Les mauviettes n’aiment pas les films de John Carpenter, les cyniques non plus. C’est d’ailleurs à ça qu’on reconnaît les cons, leur facilité à moquer la sincérité bricolée avec trois francs six sous. Pour le groupe 69, c’est un peu pareil. Fondé par d’anciens membres de Sloy au moment même où le moustachu maitre de l’horreur entamait son déclin, le groupe français livre avec « Adulte » un deuxième album tellement flippant qu’il s’adresse en réalité aux plus courageux.

69-AdulteA l’heure où s’écrivent ces lignes, le disque de 69 n’a pas fait tremblé les plaques tectoniques ; peu sont ceux à avoir gouté au doux calice de leurs mélodies moites et mortifères, la meilleure preuve étant encore les maigres statistiques affichées par le compteur Youtube du label Low Men. Moins d’une centaines de vues pour chaque titre, c’est triste à en mourir, ou plus précisément à ne même pas en mourir tant « Adulte » colle bien à l’époque – l’angoisse post-punk, la dépression cold-wave, les boites à rythmes cyclothymiques – mais tellement peu à la saison. Sortir ce disque au printemps, ça ressemble presque à un suicide commercial. Artistiquement, c’est autre chose.

Au delà de la simple connotation sexuelle permettant de glousser avec un poil pubien sur la langue, 69 est d’abord le symbole de l’imbrication des deux personnes, Armand Gonzalez et Virginie Peitavi, que certains ont connu dans une autre vie sous le nom de Sloy, groupe de noise dit ‘mythique’ ayant maltraité les guitares dans les années 90 au point de profiter de cet appel d’air nommé ‘rock indépendant’ qui permit à certains de se faire des couilles en or tout en insultant le grand KKKapital. Suivez mon regard. « Quand j’ai annoncé à ma mère que mon nouveau groupe s’appelait 69, elle m’a demandé si je revoulais des pommes de terre… » confie en rigolant Armand dans l’hôtel où nous avons rendez-vous. Faut dire que ce qui ressemble à une deuxième vie, une seconde partie de carrière, n’est pas forcément bien perçu par l’entourage. Il y a ceux pour qui Sloy reste l’apogée des souvenirs de quand on était jeune, ces autres qui ne comprennent pas comment on peut faire sa révolution musicale à l’approche de la quarantaine, et puis encore tous ceux qu’on n’aura pas le temps de citer et qui, pour résumer, ne comprennent pas qu’on puisse préférer la pluie à la canicule et Joy Division à Zebda.
Transition toute trouvée pour parler de Béziers, élue ville la plus pauvre de France où le couple a donné naissance à « Adulte », dans une sorte de Berlin méridional où chaque chanson s’avère dure comme un coup de trique. Car il faut bien l’écrire et l’entendre pour y croire, mais « Adulte » donne souvent l’impression d’être une réincarnation du Velvet Underground première mouture produit par Brian Eno, avec sa part d’ombre, de mystères, bref un monceau de noirceur à faire passer le Rosemary’s Baby de Polanski pour une comédie française. Autant dire qu’on déconseille fermement l’écoute de ce disque aux publicitaires reniflant la tendance en open space… A l’heure où nombre de leurs confrères ont baissé la garde ou troqué le rock indépendant de leur adolescence contre quelque chose de plus confortable, qu’il s’agisse de l’intermittence ou de tubes qui pourraient enfin passer à la radio, les pas-gais-lurons de 69 prophétisent donc un nouveau présent, sombre et terriblement régressif ; une sorte de retour à l’état fœtal, quand Armand découvrait gamin les groupes qu’on entend en échos ici et là, de Devo à PiL, quand la guerre froide voulait encore dire quelque chose. On revient toujours à ses premiers (des)amours, n’est-ce pas ?

