Drapeau rouge dans le golfe de Saint-Trop’, baignade interdite. Allons messieurs, cachez donc ce slip que je ne saurais voir. Ramassez vos mouflets qui moufettent un peu trop fort et votre épouse qui lézarde à l’ombre du camping car, vous risqueriez de rater les concerts d’Applause et Fujiya & Miyagi à la boutique de souvenirs. Six ans que Plage de Rock tente à tout prix d’apporter l’électricité à ceux qui cherchent à brancher leur réchaud. Aperçu d’une nuit parmi les paréos en sueur et les poils de torse à l’air libre.
Plage de Rock c’est un concept, répète-t-on à l’envi, sur leur site web comme sur place : amener des artistes exigeants à un public qui ne l’est pas forcément. Des guitares dans un camping du golfe de Saint-Tropez, on pourrait craindre le pire. Bien souvent, les concerts pour vacanciers vous emmènent dans des sphères de mauvais goût popu’ indescriptibles. Tentons d’imaginer un groupe rodé aux tournées des places de l’église reprendre du Renaud version reggae. Un reggae sans groove aucun, bien français cela va sans dire. Français comme la fête de la musique ou le régionalisme basé sur l’étiquette d’une bouteille de vin local. Et puis si la mairie dispose de davantage de subventions, ce ne sera guère mieux : Ben l’Oncle Soul ou les Wankin’ Noodles pour échapper à la Dame Blanche en rue piétonne. Tout cela n’est que souvenir, comme les pièces de monnaie perdues dans la salle de jeux, les boissons tropicales au bord de la piscine et les parties endiablées de ping-tong. Non, ce n’est pas une faute de frappe mais une idée parmi cent autres de distractions qu’on imagine quand on passe ses deux semaines de vacances estivales en famille dans ce type d’endroit, à un âge pas encore à deux chiffres. Alors forcément, en arrivant je n’y crois pas vraiment. D’autant que les évènements qui reposent avant tout sur un concept décalé n’aboutissent que rarement à des expériences extraordinaires.
Après tout, quelques mois plus tôt j’étais ressorti de la patinoire Pailleron où jouaient les branlos en slip-on No Age, très amusé d’avoir pu abreuver d’eau javellisée mes congénères hipsters à coup de frites en mousse. Très amusé, mais sans trace indélébile de concert réussi. Pour cause, nous avions passé le plus clair du temps à apprécier d’avoir aboli la barrière du look (forcément, en slip et bonnet, on s’en sort rarement avec classe), à mater ce qui dépassait des maillots trop justes et à rire des filets de morve qu’on retrouvait dans la barbe de certains. Et pour la musique, on repasserait. De toute façon, l’acoustique d’une piscine couverte ne mérite rien tant qu’un mépris silencieux. Une version estivale des soirées DJ On Ice, pourtant très courues. Du coup, d’une manière plus générale, j’en viens à m’interroger sur le bien-fondé de l’écoute du rock en été. Avant de balayer cette bien courte idée d’un revers de mèche, j’entends ma voisine écouter de la bossa nova au bord de sa piscine et j’écoute ma platine cracher de la soul obscène dans la nuit suave.
Il ne fait pas plus froid à Saint-Tropez quand Applause monte sur scène.
J’active mon thermomètre mental et constate qu’ils laisseront l’atmosphère à température ambiante. Applause, comme d’autres groupes belges avant eux (Ghinzu ou Café Neon) ont cette justesse dans l’écriture d’une chanson pop qui la rend directement abordable sans creuser trop profond dans l’indécent ou le putassier ; oh et un frontman qui joue parfaitement les aspirateurs à phéromones. Mais clairement, le fil sur lequel ils dansent manque de tension, et jamais on n’entrevoit la mort par électrocution au bout du couloir. Autour de moi, la sauce semble pourtant prendre. « Saint-Tropez c’est hyper hétéroclite : t’as les stars, les gens friqués, les ploucs, les beaufs… » m’expliquait plus tôt le natif du coin qui était venu me chercher à la gare. Et Plage de Rock mise sur ce pot-pourri pour bluffer tous les participants, groupes compris. Autour de moi, les marmots courent dans tous les sens, certains salissent des tee-shirts des Smiths achetés par maman pour l’occasion. Intérieurement, je leur souhaite de ne pas être norvégiens. Les vacanciers, badauds ou purs campeurs comme enfants de comptes en banques ont bien répondu à l’appel sans qu’on leur promette aucun verre de porto à gagner au blind-test.
L’hallucination ne sera complète que lors du set de Fujiya & Miyagi.
Précisons en guise de contexte que les trois britons tombés dans le kraut forment l’un des groupes live les plus classes qui soient. Dans le sens où jamais une note ne dépasse, sans pour autant qu’une impression de militarisme marketé ne laisse un goût amer de supercherie au fond du cocktail. Dans le sens également où la centrifugeuse de sonorités froides qu’ils font tourner à coup de cadences obsessionnelles et qu’ils éventent par synthés vaporeux, dépose l’auditeur en plein centre-ville du territoire de l’intime. Le kraut sans la migraine, le trip-hop sans la complainte et même le blues sans l’haleine frelatée : cela peut paraitre fadasse, mais c’est à la croisée de ces compromis qu’on trouve l’équilibre parfait qui caractérise l’état dans lequel on se trouve devant leur performance. Ils épurent quasiment tout leur dernier album, Ventriloquizzing, et les vacanciers ne partent toujours pas. Puis ils battent le rappel avec des classiques antérieurs. Bouclage du set avec Ankle Injuries, j’arrête de gesticuler et contemple la scène. Que les kids beurrés comme des couvreurs sortant du PMU remuent collectivement leurs casquettes New Era et s’acharnent sur un buzzer imaginaire comme au showcase de Kanye West, ça peut se concevoir. Mais ces quadras en chemisette fluos qui frappent des mains, ces épouses éberluées en spartiates blanches qui fixent la lumière derrière le groupe… Bordel, on est devant Fujiya & Miyagi. Dernier break, Fujiya, Miyagi, Fujiya, Miyagi, Fujiya… Il est devenu superflu de se demander si c’est une bonne chose, la scène est déroutante et c’est tant mieux. Alors, tant pis si le groupe sera congratulé d’une ritournelle d’arène de sport à la fin, et peu importe si on retrouvera ces gens dans l’audimat de Taratata dès septembre. Pour le moment, seule compte la dernière coulée de modernité qu’on verse à nos esgourdes. Je suis au milieu du public le plus incongru qui soit, et les lumières défilent avec ce beat qu’on martèle ; j’inonde d’eau de mer le tunnel de Saint-Cloud et fais bronzette dans le final de Blade Runner. C’est la mousson sur le périph’, pistache et carbone pour la crème glacée, merci.
Lights on, retour à la normale. Fixation extrême sur les coupes de cheveux en acier trempé qui remplissent les bars, s’éloigner des reprises de Jack Johnson sur la plage. Demain, Paris et l’automne en juillet. Si Fujiya & Miyagi s’échappent trop bruyamment des écouteurs, ce sera la désapprobation populaire dans le RER. Mais je suis obligé de monter le son, avec tout ce sable dans les oreilles.
1 commentaire
Excellent, le passage sur Fujiya et Miyagi.