Dans le flot des sorties standardisées, la sortie du premier album de la Française Zaho de Sagazan vient interrompre la silencieuse monotonie des disques empilés pour rien. Enfant mutante issue d’un croisement sidéral entre Koudlam, Christophe et un Jacques Brel 3.0 ayant grandi dans un Saint-Nazaire technoïde, son apparition sur la carte dessine déjà la trainée d’un astéroïde. Inarrêtable.

Zaho de Sagazan. Une identité difficilement prononçable, dure à retenir. Le tout précédé d’un buzz grandissant dans les médias dits généralistes, et des concerts remarqués dans des grands festivals subventionnés où l’on met parfois les pieds à reculons. Sur le papier, le bruit autour de cette jeune femme brute a de quoi donner envie de passer son chemin, effrayé qu’on serait, petites choses, du succès programmé d’une jeune artiste capable de faire la couverture de Télérama avant même la sortie de son premier disque, « La symphonie des éclairs ».

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Hiroshima mon armure

Françoise Sagan n’avait que 18 ans lorsqu’elle publiera finalement Bonjour tristesse, son premier roman. Zaho, elle, n’en a que 23 à la sortie de son premier album. On pense aussi, niveau consonance, à Zoé Sagan, le romancier mystérieux aux mille pseudos dont on ne sait toujours pas vraiment si c’est l’avocat Juan Branco ou une intelligence artificielle qui se planque derrière. Peu importe. Zaho, de son prénom, lit assez peu de livres. Elle cite Crime et Châtiment de Dostoïevski. Et ce sera à peu près tout. Son truc à elle, ce ne sont pas les mots en priorité, mais plutôt l’assemblage avec les notes ; ce qui lui permet de trouver son canal de communication dans un monde trop agressif pour son hyper-sensibilité, et c’est un peu l’équivalent d’une tonne de diesel enfoncée dans la fusée souhaitant s’extirper de l’attraction terrestre.

Zaho de Sagazan - La Symphonie des Éclairs - Les Oreilles Curieuses

On en vient à cette pochette, comme la musique, atypique. Et où la fille originaire de Saint-Nazaire, issue d’une famille d’artistes, semble piloter le décollage d’un vaisseau spécial grâce au réglage des émulateurs et autres arpeggiators. Version moderne d’une Suzanne Ciani qui aurait été engagée par la Nasa pour faire décoller des chansons globalement tristes qui parlent de garçons, d’amour et de sentiments enfouis. A priori, rien de révolutionnaire, donc. Oui mais sauf que. La simple introduction du titre d’ouverture, La fontaine de sang, donne la température : proche du zéro absolu, froid, cold-wave machinique et voix à mi-chemin entre Brel et Kratwerk. Comme une sonde Voyager résonnant dans le vide de l’espace, à la recherche d’une vie extraterrestre. Sauf que l’extraterrestre, ici, est un être humain.

 

Des tubes de 15 secondes

Comme tant d’autres avant elle, Zaho divise. Une ligne claire entre les pros et les antis qui, historiquement, est la marque des grands. A l’insipide, elle préfère l’anxiogène et le contraste en clair-obscur. « Je ne veux pas devenir Angèle » aurait-elle dit en interview. On veut bien la croire. Autant la Belge semblait fascinée à ses débuts par son reflet narcissique dans les images Instagram, autant la Française utilise le réseau social, dès ses premières chansons, comme une façon de trouver des hooks, des refrains : « A cette époque, sur Instagram, on ne pouvait faire que des vidéos de 15 secondes. Je devais donc faire en sorte que, en cette brève durée, il se passe un truc intéressant, notamment dans les mots. C’est comme cela que j’ai appris le principe du refrain ». Simple, basique. Il suffit d’écouter Tristesse pour se prendre un parpaing dans la tronche tant l’authenticité et la froideur de la chanson jetée en pleine tronche interpelle. Ou encore Les garçons, écho robotique lointain au Tous les garçons et les filles de Françoise Hardy.

Certains parleront sans doute d’un succès prémédité, calculé. On peut également, à l’inverse, faire un rapprochement avec le duo d’Ascendant Vierge et dont le succès immédiat, alors même que le projet navigue esthétiquement à contre-courant des standards, est fulgurant, massif et à mi-chemin entre Mylène Farmer et Prodigy. Un gage de qualité et de libération pour une nouvelle génération ayant grandi avec la fusion des genres et des étiquettes décollées de vêtements trop lourds à porter.

Christophe sans moustache

Dans le cas de Zaho de Sagazan, l’étoile dans la nuit, celle qui donnera la direction, c’est Koudlam. De quoi rassurer les mélomanes allergiques au succès, et calmer ceux qui auraient eu peur d’une Angèle bis repetita. On pense aussi très fort au Christophe de la dernière ligne droite, celle entamée avec « Les vestiges du chaos », et où le moustachu se frottait à l’autotune comme aucun chanteur français avant lui. Quelque part entre See you all et Les mots bleus, donc, il y a cette femme que personne n’attendait, sortie de nulle part (Saint-Nazaire n’est pas vraiment Brooklyn), et qui a fait ses gammes sur un vieux piano désaccordé avant de tenter l’entrée dans la vie d’adulte en bossant brièvement comme auxiliaire de vie dans un Ehpad.
Sauf que, encore, le concept d’hybridation – un terme très à la mode dans les briefs publicitaires – s’applique parfaitement à celle qui a trouvé avec la musique une manière de s’exprimer brut. Son père, Olivier de Sagazan, a sans doute montré la voie (lactée) : à la fois peintre et sculpteur, il a notamment travaillé sur des créations pour Mylène Farmer et FKA Twigs. Un grand écart artistique, déjà, qui donnera des ailes à celle qui risque inévitablement de marquer 2023 du sceau de ses chansons tristes, sincères et cosmiques, à rebours d’une époque où l’on préfère s’abreuver de mensonges distrayants plutôt que d’admettre que la vraie beauté du monde se cache parfois dans ce qu’il a de pire à offrir.

Zaho, et comme le disait cette ancienne publicité pour la Renault Clio, « a déjà tout d’une grande ». Et sait ce qu’elle veut, en témoigne la création de son propre label au nom équivoque – Disparate – pour contrôler son propre destin d’artiste commerciale malgré elle. On aurait donc tort de se gaufrer une fois encore dans le cynisme, puis de disséquer en rigolant ses chansons face à un écran. Ce genre d’étoile ne passe qu’une fois tous les dix ans. Reste désormais à savoir si l’apprivoisement du bonheur lui permettra de reproduire l’immédiateté de ce premier album aux allures d’exoplanète.

Zaho de Sagazan // La symphonie des éclairs // Disparate / Virgin

11 commentaires

  1. qu’est ce qu’ils ont tous, tous ces nouveaux, avec leurs airs concernés, plombants, cette pseudo-gravité à déblatérer leurs textes de 1ère littéraire et boutonneuse. ils ont emmerdants. ils font la musique de leurs grands-parents ! c’est grandiloquent cul-cul.

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