Pour sûr, je n’étais pas un saint et cela faisait un bon moment – vingt-trois prostituées plus tard, sans pouvoir envisager de me résoudre au même destin – que l’idée de me passer d’une compagne pour me combler me trottait dans la tête. Pensez donc, se libérer de la contrainte du sexe sans perdre plus de temps que nécessaire ! Mais bordel, je n’allais quand même pas débourser soixante-dix euros sans compter les frais de ports pour me faire envoyer anonymement de quoi remplacer ma main ! Les femmes étaient bien plus vernies, pour toutes les tailles, de toutes les formes, du plus vibrant au plus doré, au point que l’on essayait de le faire passer pour un objet décoratif. Les hommes, eux, à moins d’avoir envie de se l’enfourner par derrière, voyaient les prix exploser. Et je n’avais pas envie de me choper des résidus cancérigènes dans le rectum – si ça peut arriver pour les boites de céréales, gageons que les moulages de bite n’ont rien à envier à leurs homologues faits de chair. Pour le reste, les gripsous peuvent être sûrs qu’ils choperont des boutons ou que l’outil les lâchera.
Mais si j’en décidais autrement, je pouvais aussi conserver la joie d’une partenaire avec abus d’outils. Réalisez qu’aujourd’hui, par wifi et par téléphone, vous pouvez déclencher à distance le vibromasseur englouti dans l’orifice de votre moitié. Qui aurait pensé un jour pouvoir aussi facilement s’offrir un esclave sexuel ? Mais à quoi bon jouer au macro-numérique… Quand j’avais voulu parler de tout ça à celle qui partageait souvent mes nuits, j’avais mal choisi mon moment. Elle commençait déjà à sombrer dans ses cauchemars d’adultère et c’était d’une voix endormie qu’elle m’avait répondu « moi je voudrais bien un gode, un truc qui vibre et tout, et puis une plante carnivore » avant de s’affaler de nouveau. Je n’avais pas osé la réveiller de nouveau mais la plante carnivore m’avait effrayée un peu. Etait-ce l’un de ces gadgets dont je n’avais pas encore entendu parler ? Les gouts de ma compagne en matière de décoration intérieure n’ayant pas voix au chapitre, rien de tout ça dans l’univers intriguant des objets sexuels.
Je n’étais pas à proprement parler vierge d’expériences sexuelles sous gadgets. Les anneaux vibrants m’avaient déçu – et elle aussi – et les préservatifs chauffants étaient bien plus inconfortables qu’autre chose. Si c’était pour avoir l’impression de courir avec la chaude pisse, quel était l’intérêt ? Après quelques investigations, j’avais enfin trouvé le Graal et il apparaissait que tout ceci était bel et bien représentatif de l’évolution de nos sociétés. Pensez donc que sous l’apparence d’une lampe de poche – car oui, les utilisateurs sont forcément honteux – vous pouvez aujourd’hui imaginer enfourner une vraie femme ! Bien sûr, puisque c’est la publicité vous le dit. Pensez quand même au lubrifiant mais avec ces nouveaux masturbateurs, la sensation est bluffante ! Et que la lumière soit ! Objets tellement criants de vérité que des modèles ont même prêté les traits de leur vagins, de leur anus ou de leur bouches pour vous faire croire, un instant, que vous aussi vous pouvez baiser une actrice porno. Le plus beau là-dedans, c’est que même chez certaines qui ne pratiquent pas l’anal dans leur films, vous pouvez vous y introduire ! (Ne me demandez pas comment, je le sais, c’est tout. Le journalisme d’investigation est parfois un trou sans fond). C’est tout ce qu’un homme moderne, seul et esseulé peut espérer, du moins je crois.
Quand le colis est arrivé dans ma boite aux lettres, j’étais excité comme pour ma première fois. Mais oubliez ces envois anonymes que les journalistes se rêvant en succube de Gorge Profonde imaginent, le mien comportait une étiquette en gros issue de la compagnie, la discrétion pouvait repasser. Dans le fond, tout ça était très drôle, je flairais la pantalonnade, la bonne blague qui ferait un bon papier. Et puis d’un coup, je n’ai plus eu envie de l’ouvrir. J’avais eu tout faux, en fait ce n’était pas drôle du tout. L’envers du décor pouvait être nettement moins réjouissant. J’ai subitement pensé à tous ceux drogués par les pulsions, piqués par leur propre désir, aux parasités du cerveau dans la spirale de l’onanisme. Il existe tout un tas d’addictions bien sûr, mais si certains sont plus habiles avec un stylo, d’autres le sont avec leur bite, mais leur débit reste identique, presque ininterrompu. Et ça, c’était eux, sex-addicts de la branlette pour qui se triturer le bout confine au soin palliatif honteusement auto-procuré.
