Au début, je pensais que Metronomy était comme les Cranberries : un groupe constitué d’une jolie fille et de trois crèves-la-baise binoclards qui n’osent pas lui dire qu’il est temps de passer aux choses sérieuses et qu’ils ont envie de la serrer : « Ce que j’aime avec vous mes amis, c’est que vous n’êtes pas comme tous ces garçons qui ne pensent qu’à me baiser. Vous êtes différents, vous êtes mes confidents. » En fait, la réalité de Metronomy est un peu plus complexe que ça.
La composition du groupe est maintenant stabilisée depuis trois albums, incluant « Love Letters », leur petit dernier. Le leader Joseph Mount joue le même rôle que Robert Smith au sein des Cure : compositeur, auteur, producteur, interprète et directeur artistique. On imagine que si Metronomy était l’ONU, Mount jouerait le rôle du Conseil de Sécurité à lui tout seul. Le groupe compte trois autres membres, dont la batteuse Anna Prior, dont il était question précédemment, et le bassiste nigérian Olugbenga Adelekan. Le multi-instrumentiste Oscar Cash, vieux complice de Mount, joue de la guitare et du clavier et complète ainsi la formation. La beauté et la classe de Prior et l’aisance d’Adelekan attirent l’œil en concert. Évitez cependant d’aller les voir si vous avez dépassé 30 ans, c’est le meilleur moyen de se sentir vieux con et vous avez passé l’âge de ce genre de connerie.
Cela fait trois ans que l’on attendait la suite du chef-d’œuvre « The English Riviera », leur album précédent… Pour les artistes qui parviennent ainsi à tutoyer la perfection l’espace d’un disque, l’exercice est casse gueule : comment renouveler l’exploit sans se répéter en utilisant les mêmes ficelles ? En musique, l’exploration de nouveaux territoires est risquée parce que la plupart des fans n’aiment pas être déstabilisés quand leurs idoles s’éloignent du cadre dans lequel leur succès artistique s’est bâti. Les fans sont des cons.
L’album « Low » de David Bowie s’est mal vendu avec ses plages instrumentales arides et désolées. L’Histoire lui aura finalement donné raison de s’aventurer dans la voie de l’avant-garde, puisque cette période artistique féconde a prouvé a posteriori son flair et son talent. Lorsque Neil Young s’est pris pour Kraftwerk et a sorti son album électronique « Trans » en 1982, les fans ont été tellement décontenancés que sa maison de disque Geffen l’a poursuivi pour sa démarche anti-commerciale. Pourtant, ce disque étrange et mélodique a toute sa place dans la discographie du Canadien. Pas de bol : son public le préfère avec une guitare à l’épaule et un médiator dans la main, ce qui est bien dommage parce qu’il était plaisant d’entendre sa voix de chèvre agonisante passée au vocoder.
A contrario, la démarche de Radiohead consistant à se lancer dans la musique expérimentale a suscité l’adhésion immédiate de ses fans. Un cas rare qui mérite d’être signalé même si l’on peut considérer que le groupe n’aura jamais réussi à toucher l’excellence et l’émotion des bizarreries d’Aphex Twin, l’influence majeure de leur seconde partie de carrière. L’image tourmentée et souffreteuse de leur chanteur Thom Yorke n’est peut-être pas totalement étrangère à ce succès et au fort pouvoir d’identification qui lie le groupe à ses fans. Logiquement, Radiohead passe plus pour une bande de bidouilleurs qui touche aléatoirement au but que pour l’incarnation de l’avant-garde musicale actuelle.
Cela n’enlève rien à leur mérite de ne pas se reposer sur des formules acquises : si leurs chansons sont très souvent d’un mortel ennui, leur démarche est bien plus courageuse que My Bloody Valentine dont la musique n’a pas évolué d’un pouce après plus de vingt ans d’attente. J’imagine bien la gueule enfarinée de Kevin Shields lors de l’enregistrement de « MBV » : « Faisons comme si on avait vécu dans une grotte pendant toutes ces années et comme si l’électro, la jungle, le stoner, le grime, le 2-step, etc., n’existaient pas ! » Le résultat, c’est retour vers le passé : un album agréable mais qui pue le formol, et écrasé par les deux disques précédents, qui étaient pour le coup foutrement innovants. Preuve de cet immobilisme : la coupe de douilles d’informaticien de Shields n’avait pas bougé d’un iota pendant tout ce temps.
Voilà les réflexions profondes qui ont dû animer Joseph Mount, la tête pensante de Metronomy, pendant la dernière tournée qui, éprouvante pour le groupe, fait même l’objet de la chanson Monstrous sur le dernier album. Il y avait un paquet de bonnes raisons pour que Mount se prenne les pieds dans le tapis. « The English Riviera » était la synthèse parfaite de plein de bonnes choses : des arrangements astucieux, des mélodies solides et mémorables, une production aérée et des rythmiques lorgnant vers la dance et donnant logiquement envie de bouger son boule. Que ce descriptif taxinomique ne décourage pas ceux qui auraient loupé ce machin à la sortie : on parle-là d’un grand disque de rock inspiré. Assurément du bel ouvrage, surtout que les influences du groupe étaient suffisamment bien assimilées pour que l’ensemble sonne frais et novateur.
