Disparus dans les bacs à soldeurs quelques années après leurs sorties, certains disques s’échangent désormais entre amateurs avertis, et c’est le cas pour ceux du groupe Trapeze. Dans un précédent épisode, nous vous avions conté la première partie de l’histoire du groupe avec le chanteur-bassiste Glenn Hughes. Le Coffret « Midnight Flyers – Complete Recordings Volume Two 1974-1981 » permet de se pencher enfin en détails sur la suite des aventures du guitariste Mel Galley et de son groupe.
Rappelons quelques faits : Trapeze est un groupe né de la fusion de deux formations de la banlieue de Birmingham en mars 1969, les Montanas et les Finder Keepers. Il pratique d’abord un rock psychédélique teinté de soul que remarque les Moody Blues, qui les signe sur son label Threshold.
La psychédélie étant en cours d’extinction au profit d’un son plus dur, Trapeze se retrouve en trio à la suite de défections successives : Mel Galley à la guitare, Glenn Hughes à la basse et au chant, Dave Holland à la batterie. Cette formation va enregistrer deux albums majeurs : « Medusa » en 1970 et « You Are The Music, We’re Just The Band » en 1972. Entre-temps, les Moody Blues les ont emmené en tournée américaine avec eux, et Trapeze gagne une solide réputation en Californie et surtout au Texas, où il joue en tête d’affiche très rapidement, quand il n’accompagne pas les vedettes locales comme ZZ Top dans des stades. Cette réputation est suffisante pour que Hughes attire l’oreille du guitariste de Deep Purple Ritchie Blackmore, alors à la recherche d’un bassiste et d’un chanteur après le départ de Roger Glover et Ian Gillan. Blackmore, l’organiste Jon Lord et le batteur Ian Paice assistent à un concert de Trapeze au Whisky-A-Go-Go de Los Angeles en avril 1973, et sont convaincus qu’il est l’homme qu’il leur faut. Hughes est approché par les Deep Purple, mais refuse d’abord, préférant se consacrer à Trapeze qui est alors en pleine ascension américaine. Cependant, les Purple insistent : Paul Rodgers est pressenti pour être le chanteur, mais Hughes en serait le bassiste et le second vocaliste. Devant la réputation du groupe et les forces engagées, il finit par accepter. La place de chanteur aura été prise par David Coverdale sur audition, Rodgers préférant former Bad Company. Pour Hughes, Deep Purple est la chance de sa vie, les autres Trapeze ne peuvent que le reconnaître et ne le retiennent pas. Hughes promet de revenir dès que possible dans sa formation de coeur, avec sans aucun doute une réputation internationale qui leur servira. Mais en 1974, le groupe est décapité.
La flamme refuse de s’éteindre
Threshold tente de maintenir l’intérêt des fans pour Trapeze en publiant la compilation « The Final Swing » avec la mention « Featuring Glenn Hughes ». C’est qu’en février 1974 est sorti l’album « Burn » de Deep Purple, énorme succès américain avec ses huit millions d’exemplaires vendus.
Le quintet tourne alors aux USA comme Led Zeppelin dans un Boeing à son nom. Glenn Hughes fait à cette occasion la découverte de la cocaïne dans laquelle il plonge sans retenue. Sur « The Final Swing », on découvre deux titres inédits : Good Love et Dat’s It, deux compositions explosives affinant la patine funk de « You Are The Music, We’re Just The Band » au contact des USA et de la musique soul locale que Glenn Hughes et Mel Galley adorent. Ce ne sont hélas que les deux seules traces abouties d’un futur album qui ne vit jamais le jour, mais qui était incroyablement prometteur.
Mel Galley et son fidèle second Dave Holland doivent rechercher du côté de Birmingham et de sa proche banlieue. La jolie réputation de Trapeze leur permet de sélectionner de manière assez exigeante, et ils recrutent Pete Wright à la basse et Rob Kendrick à la guitare. De manière assez surprenante, Galley se sent capable d’assurer le chant lui-même, sa voix ayant des intonations assez proches de Glenn Hughes, d’une puissance toutefois bien inférieure. Mais le garçon s’en sort plutôt bien lors des premières répétitions. Les morceaux travaillés avec Hughes sont jetés dans un placard, et le quatuor décide de tout reprendre à zéro afin de souder les quatre musiciens et d’en faire un vrai groupe. Mel Galley compose l’ensemble des musiques et son frère Tom se charge des paroles et de certains arrangements. Dave Holland se permet même d’apporter sa patte sur le titre Steal A Mile.
