Après l’acclamé « A71 » et l’incompris « Tabou« , voilà que déboule ce nouvel album de Mustang, enregistré à la fin de l’été 2013. Il était temps. On retrouve le trio dans un bar près de Bastille, Paris, France. Après quelques minutes de discussion, on sent bien qu’il piaffe d’impatience. L’envie d’en découdre dans la jungle des sorties printanières est bien là. Une envie de remettre les pendules à zéro.
Car ceux qui suivent ce groupe de très loin sans jamais l’avoir vraiment écouté ont parfois une fâcheuse tendance à le caricaturer. Mustang serait ainsi un groupe de jeunes blanc-becs se rêvant groupe de rock’n’roll fifties alors que l’époque vénère les laptops comme Hendrix les guitares. Ou encore un groupe de variété, frappé du syndrome Taxi girl (en gros, des mots qui claquent, des théories brillantes, mais une musique qui ne serait pas celle dont le groupe parle dans ses interviews). La réalité est pourtant bien différente, et comme on dit chez Publicis, le groupe souffre d’un déficit d’image et d’un manque de lisibilité-produit. Il faut dire qu’en reprenant par exemple du Booba ou en citant Porter Wagoner, les ex-Clermontois devenus parisiens ont eu le goût d’un hors piste que le manichéisme de l’époque ne comprend pas toujours.
Ce troisième album se mérite, car sa production, au premier abord, paraît un peu trop propre, trop lisse (Clint, tu auras compris dans quelle catégorie me cataloguer…). Pourtant, sans vraiment m’en rendre compte, je l’écoute et j’y retourne avec un plaisir et une fréquence assez étonnante. Mustang est un vrai groupe, et musicalement, ça s’entend. Grave. Voilà trois mecs qui dialoguent musique, pensent musique, vivent musique. Mais le rédacteur en chef de ce torchon qu’est Gonzaï vous en parlera bien mieux que moi dans peu de temps. Et dira probablement le contraire par esprit de contradiction chronique. Pour l’heure, je me contenterai de te conseiller de t’isoler avec ton smartphone dans les toilettes de ton employeur et de lire cette interview du groupe. En totale décontraction.
Gonzaï : Vous êtes à cheval entre un côté chanson presque variété, avec une production assez lisse, et un côté plus expérimental, mélangeant de l’électronique, des influences rockabilly et des effets parfois plus expérimentaux. Une sorte de mix étrange entre Ventures, Vega et la chanson française. Tout ça rend parfois Mustang difficilement lisible aux yeux du public et des grands médias, non?
Jean Felzine : On a jamais voulu choisir. C’est important ça. On a a jamais voulu faire de choix entre tous les trucs qu’on aime et qui nous influencent, mais on est aussi clairement très attaché au format chanson. Je sais que c’est pas toujours très clair pour les gens. On est tellement dans un monde d’image. Il faut toujours avoir quelque chose de tranché, et nous, on a fait le choix que notre musique ne le soit pas, ce qui fait que c’est peut-être parfois un peu difficile de venir vers elle. Comparons ça au plus grand groupe du siècle dernier, les Beatles, qui ont fait des choses tellement différentes. Vu d’ici, on a pas du tout l’impression qu’ils se disaient parfois « ah non, ce morceau là, ça ne sonne pas Beatles, donc on ne va pas le faire», mais plutôt « c’est une bonne chanson, on y va. Et on verra comment l’arranger ». A notre niveau, on essaye d’avoir la même approche et le même mode de pensée. Et donc on a le cul entre plusieurs chaises. Commercialement, c’est évident que tout ça porte un peu à confusion, mais en même temps ça rend nos disques intéressants. On aime des chansons dans des genres très différents et on est nous même capables d’en faire dans des registres assez différents. Pour un auditeur, c’est jamais évident de dire « J’aime Mustang, car c’est tel style de musique ». Alors qu’on aime les Ramones, parce que c’est une formule.
Johan Gentile : Il y a c’est vrai pas mal de gens qui aiment des groupes parce que c’est une formule qui évolue peu, comme les Ramones ou Motörhead par exemple. Quand on va voir ces groupes en concert, on sait exactement ce qu’on va y trouver. Et nous, on a jamais eu vraiment une image très précise.
JF : Notre public est hyper varié. On s’en rend compte quand on tourne. D’une date à l’autre, les mecs qu’on voit après le concert sont vraiment très différents. On en croise assez peu qui aime tous nos morceaux, et qui nous aime de manière inconditionnelle. Même chez nos potes musiciens, il y en a qui ne sont pas convaincus par tous nos morceaux. On est au carrefour de plusieurs styles, et ça se sent aussi chez ceux qui nous écoutent, avec un public en concert qui est très varié. Notre groupe n’est pas une formule. Par contre, on a un son qui est immédiatement identifiable.
