Ce n'est pas parce qu'on a atteint l'âge auquel le Christ s'est fait la malle qu'on doit croire aveuglément en tout et en n'importe quoi. Pour Basile Farkas, la critique rock n'a jamais été un eldorado fascinant et dans ce domaine, mieux vaut un bon pratiquant qu'un mauvais croyant. Cet ancien pigiste devenu rédacteur et membre à part entière de la bande de Rock&Folk s'explique chez lui, en plein coeur de Paris.

Voilà un jeune homme qui possède peu de meubles, mais beaucoup de disques. Ca tombe bien, on n’est pas venu causer assemblage de tasseaux ou embrèvements à fausses languettes, mais bel et bien critique rock pour ce troisième épisode de notre série hivernale. Au mur, des affiches des Breeders, une de ses vieilles marottes. La mère Kim Deal veille sur nous et je ne suis pas vraiment certain que ce soit bon signe. Un verre de blanc, un Ipod nano pourri en guise de dictaphone…Hey ho, let’s go.

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Gonzaï : Peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaîtraient pas?

Basile FARKAS : J’ai 33 ans, et je suis né à Paris. J’écris à Rock & Folk depuis fin 99 début 2000. C’était pour un hors-série « 400 disques» dans lequel j’avais chroniqué « Surfer Rosa » des Pixies, « Last Splash » des Breeders et « OK Computer » de Radiohead. J’ai cette tare d’avoir été un adolescent fan de Radiohead.

Comment as-tu atterri chez Rock & Folk?

Là, c’est un peu le passage Pierre Bourdieu de la reproduction sociologique. Mes parents sont journalistes. Par un cercle d’amis, j’ai rencontré Philippe Manoeuvre vers l’âge de 17 ans. J’étais un ado pas spécialement épanoui. A l’époque, je lisais les Inrocks, qui étaient déjà hebdomadaires, et Rock & Folk. Il n’y avait pas énormément de presse musicale française. La musique, c’est ce qui m’intéressait le plus. Assez simplement, je me suis retrouvé à faire ces quelques chroniques pour Rock & Folk. De fil en aiguille, je suis devenu pigiste régulier jusqu’en 2003. Un poste de rédacteur a alors été créé et je l’ai obtenu. Au final, je n’écris pourtant pas tant que ça. J’ai un gros travail de relecture intégrale du journal, je coupe les articles, etc. Même si je ne suis pas secrétaire de rédaction. Je réalise également les chapeaux, quelques encadrés, je m’occupe des pages concerts, et quelques chroniques. Cela fait donc 11 ans désormais que je suis à R&F, ce qui est énorme. Sinon, j’ai fait d’autres choses dans ma vie, dont on parlera peut-être après.

« Le mot rock est devenu un mot complètement passe-partout. Il est complètement récupéré et m’énerve autant que la baguette-tradition ou le café gourmand »

Es-tu musicien?

Tout à fait. On entend souvent ce cliché du journaliste qui est un musicien frustré. Très bien, super. Je fais de la musique depuis que j’ai 15 ans. J’ai eu des tas de groupes plus ou moins tous pourris, mais je me suis beaucoup marré et j’ai fait pas mal de concert entre 22 et 27 ans. Mes parents ont une cave dans laquelle j’ai laissé au fil des groupes pas mal d’instruments Le bricolage musical a été une des grandes joies de ma vie. Puis j’ai arrêté de faire de la musique vers 2009 pour des raisons de démotivation, de paresse. La paresse, il faut en parler, ça existe. J’avais plus vraiment la tête à faire de la musique. Je m’y suis remis assez récemment, et beaucoup plus intensément depuis quelques mois. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai, ni comment ça sonnera exactement, mais je vais terminer mes morceaux.
Je fais de la guitare, je joue du clavier, j’adore jouer de la batterie même si j’en joue de façon très simple et sommaire. Pareil pour la basse. Je me suis aperçu qu’enregistrer avec ma carte son et mon ordi dans la cave de mes parents, c’est une joie très enfantine. Je me suis rendu compte que c’est ce que j’aime le plus faire. Comme dit Neil Hannon de Divine Comedy, «  A song is not a song until it’s listened to ». C’est totalement vrai. Il y a aussi le fameux mythe de la démo jamais achevée que je connais assez bien. Par le passé, j’ai mis en ligne sur Myspace quelques morceaux dont je ne suis plus particulièrement fier aujourd’hui, même si je garde pour eux une certaine tendresse. Pour l’instant je garde mes dernières productions uniquement pour moi. Je souhaite qu’elles sonnent bien, je suis très humble par rapport à tout ça. Il faudra bien sûr à terme que je les mette en ligne, mais je ne les sortirai pas tant que je ne les considérerai pas comme définitivement achevées.

