jour, du ciel un bruit sourd, les gens criaient Au Secours. »
Plus tôt dans l’album, Au pays des aveugles débute sous des airs optimistes, la voix est portée plus haut et on retrouve le motif du wanderer, le joueur de flûte aux portes de l’aube qui regarde son monde et se fait prophète de cette apocalypse.
« Les doigts de la peur m’étranglent et m’entrainent sous la terre jusqu’au pays des aveugles. Dans le feu je brûle entier malgré mon besoin de vie, prisonnier de mon esprit […] Mon testament est fini, je n’ai rien à faire ici, la réalité s’éveille. »
Pourtant, si Jojo porte la couronne de fleurs, les hippies, ce n’est toujours pas sa tasse de thé. Georges Aber, son parolier, veut pourtant le rendre hippie-compatible. Raté. La chanson Jeune Homme donne une leçon OK Boomer en règle aux jeunes révoltés : ils ne connaissent rien à la vie. Mai 68 ? Connais pas.
Le reste est globalement dispensable : Johnny manque le passage du disque comme collection de singles au LP comme entité cohérente.
L’album suivant tente de rectifier le tir avec une pochette colorée et royaliste qui ne peut qu’évoquer Sgt Pepper et, fatalement, Their Satanic Majesties Request : Rêve et Amour. (Ou, Être hippie pour Les Nuls.) En cette période de révolte estudiantine, Johnny reste plus Château de Vincennes qu’Université de Vincennes.
Sur ce disque figure le troisième chef-d’œuvre de cette année 68 : Entre mes mains. Si les paroles de Gilles Thibault ne sont pas mémorables, l’orchestration de Jean Renard est remarquable : un travail d’orfèvre entre une batterie saccadée, un clavier hanté par ses ritournelles, une même guitare mélancolique. « Entre mes mains, je n’ai plus rien, tout se brise entre mes mains », y compris la voix du chanteur, celle des regrets et des supplices. On croirait du Polnareff grand cru, voire du Aphrodite’s Child. Ce second album comporte davantage de réussites mineures : Fumée et Non, ne me dis pas adieu sont poignantes, le chanteur atteint des sommets d’interprétation pour l’époque, servi par un clavier déchirant et des cuivres écrasants. Le reste est plus inégal. On en vient à regretter que Phil Spector ou Jack Nitzsche n’aient pas chapoté le tout.
En cette fin d’année 1968, Johnny poursuit sa tournée internationale triomphale, de l’Amérique Latine au continent africain jusqu’à Johannesburg où il se casse la jambe mais poursuit le concert. De retour en France, à Lyon, il casse volontairement son plâtre en le frappant avec le pied de micro, se trouvant obligé de rester quelques jours à l’hôpital.
Une deuxième pause salutaire dans sa carrière, un deuxième accident de moto à la Dylan. Il décide de dissoudre les Blackburds tout en gardant une grande partie des musiciens, dont la colonne vertébrale que sont Jones et Brown. Il délaisse la pop baroque pour d’autres horizons : le blues rock développé, notamment, par John Mayall ou, évidemment, Cream. Bien vu, parce qu’en 1969, c’est bien un groupe de blues rock, où officie le Jimmy Page de A tout casser, qui va rendre la Terre plate en deux frappes de batterie et un dialogue guitare-voix : Led Zeppelin.
1969 : Par une nuit d’orage. Le 7 mai 1969, Johnny doit jouer un extrait de son nouvel album chez les Carpentier. Maritie trouve les chansons trop violentes, incompatibles avec son public. Il en faut une autre. En urgence, Jean Renard enregistre l’orchestration d’un titre pourtant toujours en travail, avec Bernard Estardy. Johnny arrive au studio à 1h30, y met toute son énergie, s’écroule à la fin de chaque couplet : il faut lui mettre des baffes pour le réveiller. Quelques semaines plus tard, les téléspectateurs découvrent alors Que je t’aime, déjà jouée en concert et à la radio en acoustique. C’est un raz-de-marée.
La chanson a complètement éclipsé la sortie du nouveau disque, survenue la veille. Il faut dire, cet album était un double risque. Visuellement, d’abord : il n’a pas de nom. Sur la pochette, rien, si ce n’est un type, méconnaissable, cheveux blonds courts, barbe et bandeau noir. Idem à l’intérieur : une simple troupe dans une ambiance circus entre le Strange Days des Doors et une soirée Halloween gênante dont tu cherches à fuir. L’album est surnommé Rivière…ouvre ton lit -la première chanson.
