Jeudi 5 Février - 7h59. La bavure policière était pour moi, un mythe. Les yeux trop secs, bouche pâteuse, tous les attributs de l'adolescent qui a encore sommeil. Je marche.

Jeudi 5 Février – 7h59. La bavure policière était pour moi, un mythe. Les yeux trop secs, bouche pâteuse, tous les attributs de l’adolescent qui a encore sommeil. Je marche. Vite. Pas envie d’être ENCORE en retard.

Presque arrivé, pile à l’heure, enfin, pile à mon heure, je vois des élèves déboucher en masse de la petite rue où se trouve le lycée. Non, non, je n’ose pas y croire… et pourtant, je n’irai pas en cours aujourd’hui. La chienlit est revenue. Etudiants de la fac et redoublants acharnés occupent les entrées, campés sur des barricades de poubelle. Blousons Harrington, badges militants, écharpes recouvrant le visage, haut-parleur, tout y est. Jusque là, vous me direz, scène habituelle pour un kid qui a fait sa scolarité dans l’enseignement public, MAIS…  les cops sont là !

Ca crie, ca se bouscule, je m’avance. La TV est là, les journaux aussi. Gonzai, aussi.
Le lycée a fait appel à la police pour être débloqué: erreur.

Le même jour – disons 8h10.
Les flics, avec la finesse qu’on leur connaît bien, incitent des élèves qui veulent aller en cours à forcer le passage, dans l’unique but de pouvoir intervenir radicalement.  mot pour mot: « Allez-y, parce que nous, tant qu’il n’y a pas d’émeute, on peut pas sauter », avec un parfait accent du sud, s’il-vous-plaît.
Ainsi fut-il. Voilà que les élèves se bousculent entre eux. Alors, chose promise, chose due: les cops sautent. Clés de bras, humiliations, intimidation : les bloqueurs sont malmenés, ce qui ne permet en aucun cas aux élèves désireux d’aller en cours (ça aussi, faudra m’expliquer) de pénétrer dans le lycée.

Toujours ce matin enchanté – Quelque chose comme 8h15
Clou du spectacle. Apogée. Bien sûr, le cameraman paumé de France 3 rate (ou feint de rater) ce qui va se dérouler devant des centaines d’yeux ébahis : un grand brun coiffé d’un bonnet péruvien, qu’il m’est arrivé d’apercevoir le mercredi après-midi en heure de colle, crache sur un flic.
Un bon glaviot s’étale sur son coupe-vent bleu, et paf. C’est la République qui se prend un jet de glaire révoltée dans la gueule. Il aura à peine le temps de hurler « Police nationale, milice du capital » qu’il sera à terre. Il aura mis une fraction de seconde pour se retrouver sur le ventre, et chaque flic n’aura pas mis moins de temps pour dégainer sa matraque. Tous s’en donnent à coeur joie.
Le grand brun au bonnet péruvien est actuellement hospitalisé : il lui manque deux dents, deux de ses côtes sont cassées et sa hanche est démise. Il s’est fait essuyer son crachat sur la gueule. Aucun journal, aucune émission locale n’en parle, bien sûr.

A en croire un militant libertaire au crâne rasé, « ces choses-là arrivent tous les jours dans toutes les villes de France, seulement, c’est la loi du silence », avant d’ajouter « la démocratie nous tyrannise. »  Mouais… Mais la tyrannie nous démocratise, que je sache ? Ni une ni deux, les lycéens réagissent. Bon ok, il faut que je participe, moi aussi, je vengerai le grand brun qui n’a plus ni bonnet ni côtes.
Tous les projectiles que l’on peut trouver sont une arme potentielle contre les flics. Sacs poubelles, rétroviseurs de voitures, cailloux… Tous les perchoirs sont bons à prendre, la rue étant petite, mieux vaut éviter le piétinement. Finalement, la police est « contrainte » à partir.

