Il manquait un ingrédient, vendredi soir, au concert des Rolling Stones, mais difficile de déterminer lequel. Lorsque j’aperçois leurs frêles silhouettes au fond de la scène, quelques secondes avant leur entrée, je n’éprouve curieusement aucun frisson. L’impression de regarder quatre gars qui s’apprêtent à faire leur boulot, et non accomplir une tâche héroïque, du genre : sauver le rock’n’roll. Le rockänroll (comme l’orthographiait Daniel Darc) est mort et enterré et ne ressuscitera pas ce soir.

Déjà, il faut faire avec ce son épouvantable. Auraient-ils installé un stagiaire derrière la console ? Les intermittents en grève auraient-ils saboté leur sono ? Et puis, il y a l’état physique de cette bande de survivants… Sur les premiers titres, la voix de Jagger est méconnaissable – ensuite, ça ira en s’améliorant, reconnaissons-le. La frappe de Charlie reste la dernière bouée à laquelle s’accrocher, au milieu d’une bouillie de riffs et de fausses notes qui dégouline des doigts gourds de Keith et Ronnie.

Pour le décorum, la tournée 14 On Fire est en mode « low key ».

La scène est moins spectaculaire que d’habitude et les Stones en ont fini des effectifs pléthoriques. En guise de section cuivres, seuls Bobby Keys et Tim Ries ont été retenus, les chœurs étant assurés par les fidèles Lisa Fischer et Bernard Fowler, exit le vaillant Blondie Chaplin. Au clavier, on retrouve le barbu Chuck Leavell qui, heureusement, s’est débarrassé de son perpétuel – et agaçant – sourire, qui essayait de nous persuader qu’il prenait un sacré bon temps à jouer les utilités. Curieusement, Matt Clifford, présent sur deux titres (au clavier et au cor) ne sera pas cité lors de la traditionnelle présentation des musiciens – sans doute parce qu’en tant que complice des escapades solos de Mick, il n’est pas en odeur de sainteté auprès de Richards.

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Après quelques morceaux, il se confirme que quelque chose cloche.

Je n’irais pas jusqu’à exiger un choc esthétique qui m’inspirerait une phrase du genre, « j’ai vu le futur du rock’n’roll », mais simplement un peu de plaisir. Reconnaître les morceaux interprétés aurait suffi à mon bonheur. Hélas, bien malgré eux, les Stones sont touchés par le syndrome Dylan : il faut plusieurs minutes avant de discerner ce qu’ils sont en train de jouer.

Au cours de la première partie du concert, ce sont deux titres récents qui s’en tirent le mieux : Doom and Gloom et Out of Control. Sûrement parce qu’on n’en attendait pas grand-chose. Plus que jamais, Watts et Jagger portent le show sur leurs épaules, ce dernier nous régalant d’un longs solo d’harmonica bluesy sur Out of Control.

mick-taylor-ieuvQuand Mick Taylor rejoint ses ex-collègues, sur Midnight Rambler, le niveau monte provisoirement de deux ou trois crans. Ce qui frappe, c’est qu’en comparaison des seventies, où Wyman et Taylor étaient deux statues de sel posées aux deux coins de la scène, l’ex-nouveau guitariste frétille comme un cabri. Il semble foutrement content d’être là, Mick, et désireux de prouver aux autres (à Jagger, surtout, dont il cherche sans cesse le regard) qu’ils ont fait le bon choix en le réintégrant. À quoi songe-t-il, durant ces dix minutes où il redevient un Rolling Stone ? À ces années perdues ? À sa carrière tombée dans l’anonymat un soir de 1974 ? En tout cas, cette vie brisée lui confère un beau regard triste, humain, réel. Qualités qu’on chercherait en vain chez ses acolytes.

La parenthèse est de courte durée, car déjà Wood et Richards reviennent aux affaires. J’aurais dû acheter les protège-tympans que ce revendeur me proposait, finalement…

Autre sujet d’agacement : ces forêts de smartphones qui masquent régulièrement la scène. Les propriétaires de ces bras tendus semblent ignorer qu’on peut se procurer le DVD du concert de Hyde Park pour une somme modique. Quel intérêt d’emmagasiner des giga-octets d’images mal cadrées ? Ces obsédés de la photo-souvenir ont néanmoins le mérite de pointer du doigt ce qui me tracasse depuis le début : nous, le public, tout comme eux, sur scène, faisons semblant. Nous jouons au concert de rock’n’roll. Aucun acteur ne manque : public, musiciens, vendeurs à la sauvette… Même les C.R.S. sont venus. Sauf qu’en 2014, le rôle de ces derniers n’est plus de dissuader les autonomes d’entrer sans payer, mais d’empêcher les bobos de se faire dépouiller entre le stade et le métro.