G : Vos morceaux ne dépassent quasiment jamais les quatre minutes, alors que votre son évoque les grands espaces. Vous n’avez jamais envie de lâcher les chevaux et de vous lancer dans un trip de 10 minutes?
JF : Je crois qu’on y viendra, parce qu’effectivement, on aime bien les musiques dont tu parles, répétitives, presque psychédéliques. Malgré tout, on est tellement attaché au format de la chanson qui est un format insurpassable pour nous, qu’on finit toujours par choisir de faire une chanson. Sur l’album précédent, la princesse au petit pois était au départ un vrai trip, un peu psychédélique, et c’est finalement devenu une chanson parce qu’on a l’impression qu’à tout prendre, c’est toujours mieux. On aime les morceaux bâtis, avec une belle architecture, plutôt qu’un long délire. Mais peut-être qu’on devrait le faire. Je sais qu’il y a des gens qui attendent ça de nous, des longs morceaux plus hypnotiques, mais en même temps il y a aussi des gens qui attendent de nous…des chansons.
JG : De manière générale, dans le processus créatif, on a toujours tendance à enlever des parties plutôt qu’à en ajouter. Peut-être parce qu’on a tous les trois des caractères un peu impatients et que quand tu es en studio, et que tu écoutes plusieurs fois le même morceau que tu viens d’enregistrer, on finit souvent par se dire qu’il y a des longueurs, alors on coupe pour être concis.
JF : Ca vient aussi des musiques qu’on écoute le plus : les chansons, qui durent rarement plus de trois minutes. Souvent c’est 2′, 2’30 »…Quand j’écoute des albums des années 50-60, je suis fasciné, par rapport aux productions actuelles, du très peu de temps d’ennui qu’on y rencontre. C’est d’une concision absolue, alors qu’aujourd’hui, y compris dans les meilleurs trucs qui sortent, t’as toujours quelques moment où il y a des longueurs.
Rémi Faure : A tout prendre, il vaut mieux laisser les gens sur leur faim et qu’ils aient envie de revenir vers nos albums plutôt qu’ils s’y ennuient.
JG : On s’est quand même posé quelques questions à ce sujet en studio. On a aussi besoin d’un peu d’air sur nos disques. Sur Ecran total, cette fonction est bien remplie par Ce n’est pas toi et La mort merde, deux morceaux où les textes sont moins présents. On pense toujours en terme de disque quand on enregistre un album.
G : Qui décide du tracklisting chez Mustang? C’est un procédé démocratique?
JF : Ca a été compliqué et assez long. Pourquoi?
G : Je vous pose la question, car le morceau que j’aime le moins sur le disque, c’est le tout premier, Les oiseaux blessés, et je me suis demandé pour quelles raisons vous aviez décidé de le placer en ouverture.
JF : Le tracklisting, c’est quelque chose d’assez technique. Pour un morceau rapide, on veut qu’il ait vraiment l’air rapide, et donc on va souvent le coller juste après un morceau lent. Pour en revenir aux oiseaux blessés, je ne partage pas ton avis. Je préfère largement Les oiseaux blessés à Ecran total, par exemple. Pour moi, c’est une des meilleurs chansons qu’on ait jamais faites. Le tracklisting, c’est vraiment surtout une histoire de technique : le tempo, le fait que deux morceaux qui se suivent se mettent l’un-l’autre en valeur, c’est aussi simple que ça.
« lI n’y a plus grand monde qui pense à la Fnac. »
G : A aucun moment vous ne pensez au type dans une Fnac qui met un casque sur sa tête et qui se lance dans l’écoute de votre album?
JF : Tu sais, il n’y a plus grand monde qui pense à la Fnac.
JG : Après, on a quand même pas mal réfléchi « morceau de début », « morceau de fin ». Le morceau de début, l’idée c’est de se demander quelle est l’information que reçoit l’auditeur en premier quand il pose le disque sur sa platine. Avec les oiseaux blessés, on a voulu démarrer sur une note un peu juvénile, avec un morceau assez simple qui contient les 3 accords qu’on aime. Pour la fin, on a opté Pour ce soir ou jamais.
JF : Pour cet album, je voulais terminer sur quelque chose d’un peu plus sautillant. Dans les deux disques précédents, on avait fini sur des morceaux mélancoliques.
G : Sans des filles comme toi est un hommage aux filles d’un soir. Est-ce un message détourné aux groupies que vous pourriez éventuellement avoir rencontré au cours des tournées?
