Rouge et noir. C’est par ces couleurs stendhaliennes et sous le doux murmure du « Paradise Circus » de Massive Attack que s’ouvre le générique de la série. Quelques secondes plus tard, on y voit se détacher une ombre imposante – autre massive attaque – et un nom, celui d’Idris Elba.

Déjà rencontré dans The Wire – cette fameuse série dont tout le monde dit qu’elle est géniale mais que personne n’a vue – ou Prometheus – ce fameux film que tout le monde a vu et vite oublié –, Idris Elba, qui, selon plusieurs sources sérieuses, pourrait très bien devenir le prochain James Bond, n’est clairement pas un acteur comme les autres. Sa carrure puissante et animale, alliée à un jeu terriblement humain, est fascinante à observer tout au long des deux saisons que compte pour l’instant cette série. Pour simplifier et le décrire plus efficacement, je dirais que son magnétisme à l’écran est tel que, s’il avait dû jouer dans 2001 l’Odyssée de l’espace, il aurait sans nul doute obtenu le rôle du monolithe.

Bien évidemment, une performance de ce calibre – presque aussi forte qu’un bon Brando – n’aurait servi à rien si le scénario, la mise en scène et les autres acteurs ne s’étaient pas mis au diapason. Heureusement, ici, tout se passe comme sur des roulettes russes : le scénario de Neil Cross est un modèle d’intelligence où les différents protagonistes, pour la plupart justement interprétés, bénéficient d’une véritable « aura charismatique ». Cette fameuse aura, qui entoure toute la série, tient autant à sa mise en scène efficace et à son intrigue qu’à son format tendu. Avec dix épisodes en tout pour déjà deux saisons, Luther préfère la qualité à la quantité, à l’instar du mètre-étalon Breaking Bad ou de la géniale série Misfits. Comme ces dernières, Luther est l’œuvre d’un scénariste unique – qui est allé jusqu’à écrire un roman en guise de préquelle à la série – et non celle d’une vingtaine de mains hollywoodiennes qui sont, avouons-le, rarement la garantie d’une cohérence folle. Ce format plus concentré permet aussi d’éviter la routine grossière présente dans pas mal de séries policières aux saisons infinies.
Dans Luther, il n’y a pas un nouveau serial killer qui apparaît à chaque épisode et qui, comme par hasard, réside toujours dans la ville de nos chers enquêteurs. Il n’y a pas non plus de réelle sécurité autour des personnages principaux : certains vivent, d’autres sont tués, comme dans la réalité… à son seuil vicieux le plus poussé.

En parlant des tueurs, il serait de bon ton de leur rendre hommage. Puisqu’ils sont bons et originaux, que diable ! Dieu sait pourtant que depuis Seven, une vague importante de tueurs à rituels s’est abattue sur la fiction mondiale et ce, jusqu’à l’écœurement. Or là, si l’on est écœuré, c’est davantage par le haut degré de perfection de leurs crimes.
Chacun de ces tueurs a du talent, de l’esprit, et ils trouveront tous chez le détective John Luther un excellent partenaire de jeu. À commencer par Alice Morgan (brillamment incarnée par Ruth Wilson, troublante car malgré son visage aux traits par endroits disgracieux, elle parvient à dégager une énergie sexuelle captivante), criminelle du premier épisode, épine empoisonnée au QI surdéveloppé pour qui Luther finira par se pendre d’affection, au cœur d’une relation résolument SM des plus savoureuses. Et puisqu’on évoque le premier épisode, profitons-en pour parler de comment l’on y découvre notre héros.