Trapeze est toujours sous contrat chez Threshold en Grande-Bretagne et chez Warner Bros aux USA. Le nouvel album nommé « Hot Wire » sort à la fin de l’année 1974. Il est à nouveau produit par Neil Slaven, l’homme derrière les deux précédents albums de Trapeze mais aussi surtout derrière le meilleur du blues-rock anglais : Savoy Brown, Chicken Shack, Keef Hartley Band… Malgré sa pochette colorée avec sa coupe de glace charnue et stylisée rappelant les graphismes des formations californiennes, le disque a été capté aux Island Studios de Londres et aux Lee Sound Studios de Birmingham. Bien que sa sonorité soit très ensoleillée et funk, c’est bien un disque typiquement britannique. Il est d’ailleurs assez étonnant de voir le contraste entre l’identité très anglaise de Trapeze, son attachement à un certain blues-rock, alors que ses influences sont très américaines, et que le jeu même de Mel Galley est un melting-pot original de rock’n’roll à la Bo Diddley, et du funk de James Brown.
Mille fois réédité en CD dans des formats parfois très cheap juste pour surfer encore et encore sur le lien avec Deep Purple, « Hot Wire » est un petit chef d’oeuvre perdu. Il fusionne avec génie hard-rock et funk de manière bien plus carrée et expressive, et surtout sans le moindre compromis. Là où Glenn Hughes aimait déambuler dans la musique californienne et la ballade soul inspirée de Stevie Wonder, Trapeze ne laisse ici aucun doute planer. En l’occurrence, il s’agit presque d’une sorte de nouveau boogie, avec des thèmes pouvant se jouer des minutes durant juste pour faire danser un public désireux de se défouler sur des grooves solides. En 1974, Status Quo a trouvé sa formule avec trois albums à succès successifs : « Piledriver » en 1972 », « Hello » en 1973, « Quo » en 1974. Trapeze semble vouloir trouver une formule plus charpentée de son hard-rock funky faisant le choix de l’efficacité rythmique. En cela, la paire Dave Holland-Pete Wright est absolument redoutable. Ce que Trapeze a perdu en versatilité créative avec le départ de Glenn Hughes, il le compense par la solidité de son groove. La première face de « Hot Wire » est en tous points de ce grain là.
La seconde débute par un redoutable heavy-funk souple et ample nommé Turn It On. S’installe avec ce titre une seconde facette de Trapeze nouvelle version : une sorte de spleen rampant qui imprègne des compositions plus sophistiquées, avec des choeurs soul et quelques incursions de synthétiseur. La musique n’a rien de progressive. Elle conserve son agressivité matricielle, mais sur les quatre morceaux à venir, Trapeze se montre audacieux, intelligent et moderne. « Hot Wire » devient le parfait compagnon de voyage, l’âme confite de doutes et d’échecs. Steal A Mile est un funk plus lumineux, bien qu’à l’éclairage pâle. On sent les influences gospel de ces semaines passées sur la route aux USA. C’est une chouette ballade, funky, enlevée, un peu triste aussi.
Goin’ Home est l’un des coeurs de cet album, avec son spleen blues rampant. Il y a de la colère, de la mélancolie, et ce goût d’échec et de cendres dans la bouche lié à ce thème à deux guitares en glissando. Galley et Kendrick se partagent les solos avec science, et avec des sonorités extrêmement proches. Terry Rowley, ancien claviériste de la première formation de Trapeze en 1969, s’occupe des quelques incursions de synthétiseur. Jamais un morceau n’a autant exprimé le spleen de la route, le dépit d’une vie ratée. Il le doit notamment à sa simplicité apparente. C’est un chef d’oeuvre dont les structures, l’atmosphère, la musicalité, aura des conséquences évidentes sur des formations comme Foreigner.
Feel It Inside est le chef d’oeuvre du disque avec ses presque neuf minutes de heavy-funk torride et ses choeurs soul. La chose mêle le Black Dog de Led Zeppelin, I Don’t Need No Doctor de Humble Pie, et Funkadelic. C’est absolument génial, avec ces explosions vocales soul, ces incursions de piano électrique, ces confrontations de guitares duettistes. Et puis il y a ce tempo collant, plein de groove implacable. Mel Galley dégoupille la slide avec un talent méconnu. La sortie de l’album est accompagnée d’une tournée essentiellement américaine. Au début de l’année 1975, « Hot Wire » est classé 146ème contre 172ème pour « The Final Swing ». Il se pourrait donc que Trapeze ne soit pas fini.