JF : C’est un hommage à plein de filles. Le disque est assez noir, et j’avais envie d’un morceau avec un peu de tendresse. Personnellement, je n’ai jamais méprisé aucune des filles avec lesquelles j’ai couché. Même quand c’était sans lendemain. C’est aussi simple que ça. On voulait une note un peu légère. Dans pas mal de disques qu’on aime, il n’y a pas d’unité de sentiments. Que de la tristesse ou que de la violence, c’est un peu monotone sur un disque. Cette variété, c’est l’idée qu’on se fait d’un disque parce que les albums qu’on préfère sont généralement conçus comme ça.
G : Dans tes textes, tu emploies systématiquement le pronom « je ». Il y a une grosse part d’autobiographie là-dedans, non?
JF : Non, c’est vraiment une contrainte de style d’employer systématiquement le « je ». A vrai dire, je ne sais pas écrire autrement pour l’instant. Mais ça ne veut pas du tout dire que c’est moi. J’imagine un personnage et je me mets dans sa peau. Toutes les musiques qu’on aime, la country, le rock, le blues, sont souvent écrites à la première personne qui décrivent un sentiment, pas 36. Nos chansons sont des personnages que j’incarne en tant que chanteur.
G : Dans un des morceaux, tu chantes « Les gens sérieux, je les envie ». Tu le penses vraiment ou c’est une posture?
JF : C’est l’histoire d’un type qui ne fait pas de choix et qui suit les gens. Pas de choix, donc pas d’erreurs, et pas d’ennemis, mais je ne suis absolument pas méprisant avec ces gens-là. Encore une fois, c’est un personnage que j’incarne. Le morceau dit aussi que les gens sérieux envient bien souvent les gens qui parviennent à faire des choix, quitte à se tromper. On a tous connu des gens comme ça, ou on l’a été à un moment donné.
« Faire attention aux groupes qui ont des histoires et des anecdotes incroyables et qui font de la musique assez médiocre. »
G : Votre vie d’artiste vous convient donc complètement?
JF : Honnêtement, je voudrais gagner plus d’argent. En terme de ventes d’albums, Mustang est loin d’être un groupe important. Par contre, si le système était bien fait, on pourrait faire des concerts bien plus souvent qu’actuellement. On est vraiment performant en live aujourd’hui, et j’adorerais jouer tous les soirs, y compris au même endroit comme le font les gens au théâtre.
G : Un peu comme Fauve qui parvient à remplir 14 Bataclan d’affilée?
JG: Oui, de ce point de vue là, Fauve est une sorte d’exemple, car c’est vraiment difficile de remplir une salle aussi grande 14 soirs de suite, non?
RF : Après, tu peux aussi faire ce genre de performance à moindre échelle, dans un bar par exemple.
G : Aujourd’hui pour vivre correctement de sa musique, un groupe doit souvent en passer par la pub. Vous y avez déjà pensé?
JF : On a fait une pub norvégienne pour JeanPaul, une marque de fringues. Mais on démarche pas, c’est le rôle de l’éditeur.
G : Tu as déjà pensé à faire des chansons en duo avec une femme?
JF : En fait, je fais beaucoup de choses avec Jo Wedin, l’ancienne chanteuse du groupe Mai. Sinon, j’essaye souvent de placer des chansons que j’écris, comme j’ai pu le faire par exemple à deux reprises pour Camélia Jordana. Et j’aimerais en placer plus à l’avenir, même si c’est pas forcément évident. Pour ce nouvel album, on avait écrit entre 20 et 25 titres pour n’en garder au final que 12. Et dans ces 12 morceaux, il y en a quelques-uns qui étaient des titres qu’on m’avait refusé par le passé.
« Quand j’étais plus jeune à Clermont-Ferrand, il m’arrivait d’acheter des magazines comme Rock and Folk. Je découvrais pas mal de choses comme ça. »
G : Mustang, c’est également un groupe de mélomanes, non?
JG : La musique, on la découvre avant tout via des livres, assez peu par les blogs ou les magazines. Ca peut aussi être via un partage sur des réseaux sociaux.
JF : La country, le rock stricto sensu et la soul sont les 3 genres de musique qu’on préfère. Il y a pas mal de livres écrits là-dessus, et en lisant ça, tu découvres qu’un tel a sorti un duo avec un tel ou qu’il a produit tel autre. Finalement, la découverte se fait presque toute seule, c’est très fluide. Si j’avais pas écouté Johnny Cash, je ne serais pas allé vers Hank Williams. Sans Hank williams, je n’aurais pas découvert les reprises faites par George Jones, ni ses chansons par la suite, etc… Les bouquins et les amis, c’est comme ça que je découvre de la musique aujourd’hui.
JG : Quand j’étais plus jeune à Clermont-Ferrand, il m’arrivait d’acheter des magazines comme Rock and Folk. Je découvrais pas mal de choses comme ça. Mais maintenant c’est très rare que je lise de la presse musicale.