Au bord du vide, voilà où il se trouve, sur le toit d’un immeuble en train de penser au pire. Parce que John Luther est avant tout un homme brisé, sa femme s’est tirée avec un type moins classe que lui et ce bon John vient d’être suspendu plusieurs mois pour avoir torturé et assassiné un pervers pédophile. Alors, quand nous le rencontrons, Luther n’en peut vraiment plus. Il semble se trimballer une gueule de bois phénoménale, digne de celle de Pinocchio, qui ne va pas le lâcher de toute la série. Il faut dire qu’autour de lui, les gens continuent de mourir ou de vouloir le tuer, et un quotidien de ce genre doit être sacrément éprouvant. Surtout quand on finit chaque soir éclaboussé de sang. Cependant, Luther ne se laisse jamais submergé par ses démons – sauf quand il démolit tout le mobilier autour de lui quand on l’emmerde trop – et se débrouille toujours par avoir le dernier mot. Comment s’y prend-il ? Disons que sa méthode est à mi-chemin entre celle du Mentaliste et celle de Jack Bauer. Comme le Mentaliste, Luther use avec brio de sa cervelle et n’hésite jamais à contourner légèrement la loi pour parvenir à ses fins ; et comme Jack Bauer, Luther n’hésite pas non plus à casser quelques genoux quand son interlocuteur n’est pas assez causant.

Cette façon de faire, bien qu’en soi peu novatrice, est tout à fait jouissive et offre son lot de surprises, que ce soit du côté du raisonnement logique ou du bris de mâchoire. Si l’on ajoute à ça des rebondissements nombreux quant à la nature, bonne ou mauvaise, de certains personnages, ainsi qu’une bonne grosse dose d’humanité toujours servie sur le fil et sans en faire trop, on obtient une série à voir absolument.

« À voir absolument », voilà un truc que je n’ai jamais dit à propos d’une série policière française. Pourquoi cela ? Parce que Navarro, parce que Julie Lescaut, parce que Cordier, juge et flic. De fait, je pense que la médiocrité française dans ce genre particulier peut facilement s’expliquer en deux mots : frilosité et sensibilité.
Premièrement, les producteurs français sont donc frileux, ils ont peur de mettre des ronds dans un projet qui se veut brutal et sérieux si son concept n’a pas déjà fait ses preuves ailleurs. Alors ils font du sous Experts avec R.I.S., et en fin de compte ça nous donne une série visuellement immonde dont les dialogues semblent venir tout droit d’une parodie de seconde zone… Deuxièmement, les créateurs français ont une sensibilité naturellement plus à l’aise avec la comédie qu’avec la tragédie. On parle pour nous de langue de Molière, et pour les Britanniques de langue de Shakespeare, qu’est-ce donc sinon un signe ? Au-delà de cet élément remarquable à deux francs, il suffit d’observer un peu nos plus célèbres tueurs en série pour être définitivement convaincu par l’écart de karma entre ces deux pays. Car là, désolé (comme dirait Sarkozy dans un texto après une nuit de beuverie qui aurait mal tourné), mais Jack l’Éventreur a quand même cent fois plus de charisme que le père Henri Désiré Landru. Au même titre que les Sex Pistols sont foutrement plus bandants que Jean-Louis Aubert et Louis Bertignac (mince, je m’étais promis d’éviter les raccourcis faciles).

Toujours est-il que le constat est là : hormis Canal + qui essaie tant bien que mal de faire bouger les choses, la fiction française est au point mort. Tandis que les Luther, Ghost Squad, Jekyll, Dead Set, La Fureur dans le sang et autre M-I 5 (série à laquelle a participé le même Neil Cross) s’éclatent outre-Manche. La plupart dans des formats resserrés et la plupart très noires. Finalement, les Anglais aiment les séries comme le café, sauf que pour les séries, c’est tout sauf dégueulasse.

5 commentaires

  1. Merci pour cet article, il est bien écrit et donne envie de découvrir la série.
    (En revanche, je proteste au nom des gens qui ont vu The Wire !)

  2. Une des meilleures séries que j’ai pu voir récemment…acteurs excellents, dialogues excellents…je regrette juste qu’il n’y ai eu que deux saisons…Je confirme, à voir absolument!

  3. C’est quoi cette intro à la con au sujet de The Wire? Y’a des gens qui ont vraiment vu et regardé cette série et qui la trouve vraiment géniale. Sinon, merci pour l’info sur Luther, on va se jeter dessus.

  4. Ruth Wilson a un visage des plus troublant, elle est magnétique et quand elle demande à Luther si il vient pour du sexe, avec cette salive visible dans sa bouche…aaaahhhhh…

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