Le raid
Trapeze tourne très régulièrement aux USA, laissant de côté cette Europe qui ne s’intéresse pas à eux. Le marché américain est de toute façon le plus lucratif. En septembre 1975, les membres de Trapeze retrouvent les Island Studios de Londres. « Trapeze », le nouvel album qui sort en fin d’année aux USA et au début de l’année 1976 en Grande-Bretagne, se montre plus varié dans son approche, avec notamment l’intervention d’une section de cuivres sur certains morceaux. On retrouve quelques beignes hard-funk efficaces comme Starbreaker, The Raid, ou Gimme Good Love. Mel Galley s’en tire merveilleusement au chant, avec une voix plus puissante sur plusieurs titres. Glenn Hughes fait son retour sur la ballade Chances et le plus heavy Nothin’ For Nothing. Devenu une star planétaire avec Deep Purple, le bassiste-chanteur a décidé de donner un coup de pouce à ses vieux complices à l’aide de sa notoriété. En guise de simple, le quatuor reprend un vieux classique de la musique américaine : On The Sunny Side Of The Street, une composition jazz des années 1930 signée Jimmy McHugh et Dorothy Fields, et qui sera reprise par Louis Armstrong, Nat King Cole, ou Dizzy Gillespie. Trapeze en donne une version boogie efficace, avec sa slide et son piano.
Souvent méprisé, car existant dans l’ombre de la période Glenn Hughes, « Trapeze » est un très bon disque. Il est une nouvelle étape créative dans l’histoire de Trapeze, qui semble justement avoir réussi à passer ce cap difficile du départ de leur chanteur vedette. Mais le groupe s’ auto-flagelle en axant l’essentiel de sa set-list de concert sur ces vieilles scies du début des années 1970 alors qu’il a de la nouvelle matière passionnante à proposer. Qui plus est, si Mel Galley est un bon chanteur, il s’épuise vite vocalement sur scène, surtout en tirant sur ses cordes vocales comme un forcené pour atteindre un tant soit peu le niveau de Hughes sur You Are The Music, Jury ou Black Cloud. Ces morceaux, déjà longs à l’origine, sont par ailleurs allongés, usant sans relâche la gorge de Galley. C’est ce que montre le concert du 13 septembre 1975 au Nottingham Boat Club. Si Trapeze fait partie du circuit des belles arènes en compagnie des meilleurs formations en tournées US, le quartette est obligé de se rabattre sur bien plus modeste lors de ses incursions britanniques. Cela lui permet néanmoins de reprendre pied avec la réalité, et de se concentrer pour convaincre. Musicalement, sur ce set, Trapeze est irréprochable, mais Galley peine rapidement vocalement pour les raisons évoquées plus haut. Il est dommage par exemple que « Hot Wire » ne soit représenté que par Back Street Love alors que Midnight Flyer aurait aisément pu remplacer Way Back To The Bone. Mais l’ombre de Glenn Hughes sera rapidement devenu un handicap plutôt qu’un tremplin. Les Trapeze sont devenus l’ex-backing-band de Hughes de Deep Purple, et pas un groupe original qui a continué sa route.
Une reformation ratée
« Trapeze » se vend mal et ne se classe pas. Warner Bros commence à s’impatienter et casse le contrat qui les lie. Mel Galley et Dave Holland mettent en pause Trapeze pour accompagner Justin Hayward et John Lodge, deux de leurs mentors des Moody Blues, pour l’album « Blue Jays » et la tournée britannique qui l’accompagne en novembre 1975.
Puis Glenn Hughes se retrouve au chômage de Deep Purple au début de l’été 1976 après une dernière mondiale compliquée, en grande partie abîmée par les consommations de drogues dures gargantuesques de Glenn Hughes, Tommy Bolin (le guitariste qui a remplacé Ritchie Blackmore au printemps 1975) et le chanteur David Coverdale. Ce dernier quittera la scène du Liverpool Empire Theatre le 15 mars 1976, convaincu que Deep Purple est à bout de souffle. Ce sera leur dernier concert avant une séparation officielle en juillet.
Sans groupe, Hughes décide aussitôt de reformer Trapeze dans sa formation trio originelle avec Galley et Holland, réalisant ainsi sa promesse de 1973. De plus, il leur apporte sur un plateau un label : Purple Records, celui de Deep Purple, avec toute sa puissance commerciale. Enfin, c’est ce qui semble laisser paraître. Il fait écho à Apple, le label des Beatles, et à Swan Song de Led Zeppelin. Ce dernier sera pour un temps une réussite avec le succès international de Bad Company. Mais les derniers mois d’existence officielle de Deep Purple sont surtout consacrés à solder les affaires financières du groupe entre son label, et la paye des équipes et des musiciens pour la dernière tournée, ainsi que les ayant-droits du nom et de la discographie. Il faudra ainsi presque cinq mois pour solder tout cela.