Aux environs de 9h00
Le lycée est bloqué pour le reste de la journée. Ca crie victoire. Une AG est prévue à l’université. Choisissant de ne pas pousser le délire jusqu’au bout quand même, déjà qu’une conscience politique a failli me pousser j’sais pas où, je m’en vais m’adonner à des activités tout aussi exaltantes pour l’esprit et le corps, mais autrement moins dangereuses.

Le lendemain – 7h50
Je suis un peu plus en avance ! Un pion m’a fait remarqué en début de semaine que si je n’avais plus de billet de retard disponible dans mon carnet, je devrais en racheter un. J’ai donc sagement décidé de me lever un peu plus tôt. M’étant clairement mis en tête que de tels événements ne pouvaient arriver qu’une fois et que l’ampleur des dégâts du Jeudi n’encouragerait personne à remettre ça le Vendredi, je suis dans l’optique d’aller en cours.
Puis, comme un semblant de déjà vu: élèves excités débouchant de la rue, attroupement, barricades…

Dans mon ipod: Search and Destroy envoie ses coups de sabres directement dans mon cerveau, comme un signe avant-coureur.

Et croyez-le ou non, les choses se déroulent encore plus mal que la veille : une association de parents d’élèves s’est ajoutée à la party dans la ferme intention de « casser du gauchiste ». Vous savez, ceux dont les enfants fréquentent assidûment l’aumônerie de la ville et vendent des calendriers étranglés par des foulards ridicules depuis leur plus tendre enfance ; ces enfants auxquels les curées ont dû tellement répéter « tu tiens le bon bout mon fils » qu’ils sont aujourd’hui empreints d’un ignoble sentiment de supériorité. Bref, revenons-en à leurs pères, principaux acteurs du mouvement de violence de ce vendredi 6 Février.

Ces pères de famille, chez qui « on ne pense pas monsieur, on prie », sont guidés depuis leur jeunesse par la phobie des immigrés et gauchistes qui pourraient venir semer le désordre dans leur vie bien rangée. Alors, vous comprenez que quand une occasion se présente, ils sont prêts à venir faire le coup de poing pour remettre de l’ordre, se souvenant des histoires que leurs racontaient leurs ancêtres sur comment ils avaient participé à faire chuter la Commune ; alors qu’ils n’étaient que des petits garçons se rendant pour la troisième fois à Saint-Jacques de Compostel.

Ils profitent de la panique et du ras-le-bol de certains professeurs pour s’introduire dans le lycée et commencer à faire la loi : ils commencent par tabasser tous les nuisibles en les entraînant derrière un buisson. Un jeune homme s’accroche aux grilles en criant, tenant prise pour ne pas être entraîner par ces adultes déchaînés ; jusqu’à ce qu’un professeur de physique-chimie lui tape violemment sur les mains: alors, il cède et va subir le même sort que ses camarades derrière le buisson. Même le proviseur adjoint s’y est mis.
Voilà ces représentants de l’éducation nationale, qui, sous l’effet de la peur et d’un embrigadement primaire de la part de quelques pro-cléricaux-anti-chienlit dont les femmes doivent déjà en être à stocker l’essence dans la baignoire, cèdent à la violence et nous offrent une plaisante preuve que tout ce qu’ils nous inculquent et tout ce qu’ils sont censés représenter n’est que vanité républicaine. Bullshit caché derrière du savoir. « Professeurs, vous nous faites vieillir ».

Le même jour – Vers Midi
Après quelques heures d’une bataille sans merci, après que chacun ait épuisé ses réserves d’immoralité, les élèves baissent les poings. Le lycée est débloqué. On peut retourner en cours de philosophie, là où l’on nous explique que la violence est un fléau pour la pensée, ou en cours de français, ou on lit Rousseau… Mais, désormais, y’a-t-il un sens à tout cela ?

Promis, demain, j’arrête. Je redeviens le teenager warholien que je me suis promis d’être.  Il est temps que je m’attache de nouveau à mon détachement et que je recommence à penser en onomatopées.  DA DOO RON RON, et on repart. Rien ne s’est passé. Ceci ne fut qu’un bref plongeon dans la réalité.

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