Quelle est la liaison entre ton travail de journaliste et cette activité plus souterraine de musicien?

J’ai parfois l’impression que les journalistes ne savent pas comment la musique est fabriquée. C’est quelque chose qui manque énormément à la critique musicale. Je ne dis pas du tout cela de façon dédaigneuse, mais c’est important de savoir comment est produite la musique. La prod, les ordis, les effets, etc. C’est important de maîtriser tout ça. A quelle époque le disque est sorti? Quelles étaient les avancées technologiques de cette période? Il ne faudrait pas que le « parler technique » soit réservé aux journaux de guitares, de claviers ou d’informatique même si les rédacteurs y sont peut-être très bons. C’est une approche très pragmatique de la critique musicale, mais je trouve ça très important. J’ai plus envie de lire ce type de chronique plutôt que la « tartine » d’adjectifs qui encombrent régulièrement cet exercice dans les colonnes des journaux. Le reptilien, le séminal, les maelström, etc…Très peu pour moi, même si cela me fait souvent rigoler. En fait, j’aimerais lire plus d ‘éléments factuels sur la conception d’un disque.

Quelles sont tes premières fascinations musicales? Tes premiers groupes fétiches? Tu évoquais tout à l’heure Radiohead, un groupe phare qui est un peu devenu « le groupe à abattre » pour une partie de la presse musicale.

Radiohead, c’est venu plus tard, et d’ailleurs je n’aime plus du tout. Sans vouloir me confesser auprès de toi pendant des heures, je me souviens qu’enfant, j’étais obsédé par la mélodie, des trucs très simples comme Pierre et le loup. Physiquement, ça me transportait. Je me chantais des choses. Pour une raison que j’ignore totalement, entre 7 et 12 ans, j’ai eu tendance à refouler tout ça. Je trouvais que ça faisait fille, d’écouter la musique alors que je n’ai jamais été spécialement macho.

Puis il y a eu le grand choc « Nevermind » de Nirvana, que ma grande soeur Sarah a acheté quand j’avais 10 ou 11 ans. Elle s’est alors mis à écouter de la bonne musique. A partir de là, Nirvana m’a fait découvrir plein de choses. Non pas les groupes pourris, comme Flipper, que Kurt Cobain défendait parfois, mais c’est à ce moment-là que j’ai découvert les Beatles, Pixies, les Breeders. Sonic Youth m’a très vite gonflé mais les Pixies ont défini beaucoup de choses pour moi. Et ensuite je me suis mis à aimer ça, et à y consacrer un temps au-delà du raisonnable.

« Faire de la critique rock, c’est un métier de gars normal »

Tes parents étaient journalistes. Pourquoi avoir choisi d’écrire sur la musique? Tu aurais pu opter pour un journalisme plus généraliste.

Je peux bosser très vite et très efficacement. Une fois que j’ai terminé un article, je me dis souvent que c’était facile et qu’il suffisait de se concentrer. Sans vouloir surjouer le mythe de l’écrivain maudit, l’écriture n’est pas du tout un processus naturel et facile pour moi. C’est à la fois quelque chose de très simple et de très compliqué. Je peux dire très précisément si j’aime bien un texte ou pas, qu’il soit littéraire ou journalistique. Je ne sais pas si j’écris bien mais je sais que je n’écris plus mal. Depuis quelques années, j’ai éliminé les facilités que je pouvais avoir au début. J’ai évolué et mûri, sur la forme et sur le fond. Désormais, quand j’écris un texte, je sais immédiatement si ça va ou si ça ne va pas.

Tu écris plutôt des formats courts. Tu as déjà envisagé d’écrire des longs formats sur la musique?