Pendant ce temps, Hughes n’a pas eu de mal à convaincre Galley et Holland de le rejoindre pour reformer le trio de légende. Les premières photos de la réunion sont prises dans les locaux de Purple Records. Si Galley et Holland semblent souriants et en bonne santé, Hughes est bouffi, le regard vague, avec sa cigarette aux doigts. Il est calciné par la cocaïne et cela se voit déjà. Des tournées US et britannique sont annoncées pour août et septembre 1976. Finalement, il n’y aura qu’une poignée de concerts en septembre 1976 dans le secteur texan, avant que Glenn Hughes ne quitte l’affaire, ravagé par la drogue. Le coffret propose un enregistrement du 12 septembre 1976 à Arlington au Texas. La prestation est fumante, quoique parfois bancale. Mais il est clair que le trio a de la puissance sous la pédale. Cependant, il est impossible de la réanimer totalement et avec rigueur, car Glenn Hughes a ses hauts et ses bas. Musicalement, on est souvent dans le haut, mais le personnage est souvent dans le bas à côté de la scène. Deux nouvelles chansons sont proposées : L.A. Cut Off et Space High. Elles sont le début… et la fin d’un potentiel nouvel album de Trapeze. Elles seront enregistrées en trio, mais finiront sur le premier album solo de Glenn Hughes, « Play Me Out » en 1977. Il sera publié sur le label Safari, un petit label de … punk new wave. Et on est loin de Purple Records.
Mel Galley restera convaincu que lorsque Hughes était en forme, le trio était absolument intouchable. L’enregistrement d’Arlington confirme cette impression. La tournée s’arrêtera donc rapidement, et toutes les illusions d’un Trapeze porté par le tremplin Deep Purple s’effondrent assez lamentablement. L’enregistrement inédit du 12 septembre 1976 permet clairement d’entendre les qualités et les défauts du trio reformé. Galley et Holland restent imperturbables, quoique portés par un enthousiasme indéniable. Pour ce qui est de Glenn Hughes, il est autant génial que maladroit et excessif. Une chose est sûre : la cocaïne est un poison pour lui. Et ce n’est que le début d’une longue descente aux enfers qui prendra fin au début des années 1990.
Nouvelle résurrection
Mel Galley et Dave Holland décident de ne pas abandonner, et poursuivent sous forme de trio avec Pete Wright de retour à la basse, Galley reprenant le micro. Au printemps 1977, Trapeze rejoue en Grande-Bretagne. Le contexte musicale du pays a profondément changé avec l’arrivée du punk. S’il reste assez minoritaire dans le Nord de l’Angleterre, il est bien implanté vers Manchester, et surtout à Londres. Trapeze prend le circuit de la scène heavy-metal anglaise de l’époque : Judas Priest, Budgie, Motörhead. Thin Lizzy, UFO ou Status Quo sont également très populaires dans ces secteurs ouvriers très affirmés, et peu sensibles à la hype londonienne.
Mel Galley est conscient que ses capacités vocales sont limitées et ne tiennent pas au-delà d’une poignée de morceaux par concert. Au milieu des Phil Lynott, Phil Mogg, et Rob Halford, il ne fait clairement pas le poids, et cela ne permettra pas à Trapeze de redécoller. Pete Goalby est donc approché. Ancien membre d’un groupe nommé Fable, il a été signé comme artiste solo dans la même société de management que Trapeze, Astra. C’est un garçon du coin de Birmingham, et il connaît déjà Galley et Holland. Il est officiellement auditionné et intronisé lors d’un concert enregistré par la station de radio locale Trent de Nottingham, le 4 avril 1977 à Mansfield. Goalby va interpréter deux titres seulement, et de nouvelles compositions uniquement. Sa voix élégante et expressive a aussi un côté mélodique assez affirmé qui rappelle des vocalistes comme Lou Gramm de Foreigner, groupe de hard FM qui est en train de cartonner aux USA. Chanteur mais aussi guitariste, il est d’abord recruté pour seconder Galley lorsque ce dernier défaille, avant de devenir de fait le véritable chanteur, délaissant de plus en plus sa guitare. Au final, chacun se concentre sur son instrument de prédilection, et Trapeze se remet à fonctionner à pleins cylindres.