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En 1976, quand les Stones jouaient aux Abattoirs, ils constituaient une énigme pour les adultes, qui ne comprenaient pas pourquoi leurs enfants aimaient « ça ». Aujourd’hui, l’énigme, c’est pourquoi tout le monde aime les Stones (ou prétend les aimer), la plus mauvaise raison d’aller les écouter en 2014 – et je l’ai beaucoup entendue – étant : « Il s’agit sans doute de leur dernière tournée. » Pour ma part, j’ose avouer que j’y suis allé à la fois par habitude et par masochisme. Les extraits vidéos postés par des fans sur YouTube laissaient craindre le pire. Et le pire s’est produit. Ce pire étant peut-être que le concert n’était pas totalement raté : le cadavre bouge encore et rappelle de temps à autre un groupe de rock’n’roll appelé les Rolling Stones.

Après Satisfaction, le stade s’est vidé dans le calme, tandis que la sono annonçait les prochains concerts : One Direction, Indochine… Je me suis alors souvenu pourquoi j’aimais les Stones plus que n’importe quel autre groupe : ils ne deviendront jamais des professionnels. C’est le plus grand groupe amateur que cette planète ait connu. Rater l’intro d’un morceau qu’on joue depuis cinquante ans, qui d’autre en est capable ? Les Rolling Stones sont une diligence lancée dans le désert avec les Apaches à ses trousses. Parfois, leurs balles font mouche – même si c’est de moins en moins le cas –, mais le vrai suspens consiste à deviner quel essieu cèdera en premier, d’où partira la flèche qui fauchera le cocher, combien de temps les chevaux emballés résisteront à l’attrait du précipice…

À propos de chevaux emballés, leur version tendue de Wild Horses, avec Keith et Ron à l’électrique, n’était pas si mal. En tout cas, mieux qu’en 1972. Tout n’est pas perdu.

34 commentaires

  1. Bon papier, une faute me « traquasse » néanmoins.
    Bobby Keys et Mick Taylor de retour aux affaires, je l’ignorais et ça fait vraiment chant du cygne, pour le coup.

  2. Rien que parce que vous n’avez pas eu recours à ses millions d’expressions convenues. Les Rolling Stones n’auraient donc pas « enflammé » le Stade de France comme le proclame Le Monde.

  3. cette posture qui associe faussement la critique acerbe à la vérité (avec ce sous-entendu permanent que « les autres médias vous mentent ») est cheap à souhait, en plus d’être bidon. Au final vous faites un papier sur les Stones, comme tout le monde. J’attends le papier sur la coupe du monde maintenant.

  4. Et le titre? Jagger 1 Richards 0. On ne sait pas pourquoi…
    Le papier est bon mais me semble un peu dur sur la qualité musicale…

  5. La posture, ça ne serait pas de dénigrer systématiquement (ou presque) les papiers publiés chez Gonzaï ?
    Les propos subjectifs de l’auteur sont bien argumentés, et nuancés.

  6. la différence c’est que je n’ai rien à vendre. Qu’est-ce qui est le plus vain: adopter une ligne éditoriale « contre » pour se distinguer de la concurrence et générer du clic à peu de frais ? Ou critiquer cette posture ? je dirais que ça s’annule. Par ailleurs à chaque fois que j’aime un papier (sur Costes, sur Burgalat et j’en passe) je like et je le dis.

  7.  » Aujourd’hui, l’énigme, c’est pourquoi tout le monde aime les Stones (ou prétend les aimer), la plus mauvaise raison d’aller les écouter en 2014 – et je l’ai beaucoup entendue – étant : « Il s’agit sans doute de leur dernière tournée. » » C’est tellement ça.

  8. En tant que fan objectif des Stones (je précise objectif!) je trouve cet article bien décalé de la réalité. Soit, les stones n’ont plus 20 ans. Soit, beaucoup de gens viennent sans être gros fans. Et alors? Les Stones restent un des seuls groupes capables de réunir autant de gens dans une si bonne ambiance. L’énergie sur scène est là et cette tournée de 2014 est bien plus énergique que celle de 2007. La musique était là, les émotions étaient là, le public aussi. Je ne vois pas ce que l’on pourrait critiquer. Il ne faut pas oublier que le rôle des Stones est multiple. Non seulement ils font revivre une culture lointaine mais ils inspirent aussi la jeunesse actuelle (du moins une partie) et continuent de faire rêver des millions de gens, et c’est pour ça que les Stones sont importants et que j’irais les revoir si l’occasion se présente.