En fait, j’ai déjà concrétisé cette envie puisque j’ai conçu le dictionnaire de la mauvaise foi musicale avec mon grand ami Josselin. On avait commencé ce livre sur Brain (Josselin est un des piliers de Brain), puis grâce à une amie, on a réussi à faire paraître ça. C’est un véritable livre mais il est rempli de formats courts et de petites notices puisque c’est un dictionnaire. Il contient à la fois des choses pas bêtes du tout et des blagues proches du stade anal, qui disent des choses sur le journalisme, sur les nombreux travers de la musique pop des dernières décennies. Ce n’est pas un roman ou un long texte…Sinon, il m’est arrivé de faire des articles assez longs, faisant près de 30 000 signes. Des 4 pages, j’en fais également assez souvent. Après, je ne me considère pas du tout comme un marathonien. J’aime bien les chroniques de disques. Et je peux prendre un pied fou à trouver un truc dans un chapeau d’article.

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Quand je dis que l’écriture est difficile, entendons-nous bien… J’aime me confronter au texte, au verbe. C’est un domaine qui me passionne. A l’avenir, j’aimerais faire plus de grands articles. En tant que lecteur, c’est un format que je chéris davantage que les articles de deux colonnes qui fleurissent dans la presse. J’aime aussi les trucs incisifs, les vannes, mais j’ai une préférence évidente pour les articles longs. Je viens par exemple d’écrire un 4 pages sur les Kinks. Une fois que j’étais dans l’article, j’aurais aimé pouvoir avoir plus de place, dire plus de choses, etc.

Tu es jeune et tu n’as évidemment pas vécu la période dorée des Kinks. Comment prépares-tu l’écriture d’un article sur ce type de groupe?

[Prenant une bière puisque j’ai eu le malheur de me pointer avec un vin bouchonné]. Pour ce qui est des Kinks, je crois pouvoir dire que je le connais plutôt bien. C’est un des groupes que je préfère au monde. J’adore les chansons de Ray Davies, et même celles de Dave Davies. Ca fait partie des choses les plus belles ayant été faites en Angleterre. Pour l’article en question, je n’avais qu’un quart d’heure au téléphone avec Ray Davies. Ce n’était pas une rencontre de deux heures à tailler le bout de gras et à digresser tout azimut. Pour préparer un article, il n’y a ps vraiment de règles, même si je ne crois pas vraiment à la conversation gratuite.

Une interview, ça se prépare. Il faut écouter les disques, se renseigner en détail sur la vie du type que tu vas avoir en face de toi. Mais ça dépend vraiment…A une époque, il y avait dans Technikart une rubrique dont le chapeau disait « une interview mal préparée donne toujours un mauvais papier ». Je ne suis pas forcément d’accord avec cette maxime. A mon avis, un journaliste musical peut toujours se débrouiller.

J’ai bien évidemment foiré des interviews, et j’en ai parfois pris par dessus la jambe pour des raisons tout à fait humaines et condamnables, mais que j’assume. D’autres fois, j’ai été nickel et tout était bien préparé. Et puis quand même, il ne faut pas déconner non plus, même si le rock est exaltant, c’est également une discipline codifié. On est en face de personnes qui sont aussi en pleine promo de leur dernier disque, dernier film, etc…C’est assez déprimant de te le dire ainsi, mais c’est la réalité. L’interview qui rend heureux, c’est celle qui sort du pilotage automatique. Une interview d’une heure ou d’une demi-heure, c’est déjà pas si mal par rapport aux journalistes de cinéma qui n’ont parfois que quelques secondes pour poser une ou deux questions. Je rencontre surtout des groupes qui sont sur des petites structures et les rapports sont plus simples.

« La musique c’est super, mais discuter de musique, c’est presque mieux »

En 2014, tout le monde s’en fout de la critique rock. A quoi bon continuer?

D’abord parce que la chronique ou critique, c’est un plaisir assez noble. Il y a un truc très français avec ça qui vient de Rock and Folk, de Best ou des Inrocks : la musique c’est super, mais discuter de musique, c’est presque mieux. Je garde un plaisir peut-être assez vieillot à lire des plumes de journaliste. Je peux prendre un plaisir fou à lire des articles sur le cyclisme ou des chroniques de disques, des longs papiers incendiaires sur des groupes ou des interviews. Les mags papier aujourd’hui ne donnent plus d’informations actuelles puisque le net les devancera toujours. Leur seule manière de se démarquer, c’est peut-être de faire preuve de style. C’est valable pour toute la presse.