Trapeze réussit à amasser la somme nécessaire à un nouvel enregistrement, qui se déroule en 1978, alors que le mouvement punk vient de retomber et mute en new wave. Le nouveau quatuor se retrouve aux Basing Street Studios de Londres avec un revenant à la production : Jimmy Miller.
Miller fut notamment l’homme derrière les meilleurs albums des Rolling Stones (« Beggars Banquet », « Let It Bleed », « Sticky Fingers », « Exile On Main Street »). Il va commettre l’erreur fatale de vouloir suivre le rythme de vie de Keith Richards et plonge dans une addiction dévorante à l’héroïne. En cette fin de décennie seventies, il sort la tête de l’eau et se remet doucement au travail. Il n’a pas perdu son oreille et sa capacité à parfaitement capter un groupe live en studio. Il est de fait abordable financièrement, car il cherche de nouveau du travail, sans aucune prétention, conscient de sa réputation d’ancien toxicomane. Il va offrir à Trapeze un écrin sonore impeccable, transcrivant avec la plus grande justesse la puissance musicale de ses musiciens, y compris Pete Wright, un peu sous-mixé auparavant. On peut aussi apprécier pleinement la frappe puissante de Dave Holland, pleine, tendue, et qui cette fois emplit le fond du mix avec bonheur. Par la suite, Jimmy Miller va réveiller sa carrière en signant la production de l’album « Overkill » de Motörhead qui sort au début de l’année 1979.
Astra ne décroche guère mieux qu’un contrat avec le label allemand Shark, qui s’est un peu spécialisé dans les has-beens du rock anglais : il a notamment à son catalogue Stan Webb’s Chicken Shack, et Fandango avec Nick Simper, premier bassiste de Deep Purple. Le disque est publié sous le titre « Running » avec sur la pochette une jolie blonde nue semblant danser. On est dans la lignée des pochettes de Scorpions de « In Trance » et « Virgin Killer », entre sexy et machisme un peu crasse (pédophilie pour « Virgin Killer »). Une jolie naïade nue aurait pu encore se comprendre dans un contexte hippie et psychédélique de la fin des années 1960. Mais en 1978, et alors que le son hard’n’heavy se durcit et a clairement tendance à jouer avec les symboles urbains et agressifs, Trapeze voit sa musique enveloppée dans un écrin des plus ringards. Cela n’a cependant pas trop d’importance, puisque la réputation de Trapeze en Allemagne est complètement inexistante, le groupe n’y ayant jamais mis les pieds, contrairement à Chicken Shack qui eut quelques succès commerciaux là-bas.
Si cette publication allemande est bien la première de ce nouveau disque, sa carrière débute vraiment avec sa publication en Grande-Bretagne sur le petit label Aura, au catalogue très varié, entre la jazz-woman Annette Peacock, les publications d’inédits de Big Star et Alex Chilton, et des artistes new wave comme Ian North. La pochette britannique est bien plus élégante et suggestive. Le disque est nommé « Hold On », et sortira sous cette forme sur le label Paid Records aux USA en 1980.
Si la qualité de l’enregistrement est impeccable, les compositions et l’interprétation ne le sont pas moins. L’arrivée de Pete Goalby a littéralement libéré la créativité de Trapeze. Si Mel Galley reste le compositeur principal, Goalby signe pas moins de trois compositions sur neuf. Il apporte notamment sa touche mélodique, avec des compositions accrocheuses comme Don’t Ask Me How I Know ou Living On Love. Mel Galley reste le pourvoyeur de chansons à la teinte de plus en plus trouble émotionnellement parlant, de plus en plus gagnées par la mélancolie alors que l’âge avance. On commençait déjà à en trouver des traces sur des morceaux comme Turn It On de l’album « Hot Wire ». Elle se distille plus subtilement sur « Hold On ». Les morceaux les plus poignants sont la cavalcade perdue de Running, You Are et le sublime final Time Will Heal. Terry Rowley est encore une fois en charge des arrangements de claviers et de cordes, comme d’habitude depuis… le début du groupe, puisqu’il en fut un des membres fondateurs en mars 1969 avant de le quitter en 1970, provoquant la bascule hard’n’heavy.
« Hold On » est un album intense, mais sa diffusion rachitique n’en fera pas un album majeur. Et puis, à cette époque, quatre ans entre deux disques est inconcevable. Le précédent, « Trapeze », datait de la fin 1975, « Hold On » sort en 1979. Il est clair que Trapeze n’a plus aucune perspective de réussir. Malgré la qualité merveilleuse de « Hold On », ses compositions, son interprétation, ses arrangements, Trapeze est devenu un groupe survivant des années 1970, à l’avenir plus qu’incertain.
