Quoi ? Un énième papier sur une série vieille de 20 ans et même pas disponible sur Netflix ? Oui, mais ça parle d’autre chose. Et ça n’a presque même rien à voir avec le titre de cet article.

Il y a deux types d’écrivains. Et le terme s’entend dans son sens très cartésien d’individu qui écrit, ce qui fait d’à peu près nous tous des écrivains (car oui, un tweet ça compte). Si ça vous choque, n’oubliez jamais que la crise sanitaire a révélé que la France est peuplée par environ 67 millions d’experts en médecine et de chercheurs normaliens (moi qui pensais qu’on était tous DJ).
S’il y a deux types d’écrivains et qu’on est tous écrivains, il y a donc deux types de personnes : ceux qui ont le syndrome de la page blanche, tellement obsédés par la perfection que toutes leurs idées leur paraissent mauvaises… Sûrement le cas des Daft Punk, 4 albums studio parfaits en 28 ans de carrière, les mecs sont des compositeurs brillants ou des branleurs complets (à vrai dire, je penche plutôt pour les deux). Et puis il y a ceux qui ont le syndrome de Jul (que j’ai baptisé d’après l’idole des jeunes), écrivant tout ce qui leur passe par la tête, sans aucun filtre, recul ni pensée critique (il y aura quelques références à Descartes dans ce papier). C’est d’ailleurs le cas de l’écrasante majorité des gens, qui finissent tôt ou tard par s’entretuer sur Twitter sous des hashtags opposant zadistes à dropshippers dans des débats droite-gauche manichéens dignes du PMU de Rozière-sur-Mouzon.

Et puis il y a moi. Aussi bizarre que cela puisse paraître, je me surprends à contracter un peu des deux syndromes, et non pas par intermittence comme Kanye (I hate being bipolar its awesome), mais simultanément. Typiquement pour cet article, je me suis trituré l’esprit afin de dénicher un sujet intéressant à traiter, mais j’ai trouvé toutes mes élucubrations médiocres (syndrome de la page blanche). Je me suis donc questionné sur le syndrome de la page blanche, et j’ai décidé de vous en parler (syndrome de Jul) pour ne rien dire d’intéressant, si ce n’est que je méprise les dropshippers au moins autant que les zadistes. Si j’allais chez un psychiatre, c’est exactement comme ça que je lui raconterais ce qui se trame dans ma tête, et il en aurait sûrement rien à carrer.

Bien loin donc des entretiens passionnants entre le Dr. Melfi et Tony Soprano, où une psychiatre essaye de comprendre ce qui peut bien se passer dans la tête d’un père de famille qui serait tout à fait banal s’il n’était pas le boss de la mafia italienne du New Jersey. D’ailleurs, j’ai récemment appris que beaucoup de fans de la série passaient ces scènes de consultation, car elles n’apporteraient rien à l’intrigue. Bienvenue dans la génération Netflix, tellement addict aux cliffhangers qu’elle ne prend plus la peine d’apprécier le développement de certains sujets ou personnages quand ils ne font pas avancer l’intrigue principale. Ce sont les mêmes personnes qui ont le syndrome de Jul, pensant que toutes leurs pensées sont bonnes à partager (un hybris digne d’Hawking alors qu’ils sont caissiers chez O’Tacos et qu’on demande juste leur avis sur la sauce fromagère), caractérisées par la culture de l’immédiat : on veut tout et tout de suite. Lisez-vous encore cet article alors que je n’ai toujours pas parlé de la bande son des Soprano, comme promis dans le titre ? Prenez-vous le temps de savourer un nouvel album sur Spotify ou passez-vous immédiatement à autre chose car vous avez trouvé la première écoute très moyenne et que de toute manière il y a des centaines de nouveaux sons qui sortent chaque jour et que votre temps est trop précieux pour lui donner une seconde chance ? Temps précieux que vous n’hésitez pas à dilapider sur votre feed TikTok au lieu d’aller dire à votre grand-mère que vous l’aimez, puis quand le Covid-19 l’aura emportée là-haut (ou ailleurs), la culpabilité vous rongera et vous posterez une photo d’elle sur Instagram avec une caption mielleuse pour enfin gratter des likes et des reacts car soyons francs, tout le monde s’en branle de vos stories à la Possession en train de danser sur du Ben Clock et de vous shooter à la kétamine.

La vie de Tony tient dans le générique : famille, argent, religion, sexe, bouffe, vengeance.

