Pendant que le monde entier pleure la disparition de la « Queen of Rock & Roll », Tina Torner, la reine du bal dégénéré, signe « Secteur Ternaire » chez La Souterraine.

Pour chaque artiste amateur extirpé de l’underground sur un hasardeux coup de poker, combien de ses homologues restent anonymes, se démultipliant dans l’inconnu comme une hydre en manque de reconnaissance ? Depuis 2014, La Souterraine s’intéresse pour le meilleur et pour le pire à cette face cachée de l’iceberg francophone, plus underground que l’underground, comme les indispensables témoins de l’histoire (la petite, évidemment) que les diggers de demain finiront par acclamer (ou pas). « Unearthing the Future of French Pop », titrait Pitchfork en 2015, conférant aux Souterrains le rang d’authentiques bâtisseurs de cathédrales et archéologues de l’avenir. Avec « Secteur Ternaire », Tina Thorner (pas la pilote automobile suédoise, l’autre) vient enrichir de quelques pistes cet ambitieux catalogue.

Il est courant que les associations et expérimentations les plus douteuses tendent à polariser le public en deux camps inconciliables. Pensez à l’hyperpop, à Jean-Luc le Ténia ou à la morue aux fraises de Gaston Lagaffe : les uns crieront au génie incompris, les autres à l’escroquerie la plus décomplexée. Ici, Tina Thorner tisse la trame d’un gabber-musette-EDM dans une grotesque pantomime de fête foraine, comme un téléfilm médiocre coréalisé par Stephen King et Strip Tease. Épidermiquement kitsch et mélancolique, « Secteur Ternaire » est un de ces ovnis qui peuplent le tissu culturel français dès lors que l’on s’intéresse un tant soit peu à celles et ceux qui essaient de nouvelles choses. Oui, il existe une France en dehors du dernier album d’Étienne Daho.

Alors, génie ou escroc ? On penchera ici plutôt pour la première option, rien que pour la plume de Tina Thorner (AKA Fanny Alizon). Sur fond d’accordéon hardcore, entre comptine et complainte, celle-ci chante l’odyssée d’une Twingo (« Une toute petite voiture, pour de grandes aventures »), les joies du déménagement, la croisade des chevaliers de l’emploi et pleure les maux d’une époque (« Avoir 20 ans en 2020 / C’est chaud, c’est chaud / Combien de belles années auront le gout fané / De tous ces masques jetables en papier »). Dans une naïveté feinte et teintée d’ironie, Tina livre ici ce qui a tout l’air d’une authentique fresque sociale et naturaliste, un « Germinal au teknival » de réalité parallèle qui donnera sans doute du grain à moudre aux journalistes musicaux du siècle prochain (du moins, à celles et ceux qui survivront à ChatGPT).

Tina Thorner // Secteur Ternaire // La Souterraine, paru le 3 mars 2023
https://tinathorner.bandcamp.com/album/secteur-ternaire

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