Ensuite, si les tentatives baroques et hippies répondaient à une attente du public, le son que propose ici Johnny est bien plus dur, violent et suant. Un blues-rock – à la Johnny, certes – inédit en France alors qu’apparaissent les premiers qui challengent l’idole sur le terrain du rock : Martin Circus, Magma, Zoo, Variations…
Musicalement, la clef de cet album n’est pas seulement l’influence d’Hendrix ou de Page mais bien l’apport d’un son garage, plein de distorsion, par Steve Marriott et Ronnie Lane des Small Faces, ainsi que Peter Frampton. La légende veut que Marriott ait accepté de produire le disque de Johnny uniquement pour jouer avec Frampton et le convaincre de former Humble Pie – chose faite en avril 1969.
Ainsi, avec ce nouveau groupe, les New Blackburds, exit les cinq trompettes, on en garde une. Le clavier de Donnez est doublé de l’orgue de Marriott, idem pour la basse avec Ronnie Lane. L’effacement des cuivres et le recul du clavier de Donnez se font à l’avantage des guitares : à celle de Mick Jones s’ajoutent celles d’Azoulay – fondateur des Variations -, de Marriott et de Frampton. Un mur de distorsion est inauguré, aidé par la batterie de Tommy Brown beaucoup plus lourde, rapide, martiale (jupitérienne dirait un type pas encore né en 1969).
Le disque s’ouvre donc par Rivière ouvre ton lit avec un Johnny qui débarque, sans crier gare, et apporte avec lui non seulement la frappe de batterie mais une lead guitar définitivement hendrixienne. Ensuite, l’orchestration ne cesse de chuter, de s’enrichir, véritablement à l’image d’une rivière jonchée de précipices, de moments d’accalmie mettant en scène le balancier entre la frustration de l’amant suppliant et l’épanchement de son désir dégoulinant.
Un déluge rock qui donne le ton : des morceaux rock voire garage (Voyage au pays des vivants, Je suis né dans la rue , Réclamations, Je n’ai besoin de personne), mêlés à des arrangements plus sobres portés par une batterie tenue et des guitares qui vivent leur meilleure vie britannique (Amen, Viens, Regarde pour moi).
Dans cet album, le personnage n’est pas loin du prophète de l’apocalypse (Les anges de la nuit) et Johnny chante tour à tour des trips à l’acide, son appétit sexuel infini (Rivière ouvre ton lit, Je te veux, Viens), des ballades déprimées (Regarde pour moi, Amen), et des diatribes à peine politiques (Réclamations, avec ce « Eh appelez-moi l’chef de rayon, j’suis pas d’accord, ma mère m’a offert ce monde et moi je n’en veux paaaaaas »). Bref, un album plus cohérent, plus produit, plus juste que les précédents. Qui plait moins.
Avant sa sortie, Johnny présentait le disque au Palais des Sports, du 26 avril au 4 mai, sujet d’une belle réédition en 2020 avec le concert au Port Barcarès. Dans cette version, plusieurs inédits : la première performance live de Que je t’aime, sa plus belle interprétation d’Entre mes mains et un medley rock’n’roll (Tutti Frutti,Whole lotta shakin goin on, Be bop a lula) au milieu d’un Je suis né dans la rue d’anthologie. Et autres hyperboles.
On a également droit à un bon enregistrement de la version longue et dantesque de Voyage au pays des vivants, avec un Tommy Brown sur le toit des fûts grâce à un solo magistral. Une grande performance si Johnny n’avait pas décidé de clamer, avec le ton d’un évangéliste de la Rust Belt : « Je ne prendrai plus jamais de LSD », « Je ne fumerai plus jamais de haschich ». Johnny, cet équilibriste alcoolique entre le kitsch et le génie.
Ce Palais des Sports est un véritable objet sonore et visuel non identifié : les guitares hurlent, la batterie ne permet aucun repos, Johnny change trois fois de costume, la scène se transforme en ring de boxe sur la chanson Caché derrière mes poings, il arrive en peignoir et short, le speaker annonce son adversaire, l’Idole poursuit torse nu, se bat contre son terrible opposant, finit en sang, victorieux. KO.
Face au tsunami Que je t’aime, seul résistera Je suis né dans la rue et son storytelling novateur, qui clôt l’album. Au « I was born in a crossfire hurricane » des Stones, Johnny répond « Je suis né dans la rue par une nuit d’orage. ». Sauf que lui, il dit la vérité. Enfin, il ment moins.