Parmi ces plumes dont tu parles, y-a-t-il des grands anciens qui t’ont marqué?

J’en ai pas tellement à vrai dire. J’adorais les critiques de Nick Kent dans Libération, et ensuite j’ai été soufflé par ses articles plus longs. J’aime aussi beaucoup Ungemuth qui écrit très bien et qui me fait beaucoup rire. Il est beaucoup plus subtil que ce que ces commentateurs Facebook en disent Mais à vrai dire, je n’ai pas de figures tutélaires. Hunter S. Thompson me fait beaucoup rire. Chez Lester Bangs aussi, on trouve des trucs brillants mais ce n’est pas ce que j’attends forcément. Ca ne me passionne pas, et je ne vis pas du tout dans cette mythologie de la critique rock. Je m’en fous un peu en fait, même si je te dis ça après avoir bossé pendant 10 ans là-dedans.
Je n’éprouve aucune lassitude par rapport à la musique ou à l’écriture, mais même si ce monde me fait marrer et que je l’aime, l’univers de la critique rock ne me fascine pas. Avec le filtre de toutes ces années de boulot, je suis certainement un peu plus froid que quand j’ai débuté. J’aurais adoré vivre le fameux voyage où Big Star convoque plein de journalistes dont ceux de Creem magazine. Ca devait être marrant, et moi évidemment, je n’ai pas vécu ça. Mais je ne suis pas fasciné par ce monde. Il ne faut pas exagérer sur le mythe, faire de la critique rock, c’est un métier de gars normal. Personnellement, je n’en tire aucune gloriole. Je n’ai vraiment pas la sensation d’appartenir à un courant littéraire dangereux, gonzo, et tout ça…Et la réalité prouve d’ailleurs que les gens que mon métier intéresse sont plutôt des hommes qui ont beaucoup de disques. Critique rock, ça permettait peut-être d’attirer les femmes en 73. Mais en 2014, c’est fini. On n’est plus dans Almost famous de Cameron Crowe. Idem, le côté ami des stars, j’en ai vraiment rien à battre même si je suis évidemment content d’avoir serré la main à Brian Wilson ou à Kim Deal.

Et aujourd’hui, qui aimes-tu lire?

Je n’ai pas particulièrement envie de citer de noms, ni de mauvais, ni de bons, mais aujourd’hui, tout le monde a le média pour écrire. Résultat, il y a énormément d’articles très mal écrits. Beaucoup de mauvais textes sur la musique. Sans être langue de bois, j’aurais du mal à te citer des noms, même si j’en connais bien évidemment. S’il y a une chose que les journalistes, et tout particulièrement ceux de la musique, aiment faire, c’est se dire du mal des uns des autres ou se caresser la nouille.

« Je ne vois pas comment un être humain peut absorber autant de musique en une vie sans se perdre un peu »

Tu écoutes beaucoup de nouveautés. Ne ressens-tu jamais de la lassitude par rapport à la musique?

IMG_4225-copy-1Lassitude, je ne pense pas… J’ai quand même compris assez rapidement que je ne me voyais pas travailler dans un autre domaine que la musique. En même temps, je peux me planter et peut-être que dans trois ans, je serai pâtissier. Mais la musique, c’est ce qui m’intéresse le plus et c’est évidemment le centre de ma vie. Avec mes meilleurs amis, on parle énormément de ça. Les nouveautés, la production d’un disque, la discographie d’un artiste, etc…Tous ces débats à la con sont des sujets de discussion récurrents et quasi quotidiens dans ma vie. Donc, non, je ne me sens pas las du tout vis-à-vis de la musique.
En revanche, je ne sais pas comment un seul cerveau humain peut assimiler autant de musique. La musique, il ne suffit pas de l’écouter pour avoir un avis. On est sur le registre de l’émotion, et médicalement parlant, scientifiquement presque, je ne vois pas comment un être humain peut absorber autant de musique en une vie sans se perdre un peu. Du coup, très clairement, je pense qu’on ne peut pas aimer 100, 200 ou 500 disques par an, même si je respecte les collègues qui écrivent à la chaîne. On peut être à l’affut, découvrir des choses ou en essayer d’autres, mais faut quand même arrêter de se mentir, il y a beaucoup de vulgarité et de très mauvais disques qui sortent ces dernières années. Du coup, il m’arrive de donner du temps aux albums sur ma platine mais je suis également obligé d’être très sélectif. Quand j’aime pas, je le sais très vite. Je sais que j’ai aussi un défaut : ma zone de confort. Je connais les sonorités, les styles ou les suites d’accords qui plaisent à mon oreille. Je pourrais vite m’enfermer là-dedans et ne plus écouter que des groupes qui refont les Zombies ou des trucs 60’s et à être très content. Sauf que ce serait un assèchement esthétique terrifiant.

