Perdu quelque part entre Marc Bolan et le « Plantasia » de Mort Garson, entre ode à la nature et manifeste néo-hippie, le dernier album de King Tuff marque un virage radical et déroutant dans la carrière d’un artiste dont les envies de mainstream risquent de l’égarer sur le mauvais chemin.

« So lost in nothing but noise for many years, I forgot to love » : tel est le manifeste New Age de King Tuff sur How I Love, le deuxième morceau de son nouvel album « Smalltown Stardust ». Et effectivement, après les cinq ans de silence médiatique qui ont suivi le précédent « The Other » (enregistré après une longue tournée avec Ty Segall et inspirant de fait une certaine forme de fatigue), King Tuff semble retourner sa chemise avec un plaisir non dissimulé. Ou plutôt, la troquer pour un costume de tweed, une barbe grisonnante de (presque) vieux sage et un triple mantra : « la nature, l’amour, la jeunesse ».

C’est effectivement ce autour de quoi tourne ce nouvel album. King Tuff en fait son « Plantasia », multipliant les hommages à la nature dès l’ouverture de Love Letters to Plants. Pebbles In A Stream est une authentique et très réussie balade acid-folk, rappelant plus que jamais Marc Bolan (auquel King Tuff est souvent comparé) et sa période acoustique de Tyrannosaurus Rex. Portrait Of God est une autre ode à la nature, moteur créatif « divin » de King Tuff, qui apparaît dans le clip comme un élégant croisement entre un dandy hobbit et le chapelier fou du Pays des Merveilles.

« Smalltown Stardust » est aussi un album de souvenirs, invoquant notamment un vieil enregistrement cassette du jeune King Tuff, alors âgé de huit ans, sur l’interlude A Meditation. Et sur le morceau éponyme, King Tuff se remémore ses jeunes années avec tendresse pour chanter son village natal du Vermont, dans les campagnes boisées du Nord-Est américain, auquel il reste profondément attaché malgré son départ (à contre-coeur) à Los Angeles pour suivre ses rêves de rockstar. « Quelque part dans une autre dimension, il y a une version de moi qui vit toujours là-bas, à traîner sous le porche, à gribouiller dans les cafés et à marcher le long du chemin de fer qui serpente le long de la rivière… hélas, dans notre dimension, je ne suis qu’un pauvre local déraciné ».

Mou du genou

Toutefois, malgré ses très lumineuses intentions et sa vibrante profession de foi, l’ensemble tend parfois à la monotonie. Si la fuzz et la crasse des premiers jours sont bel et bien reléguées au garage, au profit de violons, violoncelles et autres guitares acoustiques, la folie qui bâtit la carrière de King Tuff semble par moments s’éclipser. Et comme pour le précédent « The Other », ce nouvel album ne montre ce qu’il a dans le ventre à la fin : Bandits of Blue Sky et son fantôme Redtooth et les deux morceaux de clôture Always Find Me et The Wheel. Plus poétiques, plus riches, plus nébuleux que la plupart des autres titres très (trop ?) pop de cet album (à l’exception, encore une fois, de Pebbles In A Stream), ceux-ci valent vraiment le détour.

Et le détour de King Tuff, cependant, est honorable tant il est assumé, malgré ce petit côté « album de la maturité » (et tout ce qu’il peut sous-entendre d’épiphanies individuelles magistrales mais parfois malheureusement très ennuyeuses pour le public). Bien qu’il ait gagné ses lettres de noblesse avec quelques premiers albums garage très réussis, sa démarche est honnête : l’artiste quitte la fête alors qu’elle bat son plein, décide d’explorer de nouveaux horizons (pas si nouveaux que ça en soi, mais soit, la démarche est honnête) et tant pis pour le revival neo-garage-psych où il devient de plus en plus difficile de se démarquer.

C’est peut-être parce qu’il est signé King Tuff que cet album peut parfois paraître lisse. Dans le registre psyché californien, le même phénomène s’était déjà produit avec les Growlers, qui ont fini par saborder leur groupe en le noyant dans la pop stérile et ses contours beaucoup trop léchés. Bien sûr, impossible de demander à un artiste de garder la même ligne et produire la même musique, au risque de devenir profondément pénible. Mais s’écarter de la trajectoire initiale revient forcément à perdre une partie de son public. King Tuff a déjà pris le risque sur son précédent album, il persiste et signe avec celui-ci (dont la bio avertit d’ailleurs d’emblée les fans de la première heure) : le King Tuff de Sun Medaillon est mort et enterré, au milieu des racines et des paysages boisés de « Smalltown Stardust ».

King Tuff // Smalltown Stardust // Sub Pop, sortie le 27 janvier
https://kingtuff.bandcamp.com/album/smalltown-stardust

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