De passage à Nice en ce début de mois de juillet, une de mes préoccupations majeures de touriste aura consisté à trouver la contre partie culturelle qui atténuerait le sentiment de culpabilisation du mec se prélassant quotidiennement sur les galets des plages municipales.
Or, à mon grand étonnement, l’individu zélé en matière de politique sécuritaire qui sert d’édile à cette charmante bourgade de la Côte d’Azur, a eu la brillante idée de rendre gratuit l’accès à tous les musées de la ville. L’excuse était parfaite pour se donner bonne conscience et investir la rétrospective que le Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain (MAMAC) consacre à un artiste américain plutôt méconnu de ce côté de l’Atlantique, Robert Longo.
Depuis son ouverture en 1990, le Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice a toujours entretenu une relation charnelle avec les artistes américains ayant insufflé une forte énergie la bouillonnante vie artistique outre atlantique à partir des années 60. Le fond permanent de ce musée à taille humaine témoigne largement de cette politique culturelle avec des salles exhibant fièrement des fragments de l’œuvre des artistes américains majeurs de la seconde partie du vingtième siècle que constituent les Rauschenberg, Indiana, Wesselmann, Lichtenstein et autres Warhol. En ce sens, la volonté de présenter la première rétrospective en France de l’œuvre de Robert Longo, éminente figure de la scène américaine depuis les années 80, est parfaitement logique.
Robert Longo, né à Brooklyn en 1953, est un artiste provocateur, qui depuis sa prime jeunesse a toujours éprouvé une fascination pour les médias de masse – télévision, cinéma ou encore littérature et presse – dont il s’est continuellement nourri pour influencer l’évolution de son œuvre. Rendu célèbre dans les années 80 avec la série des « Men in the Cities » – un ensemble de dessins tracés au fusain mettant en scène des businessmen dans des positions décharnées telles des marionnettes instrumentalisées au sein d’un système les dépassant – Longo s’impose rapidement comme le chroniqueur d’une Amérique aseptisée, incapable de se confronter à sa réalité, une Amérique censurée qui contemple le train de son existence à travers le filtre de ses médias, sa télévision ou ses jeux vidéo.
Artiste minutieux, Robert Longo privilégie la création d’œuvres gigantesques, constamment isolées sous verre et réalisées avec des dizaines et des dizaines de bâtons de fusain, dont les granulés sont très légèrement fixés, conférant à l’ensemble un rendu photographique absolument bluffant. Mélange d’éléments culturels indissociables à l’essence même de l’Amérique – armes à feu, businessmen, drapeaux de la nation ou dollars déclinés jusqu’à la nausée – la noirceur de son œuvre témoigne les angoisses d’un être tiraillé entre espérances et déceptions quant à la capacité de régénération d’une civilisation dont on sait les limites. Si on ne peut nier la place prépondérante du cinéma dans le travail de ce fan absolu du réalisateur Rainer Werner Fassbinder (Longo est d’ailleurs lui-même marié à l’actrice allemande Barbara Sukowa et a notamment réalisé le film Johnny Mnemonic avec Keanu Reeves et plusieurs clips pour New Order, Megadeth ou REM), on retient avant tout le message de mauvaise augure du travail, magnifiquement exprimée dans la précision des traits de fusain noir. La dialectique de la peur et de l’apocalypse est omniprésente au sein d’une production où se côtoient requins menaçants, vagues immenses, armes à feu et autres champignons atomiques. Si son œuvre est souvent réduite à cette profonde noirceur qu’elle renvoie de son époque, Robert Longo lui revendique pour sa part un aspect profondément romantique et déplore l’absence de reconnaissance de cette dimension. L’intense mélancolie qui se dégage de ces gigantesques panneaux noircis à la main va pourtant en ce sens.
Rétrospective Robert Longo au MAMAC de Nice, 27 juin – 29 novembre 2009