Un lent effritement
1980 est un tournant pour la scène hard-rock/heavy-metal. Une nouvelle génération de groupes anglais débarquent sous le nom de New Of British Heavy-Metal (NWOBHM) avec des noms comme Iron Maiden, Saxon ou Def Leppard. Quelques formations plus anciennes tirent leur épingle du jeu comme Judas Priest, Motörhead ou Black Sabbath avec le nouveau chanteur Ronnie James Dio. Mais pour ceux qui n’ont pas vu le vent venir, les choses se compliquent. Trapeze est de ceux-là. Déjà largement en difficulté malgré la sortie de l’album « Hold On », il perd en août 1979 le batteur historique Dave Holland. Ce dernier saisit l’opportunité d’intégrer la formation montante de Birmingham Judas Priest. Pour le coup, il aura le nez creux, puisqu’en 1980, ils publient le classique « British Steel ».
Refusant obstinément d’être classé heavy-metal, Mel Galley recrute Steve Bray à la batterie, dont le pedigree est tout sauf hard-rock. Il a fait partie de plusieurs groupes pop, dont le dernier en date est celui de la chanteuse Toyah. Galley a voulu un batteur solide dans la lignée de Dave Holland, mais tout le monde n’a pas le talent de ce dernier en matière de puissance rythmique. Bray est un batteur efficace, mais un peu moins percutant que son prédécesseur.
Afin de se relancer, Trapeze décide de laisser la Grande-Bretagne de côté pour retrouver les terres américaines, et surtout texanes où il joue encore en tête d’affiche. Trapeze a tourné intensément avec Nazareth, Humble Pie et Krokus. En mai 1981, le groupe capte ses prestations à la Texas Opry House d’Austin, une salle d’environ deux mille spectateurs. Le public est acquis à leur cause, et là, Trapeze y saisit un très bon album live qui sort sous le nom de « Live In Texas – Dead Armadillos », avec une pochette parodiant les cartes postales locales célébrant ce qui fait la réputation de la ville ou de l’État. L’animal fétiche du Texas, le tatou, y est malmené dans tout ce qui fait la symbolique économique de l’État : les routes interminables, les buildings, le pétrole.
Le disque ne présente que six morceaux largement allongés. Les trois derniers disques sont représentés sur la face A, et la période Glenn Hughes occupe toute la face B. Trapeze se focalise sur le répertoire le plus connu, et n’offre que peu de place à un dernier album distribué de manière confidentielle aux Etats-Unis. Trapeze, qui a toujours été un excellent groupe de scène, a enfin son disque live. Il est réussi, avec des interprétations gavées du punch musical de Mel Galley, avec son jeu ultra-rythmique. Pete Wright et Steve Bray assurent une rythmique carrée, et Pete Goalby, désormais uniquement chanteur lead, harangue la foule et interprète l’ensemble du répertoire avec aisance, se l’appropriant avec talent. Mel Galley vient encore chanter lead sur un couplet par-ci par-là, mais il se concentre sur la guitare, et il est absolument brillant. Des titres comme Midnight Flyer prenne une vraie piqûre de hard-funk robuste. Les titres de l’époque Glenn Hughes bénéficient également d’une cure de fraîcheur, désormais emmenés par un chanteur de talent qui, sans avoir l’étendue vocale soul de Hughes, assure un beau travail vocal. Le fait que le groupe revienne à une configuration à une guitare permet à Galley d’occuper tout l’espace, et son jeu en a toute l’amplitude. You Are The Music, Black Cloud et Way Back To The Bone sont ravivés et sonnent incroyablement modernes alors qu’en même temps, des groupes comme Mother’s Finest ont aussi développé un son mélangeant hard-rock et funk.
Cette carte postale texane restera cependant la dernière trace discographique avant la décomposition progressive de Trapeze. A la fin de l’année 1981, c’est Pete Goalby qui quitte le navire pour devenir le chanteur de Uriah Heep, formation malmenée en 1980, mais qui est en cours de réactivation autour de ses membres historiques le guitariste Mick Box et le batteur Lee Kerslake.
A deux pas du but
Alors que Mel Galley tente de maintenir coûte que coûte en vie son Trapeze avec le bassiste-chanteur Mervyn Spence après le départ de Wright, le claviériste Richard Bailey, et le batteur Kex Gorin en remplacement de Bray qui a fui, c’est lui-même qui est dragué par une formation internationale.