Le zeitgeist de l’époque, c’est donc« The English Riviera » qui l’a incarné, avec « Congratulations » de MGMT et « InnerSpeaker » de Tame Impala. Ces disques sortis en l’espace de onze mois ont apporté un souffle de fraîcheur : pas de cynisme post-moderne dans leur musique. Ces musiques étaient originales et porteuses d’émotions complexes en dépit de références parfois trop marquées dans le cas de Tame Impala. La décennie 2010 pouvait commencer après des années 2000 (ou noughties) où il ne s’est pas passé grand-chose de marquant : recyclage, clins d’œil au passé et revivals moisis. Si vous n’êtes pas d’accord avec cette brillante démonstration, posez-vous la question de savoir qui écoute encore les Strokes et Animal Collective aujourd’hui. Plus personne. A l’époque, ces albums ont donné l’illusion que la période qui allait suivre serait jalonnée de chefs-d’œuvre. Une nouvelle ère en somme. A ce stade, il est encore difficile de distinguer la décennie en cours des noughties, mais c’est un autre débat. Notons que Tame Impala a sorti depuis « InnerSpeaker » le même album en moins bien et que « MGMT », dernier album du groupe éponyme, est un naufrage.
« The English Riviera » était d’autant plus miraculeux qu’il succédait à « Nights Out », album de nu-rave épuisant paru en 2008. Une sorte d’« Experience » – le premier album de Prodigy – quinze ans après, la spontanéité en moins. Ecouter « Nights Out » s’apparentait à l’ascension du Golgotha : ses pistes foisonnantes ne laissaient que peu de moments de répit. Certaines mélodies crincrins s’incrustaient dans le cerveau mais sans donner envie d’y revenir. Mount n’avait pas été encore touché par la grâce. La pochette vaut cependant le détour : un jeune homme songeur adossé à sa voiture, semble se demander ce qu’il doit faire de sa soirée. Il est monté sur une colline qui surplombe une ville. Est-ce Primrose Hill, parc londonien situé non loin d’Abbey Road dans lequel Paul McCartney allait promener sa chère chienne Martha ? Elle était l’œuvre de Philip Castle, l’artiste qui a réalisé les pochettes de « His ‘n’ Hers » et « Aladdin Sane » (il n’était pas tout seul pour cette dernière). On lui doit aussi les affiches de Full Metal Jacket, Orange Mécanique et d’une tournée des Wings de McCartney – tiens, tiens. Voilà pour la minute culturelle.
Entre les deux albums, les compositions se sont assagies : il est difficile de reconnaître Metronomy, métamorphosé en l’espace de trois petites années. La maturité, loin d’affadir la musique de Mount, l’a fait rentrer dans la catégorie des songwriters poids-lourds. Pas de gras et rien à jeter sur « The English Riviera » : on y trouve ce qu’il faut de fragilité dans l’écriture pour que le résultat confine à la perfection. Souvent, les élèves trop appliqués rendent des copies laborieuses – Field Music en est un exemple parmi d’autres, pop de puceaux à lunettes et balai dans le cul – ce qui n’est pas le cas de Mount. Composer paraît facile et instinctif, ce qui rapproche finalement ses productions de ce qui pouvait se faire à la fin des années 60, pendant l’âge d’or de la pop music.
Si vous me prenez pour l’un de ces fumistes qui écoutent un disque deux fois avant d’en parler, sachez que j’en suis à trente-sept écoutes d’après mon compteur iTunes, et que j’en suis arrivé au point où je sais quelle chanson va succéder à la précédente quand elle s’achève. Je vous le dis : Mount a fait le job et sait écrire des chansons pop aux refrains mémorables. L’album est une réussite, disons-le tout net, même s’il est peu probable qu’il cartonne autant que « The English Riviera ». N’étant pas devin, je ne vous dirai pas s’il franchira l’épreuve du temps comme le précédent mais peu importe.