Non, toutes les drogues ne sont pas difficiles à se procurer, certaines sont même gratuites. Tellement honteuses qu’elles sont silencieuses. L’endorphine, cette souffrance innée. A même le corps, à bout portant, elle gâche l’existence, consume, cloisonne, emprisonne. S’il faut mettre un nom sur la condition, ne parlons surtout pas de nymphomanie mais bien d’accros d’un genre bien particulier qui n’ont pas besoin de seringue et ont déjà tout sur eux – à condition d’avoir un poignet encore en état de fonctionner. L’accro ne croit pas y penser en permanence, ça lui tombe dessus, comme ça et ça devient une obsession. En un état d’instantané permanent, un regard sur une paire de fesses, un visage jouissif, un morceau de peau dépassant ou bien un dessin vaguement représentatif sur un mur de WC peut suffire à provoquer le « besoin ». Ou pire encore, l’imagination seule peut suffire à exciter. N’ayant plus que ça à l’esprit, comment envisager autrement le quotidien si ce n’est dans le chaos ?
Et comment ne serait-ce qu’envisager d’arriver à l’heure à un rendez-vous quand dès le réveil, l’arme du crime est prête à l’emploi ? Il pensera avoir le temps de s’astiquer, c’est certain. Et puis rate son train et recommencera, pour se calmer. Se masturber apaise – essayez, vous verrez ! La solution aux suicidaires unis du monde entier, c’est la branlette. Et pourtant, ceux qui ne peuvent s’en empêcher sont malheureux. Incapables de faire quelque chose sans avoir leur dose et bien incapable de faire autre chose ensuite. Bien caché dans les rayons de leur bibliothèque au boulot ou enfermés dans les chiottes, ils ne peuvent résister à l’appel du stupre. Ils ne sont pas dangereux dans la plupart des cas, ils ne sont pas des violeurs ou des agresseurs. Le stimulus qui les excite en plein jour ne leur donne pas foncièrement d’autre envie que de glisser la main dans leur caleçon, plus rapide, plus facile que de séduire ou même de forcer. Inoffensifs, sauf pour eux-mêmes…
La bite, leur bang. Leur souffrance, l’inhérence de leur came. Leur corps est une prison. Leur vie est monochromatique, triste comme une scénette de trente minutes jouées en boucle, triste comme celle du fou qui reprendrait conscience entre deux crises de démence. Silencieusement, entendez-les. Qui a parlé un jour de jouir de l’existence ?
Et nous, où en étions-nous ? Où allions-nous tous comme ça, marchant main dans le pantalon ? La baise pour croire que l’on maîtrise son destin. La perversion pour croire encore être humain. Machines à l’intelligence artificielle développé, sous-fifres à foutre. Rien à branler. Parasites, virus aux conversations devenues spam de la rentabilité. Bordel, la maladie moderne est-elle incurable ? Après l’opium du peuple, le cancer de l’existence ? Des vies rongées par les compromis, la frustration et l’oppression. Des soins palliatifs de pseudo subversion aussitôt ravalés. Le Moloch, toujours là, se gavant et nous, esprit « libres », se gaussant dans ses déjections…
Après toutes ces réflexions, je me suis finalement branlé. Puis stupréfaction, j’ai pleuré.
Crédit illustration : Johana Beaussart
1 commentaire
Bordel, j’ai commencé par lire cet article en me disant « chouette un truc sur le cul », parce-que, ne nous le cachons pas, c’est toujours ces genres d’intitulés qui accrochent l’œil au départ (y’a qu’à voir le top des articles sur les sites d’informations). Pourtant, chemin faisant, l’excitation post-« lire un truc sur le cul » a laissé place à un malaise habilement orchestré.
Super article, super débuts Ghk.