L’autre fois j’ai pris le RER. L’autre fois j’ai pris le RER donc. C’était un mardi après-midi d’aout comme un autre, en banlieue. Les gens, globalement, étaient moches (c’était l’été) ; quelque part entre Massy-Palaiseau et Gentilly (pour les connaisseurs). Jusque là, rien de très anormal dans le monde réel. Quand soudain. Elles étaient deux, se baladaient sur le quai comme deux bonbons trop longtemps restés au soleil, agglutinées, avec leurs T-Shirts roses confectionnés par de petites mains chinoises à l’autre bout du monde. Une inscription dessus, venait gâcher le tableau : INFLUENCEURS.
Elles arboraient donc fièrement ce mal du siècle de la même manière qu’on se revendiquait jadis socialement à travers une marque (Apple, Nike, Carhartt, ce que vous voulez). Elles étaient belles, dans la moyenne acceptable disons, et l’essentiel n’était même pas vraiment là. Ce qui comptait, ce qui disait ce signal faible, c’était que l’un des termes les plus galvaudés de ces dernières années avait donc atteint son pic jusqu’à devenir un paradigme inconscient (c’est bien sa définition du reste) : oui, c’était « cool » d’être « influenceurs » dans un monde où l’on met désormais des guillemets partout pour s’excuser de ne pas pouvoir faire mieux, de ne pas être plus ; bref : de n’être qu’un vaporisateur de tendances. Un influenceur donc.
La beauté du vide
« Pour accroître l’attention sur vos contenus ou maximiser la visibilité de votre entreprise et de votre offre, les influenceurs présents sur les réseaux sociaux sont un atout inégligeable à l’heure actuelle ».
Ca, c’est une définition tirée du premier site à la con qui me soit venu entre les doigts, et elle résume bien la domination actuelle de ces porte-manteaux qui se rêvaient chaussures. Appliqué à la musique – parce qu’il existe désormais un influenceur pour chaque profession – cette définition permet de mesurer le lent glissement des leaders d’opinion au second plan, au profit des donneurs d’avis (des « Yelpers » comme le soulignait South Park dans un épisode jubilatoire). On ne va pas forcément s’en émouvoir : la presse écrite culturelle n’ayant, globalement, plus rien à dire ni quoi que ce soit à exprimer, revendiquer, elle a donc été remplacée, comme ces vieilles professions sans avenir, par un robot. Lui n’a pas d’âme, aucune conscience, il ne connaît que la vérité algorithmique ; celle qui lui permet, post après post, snap après snap, d’écraser de toute sa lourdeur mathématique tout ce qui l’a précédé. Le mal étant devenu l’ennemi du pire, l’histoire de l’influenceur est donc celle d’un enfant médiocre dont la victoire tiendrait au fait qu’il a simplement parlé plus souvent, et plus fort, que les autres. Difficile, par exemple, de lire ce top des 100 comptes Twitter à suivre dans la musique autrement qu’avec cette grille de lecture.
Bon, comme on n’a, a priori, rien contre les natures mortes, on ne va non plus leur reprocher de vouloir exister sans rien faire. On est tous passé par là. Tout le monde, au moins une fois au collège, a voulu faire le beau dans la cour avec sa paire de New Balance flambants neuves.
Petite sympathie pour le diable
« S’il vous plait permettez-moi de me présenter. Je suis un homme de goût et fortuné .Je suis là depuis de longues longues années Et j’ai volé à beaucoup d’hommes leur âme et leur foi… je suis, je suis… allez, soyez sympas, essayez de deviner mon nom quoi ». Vous connaissez la chanson. Non, vous ne voyez pas ? Dans l’histoire, il s’est pourtant appelé de différentes manières. Il a d’abord été simple journaliste culturel, puis crise économique et pénurie de l’emploi aidants, il s’est transformé en chroniqueur lifestyle (90’s), bloggeur (2000’s), prescripteur (2010’s) et finalement, dans sa dernière évolution Pokemon, influenceur.
Comme dans une course, c’est le dernier tour. On sait déjà qu’il ne franchira pas la ligne d’arrivée ; mais en attendant, il bloque tout le monde. Que vous trainiez dans les release party (quoi de pire, franchement), dans les concerts ou dans les soirées importantes (celles où il faut être sur liste pour attendre de rentrer), vous l’avez déjà rencontré. On le (ou là) remarque au fait qu’il ne sert à rien, qu’il est entouré de « décideurs » lui parlant comme s’il était une série de chiffres sur un chèque, que son stylo à lui, c’est un smartphone et que globalement, il s’avère aussi utile qu’un album de Vianney en cas de guerre atomique ou qu’un pull en laine en plein désert. Ca ne l’empêche pas, tous les ans, de faire illusion. Ni de se faire recruter (true story) dans la société du divertissement grâce à un nombre d’abonnés suffisamment important pour peser dans le game (comme on dit). Sauf que dans ce jeu là, tout le monde a oublié les règles.