Critiquer des disques, c’est aussi prendre position. Ca te dérange de défoncer un album ou tu le fais sans aucun problème?

Ca ne me pose jamais problème. On ne ne parle que de musique, là, donc il n’y a rien de grave à dire qu’un truc est merdique. Mais quand je le fais, je ne m’y lance pas de façon frontale. J’aime bien l’ironie. Je n’ai jamais fait de critiques au vitriol, je ne me sens pas du tout l’esprit pamphlétaire. Dans la sphère privée, c’est différent. J’adore vanner mes potes sur ce qu’ils écoutent, c’est un vrai plaisir, mais je considère qu’on a pas assez de pages dans un magazine papier pour faire des grandes tribunes où on dit qu’un truc est à chier. Il faudrait sans doute le faire un peu plus, car il y a aussi un risque d’arriver à une certaine tiédeur que je déplore. Mais le fait est qu’il y a tellement de bons groupes dont je n’ai pas eu la place pour parler que je ne vais pas m’amuser à défoncer Muse pour le plaisir et dire que c’est nul. On le sait.
Pour répondre clairement à ta question, je ne me sens pas du tout le chevalier blanc de quoi que ce soit. Et puis dire d’un disque qu’il est bon ou mauvais, c’est vraiment très réducteur. Les choses sont bien plus complexes que ça. Il peut arriver qu’un morceau soit pourri dans un super disque, et vice-versa. Défoncer non, mais pour que ton propos ait de la force, il faut grossir le trait. Il faut y aller et ne pas peser chaque mot. La pondération, c’est la mort du chroniqueur. Evidemment que c’est comme ça que c’est drôle et intelligent. Je pense avoir pris de la bouteille là-dessus. Quand j’ai commencé, j’étais parfois petit bras. Maintenant, je n’ai plus aucun problème à dire ce que je pense. Le plus important, c’est de faire preuve de franchise dans ce qu’on écrit. Ce n’est pas hyper simple, mais il faut être franc. La vie est trop courte pour faire acheter ou télécharger des mauvais disques aux gens.

« Critique rock, ça permettait peut-être d’attirer les femmes en 73. Mais en 2014, c’est fini »

As-tu déjà interviewé des groupes dans des endroits un peu insolites?

Ca ne me dérange absolument pas d’interviewer un groupe dans les locaux d’une maison de disques. Il y a un canapé et on y est très bien accueilli. Mais c’est évident que le côté romanesque de la musique est plus présent quand tu te retrouves à écumer les pubs de Liverpool avec Anton Newcombe avec lui et c’était vraiment quelque chose. C’est normal, c’est plus marrant à raconter qu’une interview dans les locaux d’une maison de disques du 9ème arrondissement de Paris, où 4 journalistes viennent de passer avant toi et 4 autres s’apprêtent à te succéder. En même temps, je ne vais pas non plus dire « Je voudrais bénéficier de conditions privilégiées et voir le groupe répéter en studio ». On n’est pas chez Michel Drucker avec Céline Dion. Je préfère une interview franche dans un café miteux plutôt qu’un truc à moitié arrangé avec les Kooks où on te paye l’avion pour Londres, l’hébergement, etc… Je m’en fous de ça, ce qui compte, c’est avant tout ce qui se dit pendant la rencontre.

Etienne Greib de Magic me racontait récemment avoir pissé contre un mur avec Bobby Gillespie de Primal Scream. De ton côté, as-tu une anecdote un peu hors du commun à nous raconter?