Tout ça pour dire que j’ai longtemps été sceptique sur les Soprano car ils sont érigés par beaucoup comme la meilleure série de tous les temps, et comme j’ai des relents de vieux con misanthrope, le doute m’habite (il y aura aussi des références à Desproges). Force est de constater qu’une fois que j’ai terminé la série, je me suis (pour une fois) sagement rangé du côté du peuple : c’est bien la meilleure série de l’histoire. Sans vous déblayer la même chiasse que les critiques AlloCiné qui pètent plus haut que leur cul alors qu’ils ont un niveau de réflexion proche du néant, j’aimerais simplement vous parler de la musique (éclectique et c’est peu dire) utilisée dans la série. Car il s’agit sûrement de la meilleure curation musicale dans l’histoire de l’audiovisuel, que chaque son met en valeur une scène et que chaque scène le lui rend bien. Le réalisateur David Chase a sélectionné personnellement toutes les musiques, n’hésitant pas à consulter Steven Van Zandt (une encyclopédie musicale vivante) qui, en plus d’interpréter Silvio Dante dans la série, est le guitariste attitré de Bruce Springsteen. Ce qui a donné son lot de scènes légendaires, à commencer par le générique d’ouverture.

Générique assez simple en apparence, mais si on bullshit une analyse sémiotique peu scrupuleuse, on peut identifier tous les éléments clés de la série. On y voit Tony faire le trajet New York – New Jersey dans son opulente Cadillac. Pendant toute la séquence, on ne peut qu’entrevoir le bas de son visage masqué par des ombres ainsi que ses yeux dans le rétroviseur. Ce n’est qu’une fois garé devant chez lui qu’il se découvre complètement. Comme pour nous dire que son quotidien de mafieux est sombre et mystérieux, mais que sa famille représente un cocon de lumière protecteur et affectueux (j’ai vraiment écrit ça, beurk). Il est le seul à apparaître à l’écran, conduisant sa voiture là où il est le plus à l’aise, suggérant qu’il est celui qui dirige, qu’il a le contrôle sur sa vie et la mainmise sur son destin. Les plans sur ses bijoux en or soulignent sa richesse et son matérialisme. Aspect également mis en exergue par les gros plans sur son cigare, qui a sûrement une signification phallique, montrant son côté macho et la puissance sexuelle qu’il dégage tout au long de la série (c’est une référence à Freud là, cherchez plus bas pour la dernière référence à Descartes).

Je peux dire n’importe quoi pendant très longtemps encore : le plan de la banque reflète son besoin de mettre sa famille à l’abri, l’église cachée par des branches montre son côté religieux remis en cause par tous ses péchés, le cimetière évoque la mort omniprésente à chaque épisode, le boucher représente à la fois le meurtre et la passion de Tony pour la bouffe italienne (gabagool !). En bref, la vie de Tony tient dans ce générique : famille, argent, religion, sexe, bouffe, vengeance. Et tout ça sans qu’on ait encore parlé de la musique, Woke Up This Morning des Alabama 3, qui sublime et complète ce générique.

The 20 Best 'Sopranos' Musical Moments

Le son commence lentement et finit en trombe pour nous dire que c’est près de sa famille que l’âme de Tony vibre. Et il souligne quelques aspects que je n’ai pas encore vus dans les images, notamment l’humour, omniprésent dans la série. « Mama said you’d be the Chosen One », devient très drôle quand on découvre le rapport de Tony avec sa mère. « But you were born under a bad sign, With a blue moon in your eyes » dévoile le caractère immoral de Tony qui n’aime pas suivre les règles. La « lune bleue » indique que Tony est le loup alpha qui regarde toujours plus haut : chacun doit s’améliorer, quelle que soit la manière dont il le fait, même si certaines lois doivent être transgressées. La répétition de cette chanson au début de chaque épisode contribue à construire continuellement l’atmosphère générale de la série (« got yourself a gun »). Sans parler du son en lui-même qui se situe entre musique électronique et folk, entre modernité et tradition, entre New-York et Avellino, la ville natale des parents de Tony.

Ce qui est (de loin) le plus impressionnant, c’est que le générique m’a fait aimer ce son que je trouvais tout à fait banal avant. Tout comme la série m’a fait aimer des dizaines d’autres titres à qui je n’aurais jamais donné une seconde chance. Serais-je comme ceux que je déteste ? Est-ce que je me déteste moi-même comme Tony Soprano ? Car en réalité, il y aurait pas mal de scènes culte à décortiquer, et pour n’en citer que quelques : l’avènement de Junior sur Paparazzi d’Xzibit, une scène banale mais terriblement jouissive au Bada Bing sur Living On A Thin Line des Kinks, l’accident de Chris et Tony sur une version live de Comfortably Numb, ou encore -et bien évidemment- la scène finale sur Don’t Stop Believin’ de Journey. Après ça, j’aurais eu assez de matière pour vous expliquer pourquoi il s’agit de la meilleure bande son de l’histoire. Mais auriez-vous encore eu le temps de me lire ?

4 commentaires

    1. Commentaire plus censé et sain que les dix premieres lignes de l’article lui même,je suis pas allé plus loin,on a sa patience.

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