Alors qu’avec leur premier album Lulu Van Trapp venait souffler un vent revigorant sur le paysage musical indé français, le groupe se réinvente encore sur « LOVECITY ». Marqué par la dimension plus contemporaine de ses textes tout comme celle de la composition, ce nouvel album part à la conquête d’un public qui ne se reconnaît plus dans des rengaines usées comme les chansons de Michel Sardou. 

En 2021, après des années de concerts sans vraiment réussir à mettre le doigt sur la formule souhaitée pour se démarquer, Lulu Van Trapp sortait enfin son premier album « I’m Not Here to Save the World ». Maintenant que leurs précédents morceaux ont été joués jusqu’à l’usure devant un parterre de fanatiques conquis, le groupe préfère se réinventer plutôt que de tomber dans l’écueil du menu succès apporté par leurs anciens titres. Avec « LOVECITY », Lulu Van Trapp tente désormais de chroniquer en chanson notre époque tourmentée.

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Évoluer avec son temps

Depuis l’essor de l’industrie musicale, la longévité d’un groupe ou artiste est toujours restée étroitement liée à sa capacité à faire évoluer sa musique avec son temps. Afin de transcender le caractère temporaire d’un succès relatif, les artistes s’acharnaient à essayer de rester tendance d’année en année, d’album en album, avant de renoncer – ou pas – une fois que le star system avait nommé ses nouveaux ambassadeurs. Pour ne pas se voir démodés, la clef du succès résidait sans conteste dans l’adaptation de leur musique et de l’image véhiculée en fonction des vogues des époques traversées. David Bowie, lorsqu’il assassine Ziggy Stardust en pleine Bowiemania, demeure un bon exemple de cet impératif de réinvention pour survivre aux mutations de la musique populaire avant qu’il ne soit trop tard. 

Il est grotesque d’observer aujourd’hui que de nombreux musiciens semblent se convaincre que si leurs précédents morceaux ont participé à les populariser, il faudrait que les prochains soient on ne peut plus similaires pour ne pas risquer de s’aliéner un auditoire conquis avec peine. Cela traduit avant tout une peur pour la prise de risque. En même temps, multiple sont les exemples de fans atterrés par leurs idoles qu’ils accusent de s’être fourvoyées, trahies dans une démarche musicale à visée commerciale.

Sauf qu’à l’instar de la routine, à force de s’assourdir avec les mêmes conneries, au bout d’un moment la lassitude conduit à l’irrépressible besoin de s’arracher de nos habitudes barbantes. Cette nécessité pour les artistes de savoir se réinventer devrait s’imposer de manière d’autant plus prégnante à l’aune des deep fakes et autres expérimentations aussi risibles qu’effrayantes à la Now And Then des Beatles. Puisque l’IA générative peut désormais imiter à s’y méprendre le style et la voix de n’importe quel artiste, il semble préférable de dépasser la machine avec un contenu aussi inédit qu’inattendu créé par les artistes eux-mêmes afin de se prémunir d’une future industrie musicale dominée par les tubes d’artistes artificiels qui n’existent qu’à travers de titanesques bases de données.

Des influenceurs parmi d’autres 

Pour la pochette d’ « I’m Not Here to Save the World », l’illustrateur Apollo Thomas représentait les quatre membres de Lulu Van Trapp à la manière de héros d’une BD de science-fiction. Le groupe y tourne le dos à l’urbanisme futuriste, d’une architecture fantasque, pour contempler l’horizon pointé par l’alter ego de la chanteuse Rebecca. Mais que regardaient-ils hors champ au juste ?

Lulu Van Trapp - I'm Not Here To Save The World - Les Oreilles CurieusesÉtait-ce un signe annonciateur du virage musical que le groupe allait entreprendre ? Fallait-il y déceler que Rebecca, Max, Manu et Nico renonçaient à rechercher l’innovation musicale dans des influences éculées et fantaisistes pour dorénavant s’attacher à façonner une musique plus concrète en raccord avec le présent ? Ou bien était-ce un indice qui suggérait que le groupe partait désormais à la conquête d’un continent à défricher, qu’il s’attaquait à un nouveau cœur de cible pour sa musique ? Quelles que soient les réponses à ces questions, Lulu Van Trapp s’applique dorénavant à jouer avec les codes actuels dans le fond comme dans la forme.

