Quinze heures, un mardi après-midi. Au milieu des néons d'une FNAC sans grand intérêt, l'ennui guette de très près. Attente de John Spencer et Matt Verta Rey depuis déjà une heure

Quinze heures, un mardi après-midi. Au milieu des néons d’une FNAC sans grand intérêt, l’ennui guette de très près. Attente de John Spencer et Matt Verta Rey depuis déjà une heure et l’envie de se défenestrer vient à l’esprit de manière toute naturelle. Aucune sorte d’excitation quant à ce show case. Le nouvel album (Midgnight Soul Serenade) n’était pas transportant à première vue. Le dernier concert parisien du groupe était, paraît-il, souffrant. Bref, la terre tourne et le rock & roll se nourrit des pitreries d’un John Spencer cabotin. Pourtant…

Pourtant, en moins de 6 heures, j’allais être persuadé que ces gars étaient les plus grands rockeurs encore en activité. Oui, des rockeurs. Ce mot désuet et plein de ridicule que plus personne n’oserait revendiquer sans se sentir rangé dans la catégorie « ringard ». Être un rockeur pourrait se résumer à porter du cuir, retrousser son jean vers l’extérieur et ne jamais porter de chaussure en dessous de la cheville. Il en existe encore, souvent des gens de plus de 40 ans, passant toutes leurs soirées seuls dans des bars où la bière possède un goût de champignon. Ils sont barmans, libraire et ont raté le coche. Ils écoutent Alan Vega en levant le coude jusqu’à épuisement. Ils offrent de la drogue à des nanas de 20 ans pour leur faire la nique dans une ruelle et retournent au comptoir exhiber leurs plus beaux tatouages. Ce sont eux les rockeurs, et leurs vies portent le dernier romantisme de notre époque. Sous tant de pathos se cache la vérité d’une vie consacrée à un sentiment : la vérité de notre liberté quand cette musique atteint nos oreilles. Le fait de se sentir immortel au simple son des guitares et des batteries. Et le costume n’est pas un apparat, il est la promesse secrète: cultiver ce sentiment jusque dans la tombe.

Speed racer

Quand Matt Verta Rey monte sur la scène de la FNAC, sa mèche sur l’œil et la Gibson L-5 en main, on se dit que le monde est tout de même mal fait. Parce que c’est ce type devrait être sur le plateau du Grand Journal ou dans votre IPod (tout Speed Ball Baby). Le rock & roll a besoin d’englober pour dévorer. Si vous faîtes le pari de vous laisser emporter par ces gars, c’est une drôle de virée que vous allez vivre. Et le chauffeur de cette voiture infernale, c’est John Spencer. Rouler en ville à 150, prendre les virages serrés, le frein à main, le tout en vous offrant une clope, changer la station sur le poste et avoir une conversation amusante sur les jupes plissées. Heavy Trash est une Jaguar. A coté, Mustang (le groupe) ressemble plutôt à un camion de pompier miniature.

Leurs chansons sont d’une profondeur d’écriture rare. Les rythmes, ambiances et couleurs changent sans jamais se chevaucher. Leur groove est contrôlé au millimètre. Rasés de près mais à grand coup de coupe choux. En une heure trente de concert le soir même, il n’y aura pas un seul accro sur leurs chemises et leurs morceaux. Tout devient d’une fluidité coulante à leur contact. Leur jeu s’annonce d’un naturel à couper le souffle, d’une simplicité déguisée car elle n’est composée que de ces petits contretemps, accords dissonants et cœur à la quinte. Oh que oui, ils connaissent leur boulot sur le bout des ongles pour notre plus grand plaisir. Aucun signe de trac sur leurs visages, que du cool. D’un bout à l’autre, ils sont cools. Ils ne soufrent pas de la chaleur, leurs doigts n’accrochent pas… Ce n’est pas un show, juste l’un des meilleurs concerts qui puisse être offert.

Paul Newman du Rock

Car chacun d’entre eux joue comme un dieu, qu’ils savent tous chanter mieux que n’importe qui et qu’un solo de Matt Verta Rey équivaut à un incendie; Heavy Trash offre un grand concert à l’américaine. Décollage immédiat et sans passeport biométrique. Quant à John Spencer, il est le seul aujourd’hui à avoir la recette de la tarte à la crème sans ne jamais mettre les pieds dedans: les filles tombent immédiatement amoureuses de lui, il fait crier qui il veut et aussi longtemps qu’il le désire, le tout en s’en amusant. C’est un cabotin, comme Paul Newman. Sa nonchalance ne cache aucune timidité mais un contrôle total de sa personne. Il sait puissamment qui il est, ce qu’il veut et atteint son but sans difficulté. Il mène la barque d’une main de maître et personne ne peut refuser de ramer pour cette galère. Pourtant, on ne peut qu’imaginer sa solitude, jeune new-yorkais, à vouloir être Screaming Jay Hawkins et Lou Reed alors que toute la ville brûle sous le punk hardcore. C’est l’histoire de ces types, ils étaient bien seuls dans leur genre. Un soir, Syd Charlus me disait : « C’est bien gentil que les types de 50 et 20 ans soient d’accord pour sacrifier toute la génération qui les sépare. Mais il faut se demander ce que c’était que d’aimer cette musique à cette époque. Quand tu disais faire du rock et que les types te disaient « ah ouais, comme Johnny » ». Et bien, je n’ai plus besoin de me poser la question, la réponse est là, dans tous ces groupes 90’s new-yorkais, dans Heavy Trash, Blues Explosion, Speed Ball Baby. La réponse est chez tous ces rockeurs des bouges les plus sordides de la ville, dans leurs histoires de cul minables et leurs Skull Rings aux phalanges. La réponse est devant nous en permanence : la solitude amoureuse esquinte. Et que John Spencer réussisse à enregistrer cet album aujourd’hui, qu’il ai écrit Talk About the Blues ou maintenant Good Man et Gentle… il est un survivant. Alors il a bien le droit de nous regarder d’un air amusé, répondant à côté à toutes nos questions. Il l’a gagné ce droit, il aurait même la possibilité d’être dédaigneux.

Car lui l’a fait. Et mieux que quiconque.

www.myspace.com/heavytrash
Illustrations: Abba Zaba


21 commentaires

  1. Papier superbe. Merci.

    Les deux premiers Heavy Trash m’avaient ravi, leur concert a la Garden Nef Party l’an passé m’a transcendé, et cette petite chronique transcrit avec justesse et classe la démarche fondamentale de ce groupe; redonner son sens véritable au Rock’n’roll, loin de l’institutionnalisation de la culture Deezer.

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