JF : Je découvre énormément de musique sur Youtube avec leurs propositions sur la droite de l’écran. Tu écoutes Georges Jones, et sur le même écran, tu vois un duo entre Dolly Parton et Porter Wagoner, et tu le découvres comme ça. C’est génial, et totalement empirique. Le seul inconvénient, c’est peut-être que tu n’as pas toujours les clefs, les codes, pour comprendre l’histoire du titre.
JG : Avec les bouquins, faut quand même aussi faire attention. Tu as parfois des groupes qui ont des histoires et des anecdotes incroyables et qui font de la musique assez médiocre. Comme les Happy Mondays par exemple. Le film sur l’époque Madchester est assez génial, mais les Mondays, c’est deux ou trois morceaux d’enfer, et le reste qui est beaucoup plus anecdotique. Parfois, l’histoire prend le pas sur la musique. Mais pas toujours. La bio en deux tomes de Peter Guralnick sur Elvis, c’est phénoménal. Toutes ces anecdotes, c’est assez génial mais il faut quand même faire attention à ne pas perdre la fraîcheur, et à continuer à découvrir des choses par soit-même, et pas uniquement avec des bouquins qui institutionnalisent ces musiques.
JF : Il y a aussi un truc qui guide pas mal, c’est que beaucoup des artistes qu’on apprécie ont repris des chansons, parfois contemporaines d’eux. Par exemple, je ne connaissais pas Burt Bacharach. Sur « From Elvis in Memphis », Presley chante Anyday now de Burt, et ça m’a donné envie d’aller l’écouter, ainsi que les interprètes qui chantaient ses morceaux, et ainsi de suite. Elvis est l’astre qui te mène à tout.
G : Vous avez eu des chocs avec des albums récents?
JF : Le gros de ce qu’on écoute, c’est de la musique américaine d’avant Dylan. En ce moment, j’écoute beaucoup les Drifters. Save the last dance for me ou Spanish Harlem sont vraiment des titres fabuleux. On essaye aussi à notre échelle de tirer des enseignements des arrangements de ces musiques. Sinon, pour moi, le premier album de MGMT était monstrueux et m’avait laissé sur le cul. Je trouve que les groupes de psyché qu’on entend maintenant ne parviennent pas à faire aussi bien que ces deux mecs.
RF : J’ai découvert l’album de Temples, et ça m’a vraiment fait plaisir d’entendre ça aujourd’hui. Le songwriting se tient bien, même si c’est beaucoup plus rétro que MGMT.
JF : J’ai écouté le dernier MGMT l’autre jour, et je trouve que leur talent de compositeurs reste très au-dessus de la moyenne. Des grands mélodistes.
JG : J’ai bien aimé le dernier Arcade fire aussi.
RF : Moi, il m’a fait chié.
JG : En France aussi, il se passe pas mal de choses aussi avec ce qu’on nomme un peu paresseusement la french pop.
JF : On sait jamais trop si on est dedans ou pas d’ailleurs (rires). Aline, c’est pas forcément notre style, mais le songwriting est là, c’est évident. Une mélodie comme Les copains, je trouve ça brillant.
G : Votre amour de la chanson paraît très anachronique, car la mélodie dont tu parles s’est un peu dissoute dans la rythmique depuis quelques années, non?
JF : Non, il y a parfois eu des retours vers ça. Je pense que le bon songwriting fonctionnera toujours. Adèle, qui a quand même vendu quelques millions de disques, c’est des chansons correctement foutues. On peut toujours séduire les gens avec une bonne chanson, peu importe l’emballage. On est peut-être anachronique dans le sens où on trouve qu’un bon morceau, c’est avant tout une architecture interne solide. C’est la base pour nous. On aime pas trop les trucs évanescents.
G : Pas de visite hebdomadaire sur Pitchfork, alors?
JF : J’y suis allé une seule fois de ma vie. Et j’ai vu un truc tellement épouvantable que j’y suis jamais retourné. Le mec était une caricature avec deux laptops, une barbe, un bonnet, et des nappes. J’imagine qu’il n’y a pas que ça mais ça ne m’a pas donné envie de continuer à fouiller. Tu sais, même avec nos influences qui sont plutôt anciennes, on arrive à faire des choses singulières et qui parlent à l’époque. Enfin j’espère.
Mustang // Ecran Total // Arista (Sony)
En concert le 3 avril à la Machine (Paris)
http://www.legroupemustang.com/
Photos : Astrid Karoual
7 commentaires
Après ça, ne reste plus qu’à découvrir la couverture du numéro 6 et nous serons comblés.
Ça arrive !
remettre les pendules à zero…nice one ah ah
Les pendules étaient déjà à l’heure et les compteurs à zéro. Növölangue de boeuf. A part les trolls, aucune remarque de fond sur Mustang? Et m…
Merci encore, messieurs.
Les pendules étaient déjà à l’heure et les compteurs à z, donc…