Après Jul, quoi de mieux pour continuer cette mini-série des live report de l’extrême que de se rendre à un concert de Nine Inch Nails? 25 juin 2018. Il est 20h00, je suis devant l’Olympia. Ce soir, ça devrait envoyer du très lourd avec Trent Reznor, le roi des corbeaux. Un homme qui ferait passer Gary Numan pour un membre de la compagnie créole. Son groupe vient de sortir Bad Witch, un nouvel EP plus expérimental que jamais sur l’échelle de Reznor.
Comme d’habitude, je suis dans la fosse. D’autres sont au balcon. Ils s’apprêtent à vivre le concert de NIN, un sigle devenu acronyme, en position assise. C’est un peu comme surfer sur la foule dans un fauteuil club, ça manque de sens mais c’est plus confortable. Après une première partie assez assommante dont je vous épargne le nom, les lumières se rallument. C’est l’entracte. Immédiatement la foule se sépare en deux camps. Devant moi, ceux qui veulent voir le concert aux pieds de l’idole Reznor. Alors ça pousse, ça joue des coudes pour accéder aux premiers rangs. De l’autre côté, les moins téméraires refluent vers le bar de l’Olympia pour tenter d’attraper un sandwich triangulaire Sodebo à 4,50 euros ou une coupe de champagne bas de gamme à 10 euros. Pour montrer ma différence, je ne bouge évidemment pas d’un centimètre. On se rebelle comme on peut.
J’ai longuement hésité avant d’écrire cette phrase surréaliste mais après avoir quadrillé la fosse pour m’assurer que je ne jouais pas de malchance je ne peux que constater les faits : je n’avais pas vu un public puer autant depuis le concert d’Iron Maiden à Pompéi en l’an 145 avant Jésus-Christ. Il faut dire que la forte chaleur du moment n’aide pas. Tout le monde a ressorti de l’armoire un vieux tee shirt NIN et c’est génial. La prochaine fois, faudra le laver, ce sera encore mieux. Voilà pour la parenthèse hygiène (je dois sentir aussi mauvais ceci dit), passons maintenant au style de la fosse.
Un fan porte un pantacourt avec des boots.
Devant moi un monsieur d’une cinquantaine d’années porte un pantalon de treillis, des sandales en cuir avec des chaussettes écossaises très épaisses à l’intérieur, une chemise à manches courtes noire et une sacoche Samsonite avec un ordi portable dedans. Soit il sort du boulot et c’est très étrange. Soit il ne sort pas du boulot et c’est encore plus étrange. Un autre porte un pantacourt avec des boots. Bienvenue dans un monde où les codes du bon goût n’existent plus. Et c’est très bien comme ça. Merci Nine Inch Nails, donc. Globalement tout le monde se ressemble un peu mais rien de choquant puisque chaque concert draine de toute façon une communauté de fidèles qui se ressemblent souvent. Tiens, un mec en Stan Smith porte une veste en jean siglée Hellfest et une casquette de base-ball aux couleurs d’un équipe de NFL. Ce doit être l’exception au principe. Par contre, très peu de bracelets de force (17 selon les autorités, 4 selon mon décompte). Déception.
Le concert n’a toujours pas commencé. Les gens s’impatientent et réclament de plus en plus bruyamment le groupe. Ferveur quand tu nous tiens. Derrière moi, bières à la main, ça cause et les noms de groupe fusent : Christian Death, New Model Army. Pas d’erreur, on y est. J’apprends des choses de la bouche des experts. « Trent n’utilise que des pédales d’effet de malade. Ça coûte cher mais quand on est fan de technologie, on ne compte pas ». Dans le public, les tee-shirts NIN noirs se dénombrent par centaines. Le degré de crédibilité du fan se mesure souvent au millésime du tee-shirt. Tournée 94, tournée 2000, tournée 2005 … Certains ont du acheter des copies sur Ebay. Le plus simple serait peut-être de tester au Carbone 14 ces uniformes du cool pour s’assurer qu’on n’a pas affaire à des fake.
Côté suivisme, le public de Cure, d’Evanescence ou de The Horrors peut aller se rhabiller. La dévotion au max. Voilà ce que provoque NIN aujourd’hui en France. La phrase sur le dos d’un de mes voisins ne trompent pas : « I’m one of the chosen ones ». D’autres fidèles veulent montrer qu’ils en ont encore sous la semelle, alors il portent des tee-shirts « Cannabis Corpse », « Dandy Warhols », « Sisters of Mercy », « Kasabian », « Suicidal Tendencies »,… c’est varié mais le code couleur ne varie évidemment pas d’un iota. Ce sera noir, car il n’y a décidément plus d’espoir. Surtout pour ceux qui errent encore comme des zombies devant la salle pour trouver une place au marché de la même couleur. A un prix exorbitant cela va de soit, car ce concert est un des évènements de l’année.
