Raisins
On s’était donc fait une joie d’aller apprécier du bon vin au son de diverses écoles de musique électronique, posés relax sur des plaids dans l’herbe grasse. Mais on ne va pas y aller par trente-six chemins : le festival a dû voir une trentaine de spectateurs fouler son sol argilo-calcaire, dont peut-être une vingtaine d’entrées payantes maximum. Coup dur pour l’organisateur, qui a sans doute bien trinqué, comme on dit dans le business de la bouteille.
Ambiance de lose intégrale ? Pas tant que ça, en vérité. L’ambiance était à la gentillesse et on avait en quelque sorte l’impression de faire partie d’une élite privilégiée. Premier coup de chapeau au cadre, exceptionnel. Un parc arboré et de la bonne grosse pierre élevée par un compagnon d’armes de Jeanne d’Arc. Le Château Carignan est un vrai château, pas juste un nom de grosse bicoque bon à imprimer sur une étiquette.
Deuxième coup de chapeau à la production locale. Car on a quand même goûté du bon vin, mine de rien. Le Château Carignan a réussi un beau coup marketing il y a quelques années en commercialisant L’Orangerie, un Premières Côtes de Bordeaux que l’on retrouve au buffet de tous les vernissages dans le coin. Ça change de la bière merdique des festivals.
Orange
Du côté du verre vide et sans avoir l’esprit chagrin, on peut regretter une promo beaucoup trop légère, dans une aire géographique où le public est hyper sollicité et plutôt difficile. La veille, le Late Summer Festival de l’asso Bordeaux Rock enregistrait un des plus beaux fiascos de l’histoire du rock local en réunissant péniblement 600 spectateurs autour des Buzzcocks, Frustration, Arnaud Rebotini et Kid Bombardos.
Quand au ticket d’entrée à 20 €, pas évident de faire cracher le bifton sans tête d’affiche radicale. Certes, Silver Apples a le statut de groupe « culte » chez plus d’un connaisseur, mais l’I.Boat l’avait déjà programmé six mois auparavant, dans le quartier portuaire de Bordeaux, pour une fréquentation d’environ soixante spectateurs.
Pour parfaire le contexte défavorable, Météo France balançait le jour même une « alerte orange », avec prévision de pluie battante et rafales de plus de 100 km/h, de quoi faire s’envoler loin dans les vignes la plume rouge du chapeau tyrolien de Simeon Coxe III.
Tout ça sur un site privé d’accès en transports en commun.
Nous étions donc dimanche, et l’ambiance était plus proche de la garden party d’un mariage intimiste que d’un véritable festival. Il s’est donc agi d’une expérience dont il faudra avant tout retenir le potentiel.
Pommes
À l’heure des live, vous avez compris que nous étions donc très peu à avoir les lettres « KLUSTER » tamponnées sur le poignet (yep, un tampon vintage qui servait à marquer les courriers et les pochettes de disques du groupe allemand). Dans ces conditions, on imagine sans peine les moments de solitude qu’ont du traverser les artistes invités en première partie. On a déjà vu des balances qui avaient largement plus de spectateurs.
Quand vint enfin l’heure de Silver Apples, c’est un Simeon détendu qui prit possession de son empilage d’instruments électroniques aux câblages cauchemardesques. Qu’on le considère comme un pionnier génial ou qu’on le prenne juste pour un mec un peu azimuté qui aimait faire danser les filles à la fin des années soixante, le monsieur impose le respect. Car il s’agit bien évidemment d’un vénérable monsieur à présent, à cet âge où on ne sait plus si l’appareillage qui occupe le pavillon de son oreille est un ear monitor ou un sonotone.
Silver Apples, désormais l’aventure d’un homme seul qui hier préfigura la musique de demain, fait tourner telles ses boucles rythmiques oscillantes l’éternel retour de sa jeunesse psychédélique. C’est sur cette incarnation de la modernité en tweed que l’été s’acheva pour nous, sur la note rassurante que 30 personnes suffisent à reproduire avec exactitude le microcosme de tout festival, avec le mec déchiré qui branche ta femme, la fille qui essaie de voir les SMS reçus sur son écran malgré les lunettes de soleil qu’elle porte à 23 h passées et l’étudiant Erasmus en perdition que tu reconduis au centre-ville et qui vomit dans ta voiture. Le dur apprentissage de la vie de château.
http://silvergrapes.net/
Texte et photos Guillaume Gwardeath