En l’occurrence, il s’agit de Whitesnake. Curieuse ironie que ce soit la formation de l’ancien chanteur de Deep Purple période 1973-1976 avec le bassiste-chanteur… Glenn Hughes, qui vient le chercher. En tout cas, Whitesnake, qui occupe un terrain hard-blues charpenté et efficace, a du mal à s’imposer aux USA. Composé au départ de vétérans, dont Jon Lord aux claviers et Ian Paice à la batterie, les deux piliers de Deep Purple, ils disposaient aussi du bassiste de jazz-rock Neil Murray, et des deux guitaristes blues-prog Bernie Marsden et Micky Moody. Durant l’enregistrement de l’album « Saints And Sinners », Galley est testé alors que Marsden est sur le départ. Il va être intégré à sa place pour la tournée qui suit. Il n’est pas le seul changement dans Whitesnake. Cozy Powell prend la batterie, le bassiste jazz-prog Colin Hodgkinson la guitare à quatre cordes. Le sextet monte en puissance, et lorsque Whitesnake retourne en studio avec Martin Birch, le producteur historique de Deep Purple, Rainbow, Black Sabbath, Blue Oyster Cult et Iron Maiden, Mel Galley cosigne déjà cinq titres contre un pour Moody. C’est lui qui fait la bascule de Whitesnake vers un hard-rock plus racé et mélodique, tout en gardant sa touche bluesy. Micky Moody contribue toujours à cette dernière avec sa slide poussiéreuse. Mais malgré le remaniement, les Whitesnake restent des vieux briscards de la scène anglaise, et le plus crédible dans la succession de Deep Purple, Jon Lord étant toujours aux claviers. La touche Galley est particulièrement perceptible sur un titre comme Love Ain’t No Stranger avec son riff puissant et très rythmique qui fait aussi le bonheur de Cozy Powell et Colin Hodgkinson. « Slide It In » est numéro neuf des ventes en Grande-Bretagne, mais surtout 40ème dans le Billboard US grâce à un remixage américain du disque, et le remplacement des pistes de Moody par une nouvelle recrue : John Sykes, petit prodige blond et sexy issu des Tygers Of Pan-Tang et de Thin Lizzy. Le disque va atteindre le statut de double disque de platine aux Etats-Unis, et marque le début du succès international de Whitesnake tant recherché par David Coverdale, qui a toujours rêvé de faire mieux que Deep Purple sous son propre nom. Curieusement, en avril 1984, alors que Whitesnake touche enfin du doigt le succès international, le Deep Purple de la période « Machine Head » avec Ian Gillan et Roger Glover reprend vie avec l’album « Perfect Strangers ».
La tournée mondiale de Whitesnake débute le 17 février 1984 à Dublin avec le retour de Neil Murray à la basse. Le groupe joue devant des arenas pleines après la tête d’affiche des Monsters Of Rock à Castle Donington en 1983. En mars 1984, le groupe est en Allemagne. Comme pour toute tournée rock, les musiciens aiment à faire les idiots. Un soir, John Sykes et Mel Galley s’amusent avec un caddie sur un parking. Galley est dans le caddie, Sykes pousse. Le premier finit on ne sait trop où : dans une voiture stationnée ou dans un escalier selon les versions. Toujours est-il que Mel Galley, trente-six ans, a le poignet gauche broyé. Et plus grave, les nerfs sont touchés. Il persiste une rumeur selon laquelle Sykes l’aurait fait exprès pour devenir le guitariste star de Whitesnake, d’autant plus que devant l’indisponibilité de Galley, il va devenir assez automatiquement le petit prodige capable d’occuper l’espace pour deux, car personne n’envisage de remplacer Galley après presque dix ans à deux guitaristes. En avril 1984, Jon Lord va faire sa révérence pour Deep Purple, et Whitesnake va devenir un quatuor guitare-basse-batterie-chant à la Led Zeppelin, comme lors de leur prestation à Rock In Rio en 1985.
Un homme détruit
En attendant, la carrière de Mel Galley est brisée. Il tente toutes sortes de rééducations, et finit par trouver un spécialiste qui lui met une attelle articulée au poignet capable de compenser ses défaillances nerveuses. Seulement voilà, lorsqu’il revient se présenter à David Coverdale, ce dernier veut un groupe sexy. Un presque quarantenaire avec une vieille attelle au poignet n’est pas dans ses plans de conquête américaine. Mel Galley reprend pied avec le projet Phenomena de son frère Tom, un concept qui regroupe des pointures comme Cozy Powell ou Glenn Hughes. Galley devient cependant un musicien de l’ombre, victime des impacts de sa blessure.
