« Ecartant ses jambes, elle me montra sa fente, qui était aussi profonde et humide que tout Paris par une nuit pluvieuse. »
« Ecartant ses jambes, elle me montra sa fente, qui était aussi profonde et humide que tout Paris par une nuit pluvieuse. »
Une fois n’est pas coutume, la France jouit en exclusivité mondiale de la sortie d’Etoile de Paris, dernier texte publié du grandissime écrivain américain William T. Vollmann.
Entamé en 2004 à l’occasion de son passage parisien pour la promotion de La Famille Royale et terminé deux années plus tard sur un coin de table à San Francisco, Etoile de Paris projette le lecteur dans poème lubrique et suintant comme un con. Illustré par des photos et des dessins de Vollmann lui-même, inutile d’espérer en sortir sans avoir la tronche barbouillée de cyprine.
C’est toujours avec un petit sentiment de recul qu’on se prépare à lire le récit d’un Américain qui prend la plume pour déclamer son amour de Paris. Romantisme exacerbé, terrasses de Saint-Germain agrémentés de branlette littéraire dans les jardins du Luxembourg, les rejetons de l’Oncle Sam ont souvent sombré dans la tentation de traiter Paris comme une petite pucelle vêtue d’un soutif en dentelles, de celles qu’on a peur de salir, peur de souiller, à qui l’on fait une cour pathétique avec l’envie d’y tremper mollement sa queue et l’espoir secret de rentrer au berrcail en murmurant « moi je l’ai fait », embellissant ensuite la réalité à qui voudra bien l’entendre. Ou la lire. Dieu merci, aucun risque de se noyer dans cette insipide mélasse chez Vollmann.
« Je quittais B4 pour me réfugier en F19 »
Paris est une femme qui en impose, une femme qui fait peur chez Vollmann. Complètement dématérialisée au profit de la froide exactitude des lettres et des chiffres, la ville n’est ramenée qu’à son état de figure quadrillée et géométrique. D’abord habité par la retenue de clamer son émerveillement pour la cité, tétanisé par la peur initiale de s’y avancer, le Vollmann fantasmé prend soudainement conscience qu’il est en vie et que toute cette ville n’est qu’envie. Paris se dévoile alors à lui jusqu’à devenir ce qu’elle est réellement « une trainée qui lui ouvre les jambes », une salope qui écarte ses cuisses tant qu’il lui reste, à lui l’écrivain, du « sperme à donner ».
« Etoile de Paris, est-ce que tu me comprends dans ton con ou est-ce que tu me comprends seulement dans tes doigts? »
Au delà du voyage physique en terre inconnue, Etoile de Paris, l’objet, raconte avant tout un mythe dualiste et interne entre l’Etoile de Paris, figure féminine qui lui échappe, et l’Amour Mort, seconde figure féminine centrale du poème, paradoxalement vivante mais qui ne l’aime plus. En se fiant aux obsessions littéraires récurrentes d’un Vollmann, la tentation de penser qu’Etoile de Paris n’est qu’une de ces putes, de celles qu’on retrouverait aisément dans les Tropiques d’un Miller, est grande. Etoile de Paris, est une nouvelle fois la matérialisation de la pute ultime chez Vollmann, celle qu’on retrouve déjà dans ses précédents romans comme Des putes pour Gloria, La famille Royale ou même Les nuits du Papillon. Encore et encore, Etoile de Paris n’est que l’incarnation de la pute qui refuse de l’aimer – alors que lui en crève d’envie – ne lui laissant d’autres choix que se rabattre sur la suivante.
« Puis je revins à moi et, en proie au désir, retournai marcher dans Paris, dans l’espoir de me retrouver dans l’arrondissement que tu survolais. Et Paris m’accueillit, saupoudrée de sucre comme une tarte et recouverte de fruits et de baies. »
Au delà de l’obsession pathologique pour la question féminine, Vollmann, du sang de ses intestins et de la sueur de ses doigts, trace au crayon une esquisse admirablement lyrique de Paris. Le métro prend vie, la ville devient un terrain sexualisé à l’extrême, Notre-Dame une chatte béante et précieuse. L’absence de temporalité fige l’œil du lecteur dans celui de l’écrivain. Pâtisseries, beurre, framboises et marronniers inondent le fond de l’air, le fond de son air. Vollmann – le poète – contemple « les couchers de soleil de la couleur d’une crème caramel sur le champs Elysées », là où le parisien insensible n’y verra jamais qu’un temple capitaliste, rêve fané de banlieusards désoeuvrés, émirs et autres touristes occidentaux. A l’heure de classer Etoile de Paris dans la monumentale et binaire œuvre de Vollmann – oscillant en permanence entre regard sur le monde et introspection obsessionnelle – ce poème trouvera assurément plus d’écho au sein de la frange de ses lecteurs amateurs de sa puissante capacité d’introspection. Encore une fois, les thèmes de l’amour, du rejet et de la tromperie sont omniprésents. Vollmann balaie les spectres qui hantent sa conscience d’homme, poursuit sa quête de la pute en chef, celle qui la laissera boire son sang menstruel, deviendra son Etoile de Paris. Et l’aimera.
William T. Volmann // Etoile de Paris // Actes Sud