Entre la redite et la remise en question, Joseph Mount a choisi la tangente : « Love Letters » est une transition habile. Les chansons sont chiadées et la production est plus lo-fi – attention, ce ne sont pas des maquettes non plus – ce qui donne à l’ensemble un côté moins immédiat. Il va falloir faire un peu d’efforts pour apprivoiser ce machin. Au sein de la rédaction de Gonzaï, les avis diffèrent : la circonspection l’oppose à l’enthousiasme. Il n’est pas facile de trouver des influences dans la musique de Metronomy. Probablement parce que Mount préfère composer de la musique plutôt que d’en écouter. Love, Bowie, Damon Albarn, Magazine, The Cure : il ne connaît probablement pas la moitié des disques qui viennent à l’esprit quand on écoute le sien. Alors que ce dernier alignait les tubes fédérateurs, « Love Letters » paraît moins calibré pour la FM même si une bonne moitié de l’album cartonnera dans les charts quand elle sera commercialisée sous forme de singles. Le premier single I’m Aquarius, avec son clip inspiré de 2001, l’Odyssée de l’espace – tiens, tiens – n’était probablement pas le meilleur choix, en dépit de ses chœurs doo-wop, parce que tout le monde attendait un tube aussi scotchant que The Look. Le deuxième single, Love Letters, va lui cartonner dans les soirées d’écoles de commerce avec son clip réalisé par Michel Gondry.
Un bon point pour le groupe : il n’y a pas de composition faiblarde dans l’album, pas de remplissage. Certaines chansons retiennent plus l’oreille que d’autres, et l’album prend vraiment toute son ampleur sur la seconde face. C’est brillant, c’est fluide, c’est enlevé. Boy Racers ressemble à Wire, période « 154 », s’ils s’étaient mis préalablement des suppositoires de Bernard Edwards dans le fondement. Les trois morceaux qui suivent, Call Me, The Most Immaculate Haircut et Reservoir sont fluides et enlevés : la perfection pop. Bien joué ! Never Wanted, qui clôt l’album, est un peu terne. C’est curieusement le morceau dont Mount est le plus fier et, déjà à l’époque de « The English Rivieira », il confiait sa préférence pour le laborieux She Wants.
Finalement, la critique d’un album n’a qu’un seul intérêt : elle doit permettre à celui qui la lit de savoir si le disque mérite d’être écouté ou non. Dans le cas qui nous intéresse, vous devez vous procurer « Love Letters ». Il est peu probable qu’il change votre vie ou, dans une moindre mesure, qu’il bouleverse vos critères esthétiques musicaux. Mais il contribuera à rendre vos vies un peu moins merdiques, comme l’a fait « The English Riviera » auparavant. Ma trente-huitième écoute du disque, c’est pour maintenant.
Metronomy // Love Letters // Because
http://www.metronomy.co.uk/
10 commentaires
« Trans » c’est de la pure daube.
C’est bon la daube.
Oui et Lonerism part clairement dans une direction differente d’ Innerspeaker.
Ce deuxième album de Tame Impala est pour moi plus interessant au niveau creatif et propose un voyage vraiment transcendant en comparaison à la pop bien foutue- mais sans plus- de Metronomy.
Etre fumiste parce qu’on a écouté l’album deux fois, c’est le lot de tous les chroniqueurs. Maintenant si le compteur iTunes a parlé, alors, Au Vénérable, je ne puis rien objecter.
Mais tout de même, cet article me donne un sacrée impression de fumisterie. Peut-être par les avis tranchés dont il regorge à chaque ligne.
Bref, Metronomy était deux au démarrage, leurs premiers albums, même si ils sont immatures, valent le détour, peut-on vraiment comparer le virage « expérimental » de Radiohead avec l’électronique d’Aphex Twin (??), les deux ont leur charme mais à quelques megaparsecs l’un de l’autre, le zeitgeist dune époque avec trois albums, certes excellents, faut pas déconner, et les tentatives de correspondance avec les artistes qu’il faut citer si on veut en être, on s’en serait passé.
Du temps perdu à lire l’article, et surtout à écrire ce message (mais qu’est-ce que je fais bordel).
Bonjour Nom,
Je ne sais pas trop quoi te répondre à vrai dire, parce que tu sembles découvrir qu’une critique était nécessairement subjective. Libre à toi de trouver que les deux premiers albums de Metronomy valent le détour (je ne connais pas le premier), on ne va pas se fâcher pour ça. Si ma définition du zeitgeist te semble un peu raplapla, c’est peut-être que l’époque ne vaut pas mieux. J’ai failli rajouter Hot Chip d’ailleurs, j’aime beaucoup ce groupe.
Sur Radiohead et Aphex Twin, comment dire… Tu écoutes du post-drone néo-zélandais, non ?
« Tu écoutes du post-drone néo-zélandais, non ? » -> Malheureusement oui… mais « c’est peut-être que l’époque ne vaut pas mieux » 😉
Bonjour The Thin White Plouc,
juste une précision « Love Letters » est le quatrième album de Metronomy. Le premier « Pip Paine (Pay The £5000 You Owe) » sorti en 2006 était assez expérimental, dans une veine proche d’Aphex Twin, Autechre, Funkstörung avec une pincée de Devo. Joseph Mount s’est détaché de cette mouvance pour faire un truc plus pop.
Merci pour l’info, Schloop, ta description de l’album donne envie de l’écouter.
Jean-Claude a écouté, Jean-Claude a kiffé.