Johnny est sur le toit du Palais à défaut d’être sur celui du monde : il fête ses 10 ans de carrière dans le même tourbillon qu’il les a commencées, radicalement changé, enfin en phase avec les anglo-saxons.
Il n’en ressort pas indemne : les excès suivent et c’est un nouvel accident de voiture qui l’attend en février 1970. Sylvie en sort défigurée. Troisième accident à la Dylan.
1970 : le monde entier va sauter. Je suis sûr que Jésus, lui, ne m’en veut pas. Il sait que je n’ai pas voulu l’insulter ou le tourner en dérision, et cela compte pour moi ». Le 25 avril sort « Jésus Christ », première chanson écrite par Philippe Labro pour Johnny, dans laquelle le yéyé repenti clame que si le Christ était en vie aujourd’hui, il ne changerait pas l’eau en vin mais l’ergot de seigle en LSD. Blasphème. Chanson interdite presque partout. Tollé général.
Corruption de cette jeunesse consumériste. BFM n’est pas là pour couvrir l’événement.
La rencontre avec Labro marque le dernier album qui nous intéresse : Vie. Sorti en novembre 1970, il renoue avec des orchestrations plus pop, plus amples. Les cuivres retrouvent leur prédominance avec des trombones renforçant le saxophone et la trompette. Les guitares passent de quatre à deux (Jones et Azoulay), une flute s’invite et le clavier de Donnez disparait au profit d’un orgue.
Si Vie est le dernier moment psychédélique et hippie, c’est bien parce qu’après la parenthèse blues-rock et avant de revenir à un rock FM plus simpliste, Johnny retrouve ce son baroque et apporte les dernières touches à son nouveau personnage avec des chansons plus politiques, post-68.
« Les lapins se meurent dans les champs pollués, les poissons crevés dans les mers polluées. Les hommes sont asphyxiés par l’air pollué » (La pollution)
Le plaidoyer s’ouvre sur cet « Essayez ! » sur lequel il troque son ancien ton donneur de leçon contre un autre, plus suppliciant : il faut réparer ce qui est gâché, et même si ça foire, il faut continuer, essayer. Un simple piano introduit le titre, suivi d’une guitare puis de la batterie qui retrouve un rôle sobre d’accompagnement. Un virage à 180°.
Le prochain texte politique, La Pollution, est écrit par Lanzmann. Deux ans avant le rapport Meadows, Johnny chante la crise écologique ! « Les lapins se meurent dans les champs pollués, les poissons crevés dans les mers polluées. Les hommes sont asphyxiés par l’air pollué ». Dommage, une orchestration incompréhensible essaie à la fois de dramatiser, de diversifier et de sonner folk-rock… Chaque instrument fait sa vie et le tout devient finalement illisible, agaçant. Tout est forcé dans ce texte pourtant très novateur. On en vient même à vouloir la déglingue de l’écosystème.
Sur le même thème, Labro est plus convaincant avec le fameux Poème sur la 7ème de Beethoven. Sur l’allegretto, Johnny atteint le sommet de son chant narratif en élaboration depuis 1968. Un individu se voit conter la richesse naturelle et l’allégresse passée de la vie sur Terre. Il ne peut y croire et son énervement éclate, comprenant qu’il a été privé de ce monde : « Vraiment, c’est vrai, le sable était blanc ? Vraiment, c’est vrai ? Il y avait des enfants des rivières, des chemins, des cailloux, des maisons ? C’est vrai ? Ça a vraiment existé ? ».
Comment réagir face à cette apocalypse imminente ? L’album présente trois attitudes. La supplication, d’abord, « Entre l’amour et la fleur, il y a les pleurs. Entre la chair et le sang, il y a la peur. Je suis fatigué de la nuit, Oh, rendez-moi le soleil. Je suis fatigué de la pluie. Je veux voir le ciel » (Rendez-moi le soleil)
La révolte, ensuite, « Votre pourriture, personne n’en veut plus, c’est écrit partout, écrit sur les murs. Il ne s’agit pas d’une nouvelle religion, encore moins d’un slogan politique. C’est le cri commun de toute une génération, sans parti, sans dictature et sans flics. » (C’est écrit sur les murs).