    Merci

  9. Non, ce n’ai pas vrai, d’où j’étais, pas en carré vip, avec les populos sur l’herbe, le son était énorme! Certes il fallait se taper tous les beaufs. Quelques notes approximatifs de Keith, Jagger remonté comme jamais! Je les ai vu en 1995 et là c’était mille fois mieux! Wild horses énorme, Bitch saccagée mais cool! après un afflut de standards jusqu’a l’overdose mais le son et la voix pour de septuagenaires est miraculeux. Après on peux faire la fine bouche, regretter les abbatoires et les bites géantes mais j’ai aimé le côté épuré de la scène, et le fait que les Stones n’avaient pas le sourire, au moins ça c’était Rock’n’roll! 🙂

  10. article écrit par un ex jeune homme moderne, sans aucun intérêt
    si le rock est bien mort depuis plus de 40 ans
    les Stones eux le sont toujours restés et le resteront toujours
    laissons ce monsieur à son ignorance

  11. Sans rire ? Vous étiez catégorie 3 au fond à côté de l’agaçant panneau publicitaire qui a tourné 1/2h pendant la période avant les Struts ou bien ?
    J’étais devant, pile en face Keith, et ce dernier était en forme !
    Et c’est justement rare sur cette dernière tournée : j’avais trouvé énormément de plaisir à le voir à Hyde Park sur la 1er des 2 dates; il m’a à nouveau impressionné par son rythme.
    Sur Bitch il a assuré le morceau seul d’ailleurs
    Il n’a raté aucune intro : de Honky Tonk Women à Gimme Shelter et passant pas JJF ou Brown Sugar : sa fameuse attaque de gratte, comme s’il cherchait à la casser pour sortir le son le plus sec, a été fantastique.
    Arrêtez de dénigrer : y a personne qui fait mieux du rock’n roll qu’eux !

  12. Ce concert était énorme, géant, magnifique ! Les jaloux auront beau dire, les Rolling Stones sont encore à leur top, capables de faire vibrer les foules. 80000 personnes (moins, semble-t-il, quelques esprits chagrins) en délire, de tous âges, de toutes origines, en ont attesté vendredi soir au Stade de France ! Merci les garçons (sans oublier Lisa… et la chorale), pour ce shoot merveilleux dont on ne redescend pas ! Vous êtes les meilleurs, toujours jeunes et sincères !

  13. « Je me suis alors souvenu pourquoi j’aimais les Stones plus que n’importe quel autre groupe : ils ne deviendront jamais des professionnels. C’est le plus grand groupe amateur que cette planète ait connu » …. C’est aussi pour cela je je voue un culte au Stones. Étant une jeune fan (c’est la première fois que je les vois), j’ai adoré le concert et l’émotion aidant j’ai passé mon temps à pleurer.

     » Hélas, bien malgré eux, les Stones sont touchés par le syndrome Dylan : il faut plusieurs minutes avant de discerner ce qu’ils sont en train de jouer. » Quelle mauvaise fois, vous êtes un peu dur d’oreille non, ou alors lent à la détente.
    Même si techniquement on trouve meilleur, ça à été l’un des meilleurs concert auquel j’ai assisté cette année.

  14. Durant quelques instants, j’ai songé à répondre point par point à ce papier qui me reste en travers de la gorge depuis sa lecture. Avant de me raviser, mon avis n’intéressant personne et l’appréciation d’un concert avant tout subjective. Juste : j’étais présent à Hyde Park, c’était calamiteux. Un son pourri, un groupe à côté de le plaque et un public frileux, incapable de se lâcher contrairement à ce que le DVD laisse à voir. Vendredi soir, il s’est passé un truc – en tout cas devant la scène- où la sécu a laissé passer des dizaines de personnes (j’ai eu cette chance) pour rentrer dans ce foutu carré VIP. Le son n’était pas si mal, aucun morceau vraiment foiré, les Stones avaient le sourire figé aux lèvres et leur cadavre bouge sévère. La question de l’âge ? Peu importe, jugeons sur pièce et évitons d’être aussi blasé que cet article.

  15. Un ingrédient manquant ? Ce serait pas une pincée de sincerité et un bon gros 500 Grammes de Brian Jones ?

  16. Tout est dit. Un peu de sincérité dans ce monde médiatique hypocrite, ça ne fait pas de mal ! Merci ! (et le syndrome Dylan a été surpassé par Sixto Rodriguez malheureusement…)

  17. Arrêtez avec le mot « bobo ». Si en 2014 tu claques 150 balles pour aller voir les stones, t’es pas un bobo, t’es un bourgeois.

  18. N’importe quoi….. il fallait rester chez vous! Bande de nazes…
    « c’est seulement du rock’n’roll, mais j’aime ça »!

  19. So frenchy^^! »le bonheur est un art qui consiste à changer son regard en mettant des lunettes roses »!!!alors heureux? 🙂 rock on baby!!!

  20. le rock de 2014, ce sont les rave parties ! un mort à londres récemment, lors de l’ « Altamont » de la techno.
    ciao les papys !

  21. Quitte à évoquer le passé des Stones, vérifiez vos infos, Gonzaï : manque de bol, Wild Horses n’a pas été une seule fois jouée en 72!!

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