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Trêve de poésie mal branlée. Armand et Virginie n’ont plus envie, depuis qu’ils sont vieux, de rentrer dans une case. Et ça s’entend sur « Adulte », sorte de bande-son d’un hiver nucléaire composée dans une époque qui veut justement en sortir. Proche de John Carpenter, pas tant pour la musique que pour les images, le disque véhicule son lot d’atmosphères pesantes et, disons le, idéales pour les petits tracas du quotidien, du licenciement à la rupture en passant par l’enterrement d’un proche. C’est à se demander si le disque de 69 n’est pas en fait une machine à laver plus noir que noir. Armand n’a pas l’air plus perturbé que ça. Son accent du sud parle pour lui, à l’entendre on imagine difficilement comment les deux mois d’écriture du disque et l’année passée à l’enregistrer ont pu être une source de plaisir et de récréation. Calvaire de l’introspection.
69, c’est aussi un couple, une vie en commun, un terrible grand écart entre les névroses expulsées dans le studio qui jouxte l’appartement et les courses chez Auchan le samedi. Imagine-t-on Nancy Spungen demander à Sid Vicious s’il a penser à payer le tiers provisionnel ? Certes non. Comme le confie Armand, chez 69 on n’est pas au bord de la plage – Holidays in the sun ? – avec les tongues aux pieds et des morceaux comme March of the enemies ou No People donnent certes envie de boire la tasse, plutôt que de tenter le dos crawlé. « Ce disque c’est une sorte de psychothérapie, on avait envie de balancer sur ce disque ce qu’on n’a pas réussi à évacuer ailleurs ». Plutôt que d’aller raconter ses malheurs à un inconnu, le couple préfère donc les chanter et vendre le tout à des gens qui vont encore plus mal. Pas con, ça change des histoires d’amour impossibles telles qu’on les entend sur radio Monop’ aux heures de pointe. Sauf qu’au départ, 69 ne pensait pas aller aussi loin dans l’œil du cyclone. Pourtant de piste en piste, à la manière d’un Guy Georges découvrant le plaisir grandissant que lui procure chacune de ses nouvelles victimes, les novo-rockeurs donnent l’impression de s’enfoncer dans les méandres du hors-piste, de plus en plus loin dans l’abysse ; chaque titre étant une barre glacée que l’auditeur se prend sur la nuque. Coup du lapin des neiges. Impression de malaise, de voyeurisme. S’agit-il de voir Ian Curtis jouer au pendu dans sa cuisine par le trou de la serrure, ou des voisins qu’on entend se mettre sur la gueule avec des synthés cassés à la place des assiettes ? Silence. Nouvelle engueulade, nouvelle chanson. Quel talent.

« A l’époque de Sloy, j’ai senti que la mort du rock indépendant n’était pas loin » dit Armand,  « l’électro était en train d’arriver, c’était la fin. Mais même si on a pris un énorme virage depuis les années 2000, tous les instruments de 69 sont les mêmes que ceux de l’époque Sloy, des boites à rythmes aux claviers ». La suite, c’est un éternel recyclage, un futur sans début, une histoire sans fin, un couple qui avec « Adulte » retombe en enfance. Le disque de 69, c’est un vortex qui combine l’énergie primaire du rock et le gout médicamenteux des nappes synthétiques. Ce deuxième album est à l’avenant, complètement plombant, et selon qu’on préfère crever de chaud ou mourir d’hypothermie, salvateur. « La difficulté pour nous, c’était d’être capable d’aller aussi loin » conclue Armand. Et d’en revenir, aussi.

69 // Adulte // Low Men (Module Distribution)
http://www.weare69.com/

2 commentaires

  1. Quel gâchis, putain. Cet album est le plus dingue sorti jusqu’ici cet année. Le premier a eut un impact énorme sur moi. Et personne n’en a rien eut à foutre.

    Ça me vénère. Et oui, c’est de l’indignation vaine et old school. Mais faut diffuser ce disque, merde.

    Merci Bester de sauver l’indie.

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