Quel est son secret ?
Le premier : dans une société dévalorisée où tout a désormais la même importance (le dernier album d’Arcade Fire = l’exode des réfugiés syriens), lui tire profit d’une formidable abstraction. Des textes abscons comme celui que vous êtes en train de lire, où d’autres où il serait question de ce que dit le retour de LCD Soundsystem sur le mental des fans perdus dans une post-nostalgie éternelle, lui les remplace par une seule ligne. C’est vrai que c’est plus rapide en fait. Plus efficace aussi. Après tout, tout est question de filtres désormais ; un bon mot, à la rigueur, voire, pour les plus exigeants, une adéquation entre le bon GIF et la bonne catchphrase. Ne rigolez pas, c’est un art. Alors que vous vous êtes encore à vous rêver futur Bukowski, eux ont déjà inventé un nouveau langage. Ne cherchez pas à les combattre ils gagneront toujours. Ils ont les chiffes pour eux. Vous faites parti du passé ; eux sont dans le turfu. Et comme l’avenir, il n’y en a plus ; ça fait un beau boulevard.
Le second : un rôle définit par le nom même. L’influenceur influence ; il n’a pas besoin de faire pour exister, mais simplement d’être pour s’imposer. Suivant ce principe, il embaumerait, à la manière d’un parfum, et sa simple présence suffirait à justifier les millions de kiloeuros que l’industrie du divertissement engloutit chaque année en misant comme au turf sur ces petites têtes sans bras. Pénalement, c’est ce qu’on appelle un trafic d’influences. Socialement, c’est une tendance. Economiquement, une aberration.
Argent trop cher
Séquence le saviez-vous : en première place des Instagrameurs les plus riches, Selena Gomez avec 550.000 dollars par post, suivie par Kim Kardashian avec un modeste 500.000 dollars le post. Mais qu’on ne s’y trompe pas (ou plus), cette économie du vide n’est pas sans fin. Les « Millenials », très gourmands de ces avis instantanés, n’achètent plus rien (c’est vulgaire d’acheter on t’a dit putain) ; les influenceurs, eux, ne permettent pas de transformer commercialement les investissements. En France, à peine une quinzaine de personnes vivent de cette étrange activité consistant à ne rien faire si ce n’est relayer des posts sponsorisés grassement par les marques. C’est déjà quinze de trop, nous sommes bien d’accord ; mais la tragédie, la véritable, est finalement ailleurs. Pas dans le fait que deux post-adolescentes se trimballent sur un quai de gare de banlieue avec des T-Shirts vantant une profession qui n’existe pas, mais dans le fait que les médias eux-mêmes copient ceux qui les ont pourtant tué. Séquence le saviez-vous #2 : des médias musicaux français – et pas des moindres – exigent désormais d’être rémunérés par des labels – et pas des moindres non plus – entre 200 et 1000 € pour la publication de news qui, elles aussi, ont tout du trafic d’influences. Mème causes, mêmes effets. Même destin.
La morale de cette histoire ? Il n’y en a pas. Bienvenue dans l’époque. Peut-être un jour en aura-t-on marre de ne plus rien se dire; peut-être cette bulle à la fois fainéante et spéculative sera percée par une plume ; et le public se fatiguera de ne plus digérer que des synthèses de synthèse par des professional branlitos sans autre fondement que leur postérieur. Ou pas. La seule chose qui me rassure, c’est que même s’ils portaient les plus belles Nike dans la cour de récré, tous les médiocres de mon collège ont fini par devenir chauffeurs de bus ou profs de sport dans une ZEP pourrie.
7 commentaires
L’article etait ie
Article sympa, dommage que ca finisse sur du bon gros mépris de classe dont le cynisme n’a rien a envier aux branlos dégommés juste avant. Ça nique un peu la teneur du propos, faisant passer la chronique critique en jappement frustré suitant l’autosatisfaction.
Tout ça pour justifier le fait d’avoir invité la jeune post-ado à une séance photo.
bah y a pas de honte à être chauffeurs de bus ou profs de sports en ZEP pourrie (sic). Traders, banquiers, commercial, éditorialistes…voilà des métiers sur lesquels il faut chier
cherche Bank$ky, trouvez futura, grave!
Un pull de laine dans un désert la nuit ça peut servir
Article intéressant mais incomplet.
Si vous parlez des « influenceurs » (putain qu’il est moche ce mot!) il faut aussi parlé des « influencés ».
Pour paraphrasé Mr de La Fontaine: « Tout influenceur vit au dépend de celui qui l’écoute ».