Dans la forme, car depuis peu, en plus des réseaux sociaux de Mark Zuckerberg que l’on sait désertés par les nouvelles générations, Lulu Van Trapp a adopté TikTok qui regorge d’un auditoire qui n’avait certainement aucune affinité avec ce groupe auparavant. Lulu Van Trapp documente sous la forme de prises de parole ou de mini reportages de leurs concerts et tournées sur le modèle du found footage leur vie d’artiste un peu à la manière d’influenceurs bien conscients que leurs followers passent un temps abyssal les yeux rivés vers leurs écrans pour combler l’ennui. Contrairement à d’autres artistes dont le mythe s’est renforcé par leur dimension de démiurge inatteignable, Lulu Van Trapp se présente comme un groupe accessible, tangible et ancré dans le réel, qui s’engage à répondre aux messages qui leur sont adressés et à prendre position sur des sujets brûlants.

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Nourrir cette curiosité pour savoir « comment se comporte le groupe en coulisses », « à quoi ressemble son quotidien », « que pense-t-il de l’actualité  », tout cela devient une condition indispensable au succès. Dans cette époque où le conspirationnisme n’est plus seulement une croyance véhiculée par quelques illuminés, a-t-on besoin de s’assurer que les groupes que l’on écoute partagent nos opinions et qu’ils ne sont pas des machinations imaginées par une industrie opaque pour nous détourner du réel ou autre supercherie ? Les artistes ne s’expriment ainsi plus seulement à travers leurs chansons et dans les interviews mais s’adressent directement à leur auditoire via les réseaux sociaux pour feindre une proximité de façade, fédérer une communauté et élargir leur influence par le biais de publications qui génèrent des réactions de leurs fans. Lulu Van Trapp est bien évidemment loin d’être le seul groupe à adopter ce type de stratégie adapté à l’environnement numérique. Taylor Swift, en interagissant avec ses swifties sur les réseaux sociaux depuis plus d’une décennie, prouve que le marketing digital dans le secteur musical peut mener à une incontournable célébrité planétaire. Aujourd’hui, ces plateformes regorgent de vidéos dans lesquelles on découvre nos groupes et musiciens favoris en dehors de la scène, dévoilant de courts fragments anodins de leur quotidien, qui viennent rappeler qu’ils ne sont après tout que de simples êtres humains.

Pourtant, à l’aune des scandales de l’âge d’or de la musique pop comme lorsque John Lennon a sarcastiquement affirmé que les Beatles étaient plus connus que Jésus Christ ou quand Bill Grundy a laissé la clique des Sex Pistols proférer des obscénités à l’antenne à une heure de grande écoute, difficile d’imaginer les stars d’antan prendre si facilement la parole sans conséquence. Nombreux sont les exemples de maisons de disques et manageurs ayant interdit à leurs artistes de répondre aux interviews sans leur aval ni avec une communication bien ficelée digne de la sphère politique. Prendre la parole publiquement peut, dans certains cas, relever du suicide commercial quand on pense par exemple aux écarts de certains chanteurs comme Michel Sardou qui s’est lui-même aliéné une partie de son propre public par sa bêtise. Lulu Van Trapp, de son côté, a expérimenté la controverse lors de son opération de communication pour le lancement du clip l’amour et la bagarre. 

Il n’empêche que les mœurs et les codes de la promotion artistique évoluent en parallèle de l’essor technologique. Cela sous-tend une réflexion darwiniste : ceux qui ne savent s’adapter à ces nouvelles manières de toucher un plus large public risquent de se transformer en reliques d’un monde bel et bien éteint. Les groupes réfractaires à cette communication nouvelle génération vont se retrouver totalement invisibilisés.

Du body shaming aux cam girls

Sur le fond, celui des paroles et de l’instrumentation des morceaux, Lulu Van Trapp semble écarter les mélodies candides et compositions édulcorées caractéristiques de leur premier album. Fini l’atmosphère joviale et délurée ou le cloisonnement dans des approches rétro qui n’ont peut-être plus vraiment de sens aujourd’hui – même si leur musique conserve néanmoins une esthétique un peu années 80, notamment avec la sonorité des synthés. Le quatuor modernise sa démarche autour des pulsations électroniques, machines rythmiques et en intégrant des outils comme l’auto-tune. À l’occasion de la sortie du clip de l’unique single de ce nouvel album, le bassiste Manu nous confiait : « Même si on joue du rock on écoute plein de trucs, d’autres styles avec beaucoup d’auto-tune donc logiquement on voulait l’utiliser parce qu’on aime ça. Ce n’est pas une démarche consciente de modernisation, on fait juste le son qu’on a envie d’écouter. Je trouve que ça manque dans le rock d’avoir des sonorités un peu plus diverses. » Max ajoutait alors : « Les rappeurs se mettent grave à faire des trucs plus rock, sauf que les rockeurs se limitent. On est contre le cloisonnement et pour nous il n’y a aucune règle. Il y a d’autres morceaux sur l’album où on part sur des styles qu’on n’avait jamais arborés auparavant. »