ANTON-NEWCOMBEOui, surtout avec les Brian Jonestown Massacre. J’ai rencontré le groupe et son leader Anton Newcombe vers 2003-2004 et j’ai un peu vu toutes les périodes du groupe. C’est un groupe bigger than life. Je me suis retrouvé à prendre le premier métro avec le groupe après une nuit dans les pubs et le batteur s’était fait piquer son portefeuille par un dealer de shit. A l’époque, Anton buvait de façon terrifiante. Il buvait une double vodka-tonic et un double shot de vodka à côté. J’essayais de le suivre, mais c’était catastrophique. Finalement, j’ai failli me faire frapper dessus par Anton. Rien de spécialement légendaire là-dedans. J’ai aussi vécu quelques soirées rigolotes avec Miossec que j’ai couché de façon littéral en le mettant au lit. Un être merveilleux et super rigolo. J’ai fait des bras de fer avec lui, et on a parlé de cyclisme. J’étais content; C’est un ancien de Ouest-France, qui adore la presse rock. On a pu parler de Rock&Folk dont il est lecteur. Tout ça est assez potache, mais jamais je ne considère que j’ai tissé un lien privilégié avec tel ou tel artiste ou que je suis ami avec quelques stars. Ca n’a aucun intérêt pour moi.

Le cyclisme, c’est vraiment un sujet qui t’intéresse?

Complètement. J’ai découvert sur le tard les chroniques de Blondin. Il était mort quand je me suis intéressé au vélo. Le cyclisme, c’est vraiment un sport qui se prête bien au récit. Une vraie aventure. Dans le vélo, on rencontre de très grandes plumes. J’adorais par exemple Jean-Louis Le Touzet de Libé qui ne traite plus vraiment de vélo, et qui couvre désormais des conflits internationaux.

Avant d’écrire dedans, tu étais forcément un grand consommateur de presse musicale. Te souviens-tu des articles qui ont déclenché ta vocation?

Question très difficile…A vrai dire, rien ne me vient à l’esprit, je n’ai pas d’exemples précis. Je suis un peu aride là-dessus. Très jeune, je lisais Rock&Folk et les Inrocks. On parle des années 90, pas de 69. A l’époque, je thésaurisais beaucoup, c’était un moyen de me cultiver et j’adorais les grandes interviews. Mais je n’ai jamais eu de choc esthétique pour être franc. Je n’ai pas eu de révélation. Je suis désolé, ce n’est vraiment pas une vision romantique de mon métier. Avec la musique, ce qu’elle me fait ressentir, je suis beaucoup plus romantique. Mais je n’ai pas du tout le culte des critiques rock.

« Je considère qu’on a pas assez de pages dans un magazine papier pour faire des grandes tribunes où on dit qu’un truc est à chier »

De plus en plus de magazines papier mettent la clef sous la porte. Penses-tu que la presse musicale ait encore un avenir?

Honnêtement, les gamins n’en achètent plus trop. Ca reste assez cher. Telles que les choses vont, il est fort possible que la presse musicale papier soit vouée à disparaître. Dans la presse papier, tu trouves encore des trucs super beaux et dont on peut être fier. J’adore les formats longs. So Foot est un très bon journal, j’aime leur manière d’aborder leurs sujets. J’aime le foot aussi. Deuxième tare après le cyclisme. Dans So Foot, tu peux trouver 20 pages sur une équipe qui va jouer en altitude la Copa Libertadores en Amérique du Sud. Un article faramineux. Cette façon d’envisager le journalisme me plaît beaucoup. Du grand journalisme tout court : peu importe que ce soit du sport, de l’agriculture ou ou de la musique. Après, je ne suis pas conférencier, et je crois que je préfère garder mon avis sur l’avenir de la presse pour moi. Je ne me sens pas du tout l’âme d’un patron de presse, la musique est un truc très intime pour moi.

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En presse culturelle un peu pop, je trouve que Schnock fait des trucs assez enthousiasmants. Sur le net, tu trouves aussi des trucs vraiment bons en cherchant un peu. Si on achète un magazine et qu’on a coupé des arbres pour le fabriquer, faut que ce soit beau et chiadé. Il faut une belle maquette, un angle, des idées. C’est passionnant à décortiquer. Mais reconnaissons quand même que le nombre de mauvais journaux est démentiel. Si c’est pour avoir Be ou des trucs comme ça, c’est inutile. On s’en fout, de ces magazines complètement dépendants de la pub. Pour répondre à ta question, je crois que la presse papier est un ancien monde qui est en train d’être englouti par le net et je crois que c’est normal. L’évolution, c’est l’ordre des choses. J’espère me tromper, mais je ne pense pas qu’il y ait grand monde pour contrecarrer cette tendance lourde.

