Sacred Bones apparaît à Brooklyn en 2007, au plus fort de la gentrification, à l'iniative de Caleb Braaten, employé chez un disquaire, look de mousquetaire et trentaine bien tassée.

A cette période, Wierd Records est déjà dans la place et se spécialise dans les sonorités froides et synthétiques, avant de devenir la plateforme symbole du retour de la cold wave. Un an plus tard ce sera au tour de Captured Tracks de montrer le bout de sa barbe, fondé par Mike Sniper de Blank Dogs, qui sera la matrice du renouveau shoegaze en signant tous les groupes du style. Sacred Bones Records, dans la démarche , va se situer pile poil entre ces deux autres labels, un soutien aux « artistes de chambre », avec un côté obscur, et un côté indie. Nous sommes alors arrivés à un point de l’histoire où tout ce qui sort au niveau indie rock, psyche, shoegaze, etc. vient de Brooklyn, et tourne autour de ces trois poles. Jusqu’à en devenir agaçant, les groupes sont bien sûr relayés par Pitchfork et les autres. Puis le buzz se répand en Europe.

Je découvre Sacred Bones avec Cult Of Youth, certainement le meilleur groupe – de ces dernières années? – qu’a produit le label. Le culte de Sean Ragon est une rencontre moderne de neo-folk et de post-punk, qui n’a rien à voir avec les sempiternelles parodies de Death In June. Une musique fraîche et originale influencée par de vieux fantômes, c’est tout ce qu’on demande. Je commence à remarquer de plus en plus ce triangle noir (l’appat des hipsters) entouré de l’ourobouros (l’appat des fans d’occulte et de mythologie nordique, hipsters aussi donc) sur les pochettes des trucs que j’écoute, avant de me rendre compte que les os sacrés sont derrière tout ça.

Bon, l’album de Cult Of Youth est déjà la 47ème sortie du label, merde, va y avoir du boulot. Remontons au SBR-001.

Caleb sort un 7″ de ses potes The Hunt qui font du death-rock. Et se dit alors: pourquoi ne pas continuer? La deuxième sortie de ce désormais ‘label’ est aussi la deuxième sortie de Blank Dogs, un mec qui expérimente des sons dans sa chambre. Il va très vite en sortir. Le premier album de SBR sera celui de Factums, une mixture art rock-indus influencé par Pere Ubu. Dans un esprit hérité de Crass, Factory ou 4AD, la template pochette avec triangle à gauche et infos à droite est maintenant instituée.

Nice Face, SBR-007, sera lui aussi un nom emblématique de la maison, avec leur synth-punk bizarroïde. Nous sommes en 2008 et Zola Jesus lance son opera goth sur son deuxième 7″ intitulé « Soeur semer ». Résultat, quatre ans plus tard elle casse les oreilles de tout le monde! Ne voulant pas se limiter à la musique, la sortie 13, Children’s Hospital, est une malédiction livrée avec un photobook de clichés d’enfants malades datant de 1926, images morbides pour musique ambiente… et morbide. Gary War et sa pop lo-fi débarque sur la SBR-016 en 2009, il aurait trainé un peu plus avec John Maus et Ariel Pink, peut-être qu’il aurait un autre statut actuellement. Ah, les relations…

Sacred Bones se cherchent, fabriquent un t-shirt à logo, puis se lancent dans la réédition avec deux LP de l’excellent groupe anglais de goth rock 13th Chime et des post-punks belges de Cultural Decay. Dommage de ne pas avoir continué du coup. Après « The spoil’s » qui va faire connaître Zola Jesus au monde, c’est l’heure de briller pour Moon Duo sur la SBR-024, ‘Killing time’ et le rock spatial. Les productions s’enchaînent et vont comme d’hab du rock expérimental d’étudiant en art (Pink Noise) au garage velu (Daily Void).

2010 apporte une nouvelle décennie, celle d’Effi Briest, des clips dans des forêts et de l’omniprésence des voix de filles. Les ‘Rhizomes’ sont beaux, mais l’intellectualisation atteint ses limites. Amen Dunes ramène une crédibilité type je fais des chansons simples avec une guitare sur la SBR-035, « Murder full mind ». La crédibilité hardcore punk, celle des types de Fucked Up et Career Suicide est démontrée sur leur nouveau projet, The Bitters, la sortie d’après. Bien vu. Le serpent évite donc de se mordre la queue et repart en sifflotant.

