Sorti le mois dernier chez Bongo Joe Records, le dernier album de Derya Yildirim & Grup Simsek « Dost 2 » (« l’ami », en turc) poursuit avec justesse le diptyque entamé avec le précédent. Une musique qui vous veut du bien, donc.
La musique de Derya Yildirim peut être résumée par un mot turc difficilement traduisible : Gurbet, comme la chanson d’Ozdemir Erdogan (qui n’a rien à voir avec celui que l’on connaît). Lorsqu’elle interprète sur scène sa version de ce classique de la musique turque, Derya Yildirim l’explique ainsi : Gurbet, c’est un sentiment de nostalgie pour sa terre natale, un mal du pays qui rend étranger à son propre environnement. Une quête lointaine d’un paradis perdu, et qui n’a peut-être d’ailleurs jamais vraiment existé.
Là est toute la couleur de la musique de la jeune Derya Yildirim, née en Allemagne d’une famille turque. Parfois légère et dansante, souvent mélancolique et lancinante. Le dernier album « Dost 2 » continue dans cette lancée avec son lot de reprises d’œuvres turques traditionnelles (comme par exemple Selda Bagcan, Baris Manço, Asik Mahzuni Serif) ou influencées par leur héritage, notamment celui du poète Nazim Hikmet Ran. D’autres morceaux sont des compositions du groupe, comme le morceau d’ouverture Gümüs.
Le sentiment de Gurbet s’accompagne souvent d’une triste sensation, celle de voir le déclin du paradis lointain en étant soi-même impuissant face aux événements. Cette idée prend un sens tout particulier au regard de l’histoire turque et de sa musique, lorsque le mouvement avant-gardiste du rock anatolien des années 60-70s fut fauché en plein vol par le coup d’État de 1980 et la dictature militaire qui s’en suivit. Lorsqu’une partie de la population prit le chemin de l’exil, certaines figures du mouvement pâtirent de leurs idéaux gauchistes et progressistes. Asik Mahzuni Serif, le compositeur de Nem Kaldi (« tout ce qu’il me reste », magnifique chanson devenue un standard et réinterprétée par Derya Yildirim), quitta le pays pour l’Allemagne. La chanteuse Selda Bagcan fut emprisonnée trois fois, comme le poète Nazim Hikmet Ran et ses penchants communistes quarante ans plus tôt.
Tout cet héritage lourd et complexe forge la musique de Derya Yildirim. Il est palpable dans chaque note, mais transpire aussi lorsque son groupe et elle se produisent sur scène. Avant tel ou tel morceau, Derya se fend d’une explication, d’un souvenir, comme celui d’un coup de fil de sa tante qui fredonne des chansons de son enfance (elle chante d’ailleurs sur la dernière piste de l’album). Parfois, elle se fend d’un monologue exalté, acclamé par la partie turcophone du public.
Lors du concert de Derya Yildirim à l’Ancienne Belgique de Bruxelles, deux hommes d’une quarantaine d’années et d’origine turque n’ont cessé de danser, scander les paroles en cœur avec la chanteuse, riant pendant près d’une heure et ramenant au milieu de leur danse les personnes alentours. Autour d’une bière trop chère mais gracieusement offerte par le plus jeune d’entre eux, ils m’expliquent que si une bonne partie du répertoire de Derya Yildirim est constituée de reprises, elles restent d’actualité et prennent d’ailleurs une certaine résonance au regard de la politique autoritaire du Président Erdogan. S’il est difficile d’en appréhender toute la profondeur, Gurbet garde donc tout son sens.
3 commentaires
toutes c modes! allez a la bibliotek, regarder les archives de .
bomb the (empty) trains! now!
c’ vrai ka noel ils mangent d animaux