Je ne peux te quitter sans te poser cette question qui n’a aucun sens et que les lecteurs de Rock&Folk comprendront : c’est quoi être rock, en 2014?

Oh putain… J’en sais rien. Je vais te répondre en biais comme un gros connard. Entendons-nous bien sur un truc : je peux défendre mordicus un groupe anachronique comme les Lords Of Altamont qui sont un amalgame de culture biker, garage rock, etc… Le mec était dans les Fuzztones. Votre Little Johnny Jet de Gonzaï a d’ailleurs fait un article pour nous là-dessus qui est dantesque et très bien écrit. Le rock, c’est désuet mais c’est quelque chose de vital. Voilà, le mot est lancé. Entendons-nous bien, je parle des Lords Of Altamont qui n’est pas un grand groupe. Mais ils ont la flamme. Et cette culture rock au sens large, c’est la mienne. Après, je suis surtout intéressé par la pop, les belles choses, les mélodies, Je ne suis pas un fan invétéré de rock’n’roll. Je me fous d’être rock ou d’apparaître comme tel. Dans la vie, je suis quelqu’un de spontané, de vivant, et être rock, c’est peut-être s’amuser. Si on s’amuse pas dans la musique, on est mort. Être rock, c’est sans doute débile à dire, mais c’est se marrer.
J’ai du mal à répondre à ta question parce que le mot rock est devenu un mot complètement passe-partout. Il est complètement récupéré et ce mot m’énerve autant qu’une baguette-tradition ou qu’un café gourmand. Tu trouves des chaussettes rock, des oeufs de pâques rock, des pubs rock où tu vois une Gibson ou un ampli Marshall vendu par une banque…Tous les codes ont été absorbés par la société marchande. C’est terrifiant. Pour autant, je ne vais pas aller brûler les disques d’un groupe parce que sa musique passe dans une pub pour le Crédit Lyonnais. Même si je ne dis pas qu’il faudrait que le rock vive dans une tour d’ivoire, constatons qu’il a été sacrément délavé par tout ça. Attendons un peu que la pub et le marketing passe à autre chose, et je crois que pas mal de monde reviendra au rock avec plaisir. Personnellement, je continuerai toujours à en écouter. Je sais pourquoi j’aime Big Star, les Breeders, Stephen Malkus ou même Weezer. Je cite les noms qui me viennent au débotté, hein.

En parlant de Weezer…As-tu écouté leur dernier album? J’ai pas réussi à aller jusqu’au bout sans avoir envie de me défenestrer.

Ecoute, j’en attendais absolument rien et je n’ai pas obtenu grand chose, mais c’est moins mauvais que les 3 disques précédents. Jusqu’à l’album « Maladroit », Weezer m’allait très bien. C’est un bon groupe qui a été sincère, touchant. Sincérité que je recherche toujours. Et si être rock, c’était être tout simplement sincère?

Photos : Astrid Karoual

6 commentaires

  1. « J’ai cette tare d’avoir été un adolescent fan de Radiohead. »
    La phrase snob par excellence…
    Faut assumer ces goûts d’adolescent et puis honnêtement il y a quand même pire que ça.

      1. Vous jouez sur les mots.
        En commençant une interview sur ça, on pouvait s’attendre à un discours « je pète plus haut que mon cul ». Heureusement, il s’en tire plutôt bien.

  2. Salut,
    Un jour j’ai croisé ce Basile dans un festival en Bretagne.
    Je m’appelle Basile aussi, je lui ai fait remarquer ce n’était pas commun, la rencontre entre deux « Basile ».
    Il m’a regardé avec un mépris absolu dont seuls les parisiens ont le secret, qui m’a laissé un souvenir amer si bien que 20 ans après, je m’en souviens encore.
    Donc, si jamais le hasard te faisais lire ces lignes, Basile, hé bien j’espère que tu n’es plus un gros con.
    Basile

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