Chaînon manquant entre Altin Gün et Lebanon Hanover, Anadol est surtout une artiste protéiforme qui emprunte autant au revival psychédélique turc qu’à une synthpop 80’s sombre et criarde. Dix ans après l’avoir composé, Anadol est de retour (aux sources) avec « Hatıralar », paru ce 9 juin chez Pingipung Records.

À moins d’avoir passé les dernières années à ne lire que des hors-séries dédiés aux Rolling Stones, vous aurez certainement constaté un certain engouement pour le rock pyschédélique turc, avec en tête de file Altin Gün ou Derya Yildirim. Et si Anadol n’a pas la même visibilité que ces deux derniers, il n’empêche qu’elle aussi mérite ses lettres de noblesse dans ce petit club très en vogue. Ce 9 juin sortait « Hatıralar », son dernier album qui est en fait son second et pour l’apprécier à sa juste valeur, il faudra surtout parler du troisième et du quatrième. Un casse-tête qui n’en est pas un, ce qui est déjà un bon préambule à l’univers de l’artiste.

Au cours de ses quatre albums parus sur une décennie de carrière pour le moins confidentielle, Gözen Atila (alias Anadol) a mis un point d’honneur à brouiller les pistes. Artiste multimédia d’origine turque et basée à Berlin, le caractère protéiforme de son œuvre est déjà palpable sur le très avant-gardiste « Çürüyen Yillar (Rotten Years) » de 2012, sorti sur le label d’Anne Laplantine. Mais c’est principalement avec « Uzun Havalar » (2019) et « Felicita » (2022) qu’Anadol a réellement donné corps à son singulier projet. Si les pochettes de ces deux curiosités sont déjà des expériences surréalistes à part entière, c’est que l’objet musical est lui aussi ambigu : de la synth-pop à fond de balle, mâtinée d’influences orientales et de musique électronique minimale de l’avant-garde allemande, dans la veine des travaux de Lebanon Hanover ou She Past Away (en encore plus bordélique).

Résulte donc de cet étrange mariage de long morceaux expérimentaux, tentaculaires à l’excès, dont le dernier soupçon d’humanité tient en quelques cris masculins ou dans la voix sépulcrale de la chanteuse. On y trouve des échos de Coil, Tuxedomoon, Bohren & Der Klub of Gore. Et si Anadol avait fait ses armes cinquante ans plus tôt, elle aurait mérité sans mal son entrée dans la Nurse With Wound List. Sur « Felicita », qui n’a d’ailleurs de joyeux que le nom, la mystérieuse chef d’orchestre s’est aussi accompagnée de quelques musiciens jazz d’Istanbul pour accompagner ses pérégrinations synthétiques, pour façonner une ambiance torturée et apocalyptique plus lynchienne que jamais.

La pièce manquante du puzzle est précisément celle que l’on redécouvre aujourd’hui : ce « Hatıralar » composé en 2012 entre Paris et Istanbul, dont un premier jet sortit au format digital sur le label d’Ankara Inverted Spectrum. Dix ans plus tard, c’est cette version recomposée et retravaillée qui voit le jour, tout en gardant la couleur de l’œuvre balbutiante des débuts. Plus minimaliste et plus direct, dépourvu de voix, « Hatıralar » a ce petit quelque chose en plus (ou en moins) qui le rapproche de la musique de film. Tantôt amusant pour le côté ludique et naïf de ses expérimentations sur orgue vintage, tantôt erratique, tantôt menaçant, le son d’Anadol surprend toujours en rappelant un Taxi Girl lessivé sur Gel Elimi Tut ou d’étranges rythmes flamenco synth-pop sur Sekiz Sütuna Sekiz Manset. Et si ce retour aux sources pourrait laisser sur sa faim l’auditeur, surtout au regard de la richesse des deux précédents albums tout juste présentés, il tient surtout lieu de parenthèse dans un projet à regarder comme une belle tête de Turque.

Anadol // Hatıralar // Pingipung Records, paru le 9 juin 2023
https://anadol.bandcamp.com/album/hat-ralar

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