Pop. 1280 devient la nouvelle valeur sûre du label avec son « Grid’ EP ». Hardcore arty, noisy, comme il s’en faisait dans la deuxième moitié des années 80. Les EP déboulent, du Chili à l’Australie où l’on en arrive à la SBR-046, de l’ère pre-COY (Cult of Youth), Slug Guts et leur rock sombre de cowboy façon Nick Cave et les mauvaises graines. Alors, il s’est passé quoi ensuite ? Moon Duo a sorti un album, Trust son premier 7″ avec le sublime « Candy walls » tombé de nulle part. Et Sacred Bones se décide enfin à sorir sa première compilation où l’on peut écouter les 8 têtes de gondoles de la boîte (exempt Case Studies). Bien bien bien.

En 2011, tout explose.

Caleb Braaten, épaulé par Tayler Brode, est maintenant entouré d’une vraie équipe. La « bones brigade » se compose de David Correll, graphiste, Jacqueline Castel, clippeuse et de Keegan Cooke, le batteur de Crystal Stilts qui s’occupe de tout le côté chiant (tirages, pressages). Après les albums travaillés de Religious Knives (SBR-055) et de The Fresh & Onlys (SBR-056), Sacred Bones donne sa chance à The Men (SBR-057), qui galèrent avec leur noise punk sur Deranged Records. Ils financent leur deuxième album « Leave home » et l’on se dit alors que la réserve des groupes issus du hardcore punk qui séduisent le cercle indie semble inépuisable, après Fucked Up et Ceremony, voici The Men. A qui le tour?

Caleb Braaten

Human Eye, pour ceux qui pensaient que SB était principalement un label de rock hippie, balancent leur proto-punk dingo dans le jeu triangulaire avec « They came from the sky » tandis que « Conatus », le sacre de Zola Jesus, se place en 62ème position. Psychic Hills est la dernière coqueluche du label, le rock psychedelique de « Hazed dream » marche et préfigure le dernier EP des rois du style, « Radiant door » de Crystal Stilts. Trust, sur la SBR-065, jette le label sur le dancefloor au son de « Bulbform ». Et c’est le retour des rééditions, UV POP de Sheffield s’y colle, avec un EP synth-pop oublié, une face tube, une face ultra violente.

Quoi de neuf en 2012? Des ep’s sans intérêt de Nika Roza Danilova; un album « à coeur ouvert » de Wymond Miles, guitariste des Fresh & Onlys; un EP de WAR, projet du chanteur de Iceage qui choisit de faire une musique plus intellectuelle, « At war for youth » est cela dit un bon hit indus; les albums déjà partout de The Men et Pop. 1280 et puis encore une nouvelle expérimentation: la première production filmique du label, Twelve Dark Noons, signé Jacqueline Castel, mmm… The rest is future history.

www.sacredbonesrecords.com

Sacred Bones : From the Germs to the Sisters of Mercy by Gonzai

6 commentaires

  1. Une chronique que j’avais envie de faire depuis quelques temps, et pour cause, Sacred Bones est un putain de label. Bien cool cette chronique, et le dernier The Men est une belle réussite. Jusqu’où iront-ils ?

  2. Sympa cet article sur un label qui monte, peut être LE label 2011 ! Et de plus, ils sont devenu un repère pour le Néo-Psyché-Kraut’-Space Rock avec :
    _ Psychic Hills et son « Hazed Dream » (dans mon top 3 2011).
    _ Moon Duo et son plus garage-rock « Mazes »
    _ Amen Dunes – « Through Donkey Jaw » /
    _ Religious Knives « Smokescreen »
    Et de superbes EP : Crystal Stilts – « Radiant Door » + Föllakzoid – « Föllakzoid EP »
    Mais aussi pour le rock plus dark, Post-Goth de Zola Jesus – « Conatus » (avant « The spoils » 2009)……Ce label est devenu un de mes préféré, un des plus audacieux avec Not Not Fun et les mythiques 4AD ou Sb Pop !!!!

    A +

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