Sans surprise, le public a entre 30 et 50 ans. Blanc à 99 %.
Les tatouages sont presque aussi nombreux que sur une plage de Palavas-les-flots. Au fond de la salle, un homme en kilt utilise son smartphone pendant que sa copine aux faux airs de Betty Page jette un œil par dessus son épaule. On va enfin pouvoir commencer. Mais NIN tarde à venir. Alors le public tape dans ses mains. Normal. Quand on a le même maillot et la même passion, on est tous à l’unisson.
Soudain, le groupe arrive. Sur fond vert, il démarre son récital. Rapidement, Trent lève les bras en l’air. Le public suit. Je crains le syndrome Kids United, mais non. Personne n’est là pour rigoler. NIN enchaîne sur Sanctified, un des hymnes du groupe avec son fameux refrain « I am justified, i am putrified, i am sanctified, insiiiiiide you ». Pour l’occasion, Reznor tombe la veste en cuir et arbore, ô surprise, un tee-shirt noir.
Géographiquement, on se situe entre John Carpenter et Aphex Twin, mais en mode Bosch.
Côté dispositif scénique, le groupe fait dans l’efficace. Ils sont 5 sur scène. 3 devant à même la scène (sans surprise, Reznor au centre) et 2 derrière (un batteur et un clavier), à un mètre de haut. Tous en quinconce ce qui donne une impression de réelle puissance à l’affaire. Une impression renforcée par un détail qui n’en est pas un. Les cheveux de Reznor semblent pris dans un petit vent frais. Un coup d’oeil sur la droite de la scène et je constate la présence de deux énormes ventilos. Principe de précaution pour rafraîchir l’idole ? Que nenni. Dès que le tempo augmente, voilà les ventilos poussés à fond. Les bandes magnétiques accrochées à chaque instrument se mettent alors à voler, donnant au public l’impression que le groupe se bat contre une tempête pour terminer ces morceaux. Malin, le Trent. Et sacrément efficace.
Niveau stroboscopes, on a aussi droit à du fat. Ceux qui n’ont pas perdu la vue pendant le concert pourront en témoigner. Reznor passe du clavier à la guitare, enchaîne les morceaux avec passion. Après toutes ces années, sa voix est intacte. C’est un plaisir à entendre même si le son du groupe ne vieillit pas toujours très bien et que quelques morceaux gagneraient peut-être à être un peu moins gras. Mais je chipote. C’est ça aussi NIN, du gras qu’on adore déguster.
Conquis d’avance, le public semble ravi. Soudain deux femmes passent à vitesse grand V devant moi. Elles sont en train de se faire sortir par la sécurité en mode virulent. Pourtant elles portaient des tee-shirts noirs. C’est incompréhensible. Quelques minutes plus tard les deux molosses retraversent la foule dans l’autre sens pour se remettre au premier rang. Reznor ne voir rien de tout ça. Entre deux morceaux il déclame un « Thank you. New album. New town. Mutations ». Et ne renvoie personne vers le stand merchandising. L’honneur est sauf.
Sur scène, ça enchaîne. Efficace. NIN, ou le groupe Mad Max. Tout sonne tribal. Y compris la rythmique post industrielle d’un morceau dont le titre m’échappe. On se croirait sur un chantier au milieu d’énormes machines en mouvement. Reptile marque des points. Peut-être le meilleur moment du concert.
Un mot sur l’Olympia, une salle mythique qu’il fait bon aimer. Sauf quand on est au fond comme moi.
Le balcon est si avancé et le plafond si bas qu’on a l’impression de voir le groupe sur un immense écran 16/9. Plus qu’à fendre la foule pour se rapprocher du groupe. Ce que je fais évidemment. Michaël Trent Reznor s’en moque. « Voici une chanson écrite il y a pas mal d’années ». Le voilà s’excusant presque de devoir entonner son fameux I’m afraid of americans qu’il avait produit en 1997 pour David Bowie. L’ombre de Trump plane mais le public s’en cogne et lève le doigt en l’air pour montrer qu’il partage l’avis du leader maximo. L’index, en l’occurrence. Quelques gamins surfent sur la foule. Reznor annonce qu’il est complètement jetlag mais franchement ça se voit pas, le gars pète le feu. Une petite vanne sur son nouvel EP et ça repart. Le volume est terriblement fort. Chaque note de basse ressemble à un coup de poing dans mon estomac. C’est un vrai plaisir.