Dans les textes, place à la critique plus explicite d’un système qui se rapproche sans cesse de ce qui aurait été qualifié de dystopie il n’y a pas si longtemps. Les sujets traditionnels de la musique populaire, en voie de putréfaction, sont remplacés par des chansons à message qui s’attaquent à des thématiques éminemment sociétales, omniprésentes dans notre monde dématérialisé. Les paroles s’adressent désormais à toute une frange d’auditrices et auditeurs de la génération Z comme pour leur signifier que le rap et ses dérivés comme la « pop urbaine » ne sont pas les seuls genres musicaux à avoir conscience de leurs tracas quotidiens.

Lulu Van Trapp s’ancre dans son époque avec des chansons comme geisha qui botte avec une certaine verve les injonctions à la féminité. Ode à l’empouvoirement et à la récupération de son corps, la chanson défie le body shaming qui prolifère en parallèle du voyeurisme des réseaux sociaux. Quant à porn booth, c’est une ingénieuse mise en scène qui esquisse l’histoire d’une cam girl à l’autre bout du monde, interprétée en anglais par Rebecca, et des sentiments de son usager avide de ce type de cybersexualité à travers le chant en français de Max.

Metal hero peut faire écho à l’individualisme égocentré qui caractérise nos sociétés occidentales et évoque l’incapacité d’action pour influer sur le monde qui nous entoure. Puis, la ballade de maori, morne chanson d’amour, suggère de réussir à « voir le beau dans le désespoir ». La solitude et la dépression imprègnent toujours la même. Les sujets abordés dans les textes ne se focalisent cependant pas uniquement sur la déception et le désenchantement. Puisque notre époque et plus particulièrement l’industrie du divertissement manquent certainement cruellement de sincérité, pour l’un peu mièvre 4 ever Lulu, Rebecca chante à cœur ouvert son amour pour son groupe qui s’affirme comme un modèle familial.

Malgré ce ravalement de façade, Lulu Van Trapp reste attaché à son identité sonore en laissant une place prépondérante à la guitare et au jeu de basse en plus de l’approche vocale avenante de Rebecca qui se voit juste parfois techniquement transformée. Les ballades comme national honey (she loves violence), devour ou never love again renouent avec certaines chansons anglophones de leur dernier album mais l’esthétique de riverstyx et city girl est peut-être plus proche des vogues musicales actuelles. l’enfer avec toi, totalement radiodiffusable sur les stations à forte audience, s’oriente elle vers la variété.

Porte-voix contestataire

Le groupe met cependant un pied vers le registre de la chanson contestataire avec certainement l’intime espoir que sa voix devienne audible dans le contexte des luttes sociales et du combat contre les violences systémiques qui émaillent notre actualité. D’ailleurs, vous l’aurez sûrement remarqué, à la manière de bell hooks, Lulu Van Trapp refuse les majuscules en intitulé de leurs morceaux. Le groupe s’approprie ainsi l’argument de la militante féministe africaine-américaine qui considère, prosaïquement, que le contenu prime sur l’appellation.

L’image véhiculée par le quatuor évolue en parallèle. Terminé le côté joyeux lurons, la dégaine singulière de Rebecca, Max, Manu et Nico reflète maintenant un versant plus obscur, inspiré par l’imaginaire cyberpunk, qui fait écho à l’atmosphère suggérée par « LOVECITY ». Cette démarche vestimentaire résonne avec le discours de Siouxsie Sioux, il y a une cinquantaine d’années, qui déclarait alors que le style punk incarnait la dureté de son époque. 

Plutôt que de demeurer réfractaire aux changements, puisqu’on ne peut passer outre les mutations sociétales, les artistes devraient certainement n’avoir aucune pudeur à réinventer leurs manières de procéder pour se populariser et être capables de s’adapter aux évolutions pour en tirer profit. Il faut savoir oser car si l’on survit au plongeon, l’envolée vaut certainement la prise de risque.

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