En 1992, Mel Galley, Dave Holland et Glenn Hughes décident de se retrouver pour une série de concerts de reformation. Holland a quitté Judas Priest en 1989, Galley réapprend la guitare avec son attelle, et Hughes sort d’un tunnel de cocaïne de seize années. Pour célébrer cela, ils enregistrent le set au club Borderline de Londres le 16 mai 1992. Le concert est énergique, mais très clairement, le jeu de Galley est affecté. Il a perdu une bonne partie de sa dynamique liée à ces foutus tendons abîmés. Ironiquement, en 1987, Sykes sera remercié après sa copieuse contribution sur l’album « 1987 », le disque majeur international de Whitesnake. Il sera remplacé par les sexy Adrian Vanderberg et Vivian Campbell, comme une sorte de retour de kick de sa potentielle fourberie envers Mel Galley.
Le live au Borderline est efficace, solide, et permet surtout à Glenn Hughes de revenir à la vie. Holland est imperturbable, Galley souffre quelque peu. Ce dernier impose cependant un titre post-Hughes : Midnight Flyer, qu’il chante. La version est un peu fatiguée, et les claviers kitsch de Geoff Downes n’arrangent rien. C’est un disque sympathique, mais il est évident que Galley décline. Il disparaît en juillet 2008, victime d’un cancer. Entre-temps, on reparle de Dave Holland en 2004 pour le viol d’un jeune élève mineur handicapé apprenant avec lui la batterie. Il sera condamné à de la prison et en ressortira en 2012. Il mourra en 2016 en exil en Espagne. Toujours est-il qu’en 2024, il ne reste guère plus que Glenn Hughes pour rappeler l’existence de Trapeze.
Des archives inattendues
Tom Galley, le frère de Mel, fut co-signataire de nombreuses compositions de Trapeze. Il était le mieux placé pour ressusciter l’esprit de son frère. Il a décidé de se plonger dans les archives de ce dernier, et en a ressorti un premier volume de morceaux inédits de Trapeze nommé « Lost Tapes Vol.1 ». Il s’agit de bandes démos largement abouties, avec des titres parfaitement achevés et prêt à l’enregistrement. On constate la prolixité de Mel Galley. Si Trapeze n’a finalement sorti que six albums studio en treize ans d’existence, cela était surtout dû au manque d’opportunités, notamment après 1975. Le travail était déjà bien avancé avec Glenn Hughes en 1973 pour un nouvel album qui risquait d’être décisif, comme le montre des titres comme Lover, Catching Up On You ou Do You Understand. On peut dire la même chose en 1976, avec des pistes puissantes comme Breakdown.
Cet intitulé indiquant un premier volume sous-entend d’autres archives à venir. On ne peut que s’en réjouir devant la qualité de ce volet introductif. Il permet de remettre en lumière la plume et le jeu de guitare unique de Mel Galley plein de groove et de mordant. On redécouvre presque sa musique à travers ces chansons oubliées. On constate enfin que la musique de Trapeze était le fruit d’un intense travail de répétition et d’écriture.
Alors que s’évapore le souvenir du rock dans l’esprit de la pop-culture, « Lost Tapes Vol.1 » est avant tout un cadeau aux fans de Trapeze et à tous ceux qui auront la chance et le plaisir de tomber sur la musique de Mel Galley.
Glenn Hughes continue sa carrière solo de manière presque boulimique, après avoir gâché presque vingt ans à sa passion pour la cocaïne. Il reste évidemment très reconnaissant à Deep Purple, auquel il rend régulièrement hommage, à l’instar de David Coverdale avec son Whitesnake. C’est que vu la configuration de Deep Purple depuis 1984 avec Gillan et Glover, ils sont les seuls à pouvoir maintenir le souvenir des albums « Burn », « Stormbringer » et « Come Taste The Band », tous trois d’importants succès commerciaux aux USA. Il reste dans les setlists de Hughes un peu de place pour une ou deux chansons de Trapeze, pour les puristes. Mais sans le groove de Galley et Holland, il manque indubitablement quelque chose que l’on ressent immédiatement à l’écoute des albums.
Trapeze // Midnight Flyers – Complete Recordings Volume Two 1974-1981 // Cherry Red
https://www.cherryred.co.uk/trapeze-midnight-flyers-complete-recordings-volume-2-19741981-5cd-box-set