Après The great destroyer, le groupe balance vers quelque chose de plus expérimental, voire de complètement barré. Il ne reste plus que deux musiciens au clavier sur scène et ils sont en train de nous perdre. Géographiquement, on se situe entre John Caprenter et Aphex Twin, mais en mode Bosch. Les perceuses, pas Jérôme. Le public semble désarçonné par cette direction plus extrême. C’est le moment que Reznor choisit pour dégainer un mégaphone et remettre tout le monde dans le droit chemin pour un morceau post-apocalyptique. La scène baigne désormais dans une lumière rouge sang. Les ventilateurs sont à fonds, des machines à fumée donnent tout ce qu’elles peuvent. On se croirait dans Sleepy Hollow de Tim Burton. Cet effet post apocalyptique réussi on va pouvoir passer à une salsa. Finalement non. En bon maître de cérémonie Reznor remet complètement les pendules à l’heure et balance un The hand that feeds terriblement efficace. On croirait The Faint après une cure de Guronzan. Mais en beaucoup mieux.
Voilà à présent que débarque le classique Head like a hole. Le minimalisme original du morceau a laissé la place à une musique plus lourde, plus grasse mais tout aussi efficace. Un peu comme celle de Gary Numan finalement. Nous voici face à une panzer musik qui devrait laisser peu de survivants si j’en juge par le niveau sonore et les vibrations dans la salle. Une salle qui de toute façon s’en fout comme de ses premiers Doc Martens et chante « Head like a hole » comme un seul homme. Reznor lève alors ses deux mains très pour montrer qu’il a dix doigts et son public fait de même. C’est le moment pour le groupe de quitter la scène pour une pause syndicale bien méritée avant le rappel syndical qui va bien. Il termine avec deux morceaux. Le foiré The day the world went away puis un très beau Hurt. Les rappels devraient être interdits mais ça, c’est pas nouveau.
6 commentaires
ça sert à quoi un bracelet de force ?
« Cannabis Corpse » ? c’est non.
Qui aurait penser que le look roadie de metallica serait la norme en ce début du XXie siecle?
Sans tomber dans le trip Eudeulinien du quoi porter pour être Rock, on est quand même au degré zéro de ce coté là.
Et quand on voit comment ce nippent Thee o see et autre King Lizzard y’a du boulot. Le look Geek à raflé la mise c’est sur et c’est dommage. Quand je les vois attifer avec le t-shirt pour bricoler informe , le jeans avec taches de colle incrusté et et…la basket en toile, oui celle la même que les parents vraiment très fauchés de la province française fauchée elle aussi, acheter à leurs gamins aux alentours des années 80, j’ai un peu la gerbe.
Rien que pour ça il va nous manquer encore longtemps le Bowie…
Pour ce qui est de l’indus c’est dans les années 80 que ça c’est passé le truc
Zon rien inventer les gars,
C’est un peu comme si on disait que NTM était Public Ennemy tu vois?
Throbin Gristle, Gary Numan (citer à tour de bras par l’auteur de l’article) et d’autres, on fait des choses beaucoup plus inspiré et radicale que ces amerloques sans cultures,
Dans les années recyclage on t’a fait croire à la nouveauté et au génie créateurs de ces gus qui à dit daft Punk?
Juste des recycleurs que papa avait mit sur la voix ou qui voulait faire comme, et vu le degré de curiosités de l’ado de base de l’époque Beavis & Buttheadienne c’était pas trop difficile de faire gober n’importe quoi aux Kids.
Cobain le Brian Jones des 90’s non mais…
Mid 90’s il fallait déjà chercher dans les marges pour trouver du neuf.
NINI le Guns n’Roses du métal Indus, Ake Yeah!!
Best Hurlant est mort vive Gonzai!!
NICHT TA MERE ?
ARGENTINE _ BRAZIL ?
« Bienvenue dans un monde où les codes du bon goût n’existent plus. »
Je vous donne entièrement raison : le bon goût vestimentaire (et capillaire) n’existe pas et le leader de Nine Inch Nails en est l’incarnation. Ca fait des années que je le dis !!!
Là, j’explique que dès son adolescence, Trent avait des épis non maîtrisés et que faire des économies de coiffeur ne mène jamais bien loin : https://thecamerabehind.wordpress.com/2009/05/21/la-genealogie-capillaire-de-trent-reznor/
Ici, je raconte comment Trent navigue entre le peignoir post concert et la camisole retouchée par Photoshop
https://thecamerabehind.wordpress.com/2010/01/21/la-genealogie-vestimentaire-de-trent-reznor/