Le cynisme, la sympathy for the devil, enfin, « Nous avons déjà perdu bien assez de temps. Ils n’ont cessé de tenter par tous les moyens de faire tenir tant bien que mal ce monde bancal. Et moi j’attendais depuis des millions d’années ce jour venu où le monde entier va sauter » (Le monde entier va sauter)
Enfin, outre ce versant politique, il faut souligner ces ballades croulantes où la voix de Johnny tombe telle une larme sur le point de se briser contre l’asphalte indifférent. Des romances faites de nostalgie et de regrets (La fille aux cheveux clairs, Deux amis pour un amour), d’incompréhension (Lire dans tes yeux, Dans ton univers), de trahison ( Deux amis pour un amour, dernier chef d’œuvre de cette période.)
Les derniers albums ont chacun conduit à un concert mémorable. Pour celui-ci, et la période Labro en général, Johnny débute en 1972 une tournée monumentale : le Johnny Circus. Inspiré par le Circus des Stones et préfigurant le Rolling Thunder Review de Dylan, la tournée est un gouffre financier l’empêchant de produire un spectacle original à Paris pendant plusieurs années. Sa carrière retombe dans un relatif trou d’air.
La mort vaincue. Gainsbourg affirmait : on dit qu’en France les modes arrivent avec un train de retard, mais avec Johnny, c’est en pirogue. Pourtant, de 1966 à 1970, Johnny n’avait pas nécessairement un train de retard. Il n’était pas en première classe, à claquer la bise au conducteur certes, mais il est allé au charbon, ce jusqu’à briser son image et faire stagner ses ventes. Ce qu’il ne fera plus vraiment, si ce n’est son suicide musical avec Hamlet et l’extravagante période Billon. Son prochain disque marquant sera Rock’n’roll Attitude, un excellent album qui reste un blues du VRP, costard-cravate dénouée, dénué d’impertinence.
Retenons que, la mort temporairement vaincue dans une salle de bain, Johnny s’est transformé tour à tour en prophète d’un monde déchu aux sonorités baroques, en icône sexuelle d’un rock garage et brutal, puis en pourfendeur, peu convaincu mais plutôt convaincant, d’un monde en dérive. Certes, il ne croyait sans doute pas ce qu’il chantait mais il était d’abord un interprète, non un auteur, un contestataire ou un intellectuel. Il n’a fait qu’incarner ce Jeune Homme, pétri de Rêve et d’Amour plongeant dans le lit d’une Rivière pour y retrouver une valeur dégradée dans sa société polluée : la Vie.
Et la mort vaincue non n’aura pas d’empire, dans le pays des vivants » (Voyage au pays des vivants).
11 commentaires
le sapin quel error! de l’avoir mis là!
é culs blancs cassent mais ‘epargnent’ les ptiots kommerzes!
Johnny Go
1981 black blanc beur
2021 black bloc blanc
Du flair ou de l’opportunisme ?
Johnny a lessivé combien de paroliers et de compositeurs ?
Il reste un interprète parfois flamboyant mais trop souvent chiant .
Il a droit à sa messe à St Madeleine tous les mois c’est peut être ça sa plus grande réussite.
robert castel that’s the MAN!
de la merde en barre 78 CARATS .n’en deplaise au jeunes connards bobo parisiens qui raque 35 balles des LP de synth)pop au ballades sonores et au punk de supermarcher à la sauce electro Kantomachin .. Johnny c ‘etait Tony joe white du pauvre de chez les Carpentiers. Mange merde a tout les ratéliers un jour mlitaire un jour hippy un autre motard avec l’autre connard de la BAMBA TRISTE.. ET au fion la caussion small faces et STEVE MARIOTT, ca va deux minutes!!!!!!
cumeo & hamlet
Beau travail. Juste préciser que Johnny (bien qu’il l’a maintes fois répété dans les interviews) n’était pas du tout avec Otis Redding le soir de sa rencontre ave Jimi Hendrix à Londres le 29 septembre 1966. Redding était déjà rentré aux USA à ce moment-là.
A voir ce qu’a fait sa veuve joyeuse pour ses obsèques payées par la présidence de la République, et les milliers de spectateurs, il avait tout de même atteint une notoriété certaine ! Les générations se sont croisées : Jeunes et Vieux lui ont rendu un Hommage.
Merci pour la justesse et le lyrisme de votre article, Johnny a pris des risques, et les albums de ces années regorgent de pépites trop méconnues… A redécouvrir, pour finalement en conclure qu’Il était le meilleur…