Avant de remettre de l’ordre dans mon sac, y fourrer mes chaussettes sales et mettre les clés de l’appartement dans lequel j’étais logé dans la boîte aux lettres, j’avais pas eu, disons, un réveil facile. Appelons ça une légère gueule de bois couplée à la fin de la crève que j’avais chopé en arrivant à Toulouse. Pour être plus précis, c’était l’impression que l’avion qui devait me ramener des Siestes Électroniques jusque Bruxelles décollait du côté gauche de mon crâne pour aller s’écraser à l’autre extrémité.
Je fini pas descendre les escaliers sans avoir pris soin de percer les cloques que je m’étais faites la veille, souvenir d’un aller-retour en plimsolls à l’autre bout de la ville en écoutant le NoSummer4U de oOoOO. « Take me, take me to the party, summertime summertime… ».
Y’avait pas grand-chose à faire le samedi soir du festival, qui avait commencé ce jour-là avec Sami Sänpäkkilä, un finlandais qui doit plus souvent jouer ses titres, que je situe entre Discreet Music de Brian Eno et Ryoji Ikeda, dans des galeries que dans des clubs. La journée s’était terminée peu après 22h avec le dj set de Rebolledo au milieu des plantes. J’étais plutôt sceptique, mais heureusement la totalité du set penchait plus vers sa participation aux Zombielecious Remixes que cette horreur de Guerrero, un titre à vous couper définitivement l’envie de partir un jour en vacances en Amérique du Sud pour bouffer du peyotl. « C’est le principe des Siestes, on propose et aux gens de choisir ce qu’ils ont envie de faire », me rappelait Samuel Aubert du festival qui prenait toujours cinq minutes pour venir voir si tout allait bien. La plus grande chance du festival ce jour-là, c’était d’avoir eu plus de beau temps que le Rio Loco la semaine d’avant au même endroit où ce pauvre zulu dancer de Johnny Clegg a fait un bide. Et quelque part, c’était tant mieux, c’était une bonne après-midi.
Pour revenir à mon histoire de cloques, peu avant que Rebolledo ne monte sur scène, on m’avait glissé un flyer pour une soirée avec les types du shop de fringues Rice&Beans en after-fête des Siestes. C’était à l’Elektro, que je pensais être un club mais qui s’est révélé être un bar avec un dancefloor de 15m2. Je m’y était rendu à pieds pour visiter la ville autrement qu’en plein soleil et en suant pire que l’intolérable. Et c’était pas brillant brillant, n’ayant aucune idée de la direction à prendre. Il devait être 1h et quelques du matin, et je me persuadais qu’en arrivant la soirée serait à son zénith.
J’avais d’abord emprunté la rue qui mène directement au centre de la ville en passant par le point Neuf, assuré dans ma direction par une fille maquillée un peu vulgos dont le petit ami (où le petit frère, allez savoir…) était en train de vomir dans l’entrée d’un immeuble à quelques pas de là où je demandai mon chemin. Quelques minutes plus tard, j’hésitais comme rattrapé par les souvenirs d’enfance à la campagne à rentrer dans ce bar, le Filochard où une masse de monde était en terrasse pendant qu’à l’intérieur un groupe de ska festif s’époumonait avec panache. J’avais continué droit devant.
Un peu perdu arrivé au carrefour d’un grand boulevard, j’avais bêtement perdu mon temps à demander mon chemin aux putes qui ne parlaient que très peu français. J’avais encore en tête le bruit de leurs smacks dégoulinant de rouge à lèvres cheap, leur manière à elles de me souhaiter bonne chance dans ma quête, sans doute. J’étais allé trop loin, rue Saint Paul, et longeais alors les clubs de salsa par-dessus les voies ferrées et les clochards s’abritant sous des bâches plastiques pour revenir sur mes pas et trouver le 27 boulevard de la Gare, l’Elektro. Il était 2h30, sept personnes sur la piste, un sosie d’Ali G faisant mine de mixer sur une table et quelques autres qui traînaient là. J’avais commandé un verre, l’avais bu en trois gorgées et était reparti en sens inverse. De toute manière, le gros truc du festival c’était la veille, le vendredi avec la soirée pour les dix ans de Tigersushi.
En levant les yeux devant le premier bâtiment de la Cartoucherie, on pouvait lire « Centre Electronique de Toulouse ». Et c’est un peu plus loin seulement qu’avait eu lieu la Tigersushi Rave Party, dans une salle énorme de l’ancienne fabrique militaire vouée à être prochainement rasée contre une zone verte. Quand Joakim arriva, on entendit au loin une fanfare et les avions au-dessus de nos têtes qui se préparent à l’atterrissage. Nous étions alors dehors, il faisait encore chaud mais déjà sombre. « Ce qu’on a toujours défendu et qui continue de nous animer, c’est une démarche plus qu’un résultat avec des objectifs pour lesquels on est pas très bon. J’ai encore plus le sentiment qu’avant qu’il est important de défendre une certaine idée de la musique, y’a souvent l’idée qu’avec internet un artiste peut faire sa carrière dans son coin alors que c’est pas le cas. Les artistes ont encore plus besoin des labels pour émerger de cette masse de musique. D’où l’importance de l’image pour un label et de son intégrité ».
Qu’il me parle compta ou anniversaire, Joakim me racontait surtout l’histoire d’une longueur d’avance pour ce label qui avait réussi à s’imposer comme le DFA français, en moins tendu: « Avec le site, on est pas du tout allé au bout de ce qu’on voulait faire, tout simplement on avait pas les moyens de nos ambitions. Le but c’était déjà en 2000 de faire un Deezer pointu, mais on en était qu’au début avec l’arrivée de Myspace et ses millions avec lesquels on pouvait pas rivaliser. On est arrivé cinq ans trop tôt ». Idem lorsqu’il ressort Cluster des cartons avec Hollywood pour la première sortie du label : « Y’avait pas grand-chose à l’époque, Souljazz, Strut qui faisait de la réédition, c’était vraiment pas grand-chose. On se disait pas du tout en 2002 que le krautrock était branché, c’est un des premiers morceau que j’ai découvert. C’est hallucinant que ce titre des années 70 sonne plus moderne que ce qui sortait à ce moment. Les compils More G.D.M c’était à l’intuition et c’est pour ça que le krautrock côtoie la disco française. Après Roedelius nous contactait souvent pour dire ‘je fais ceci cela‘, il nous envoyait des trucs assez nazes en fait ». Cet été, il produira le nouvel album de Zombie Zombie après avoir enregistré avec eux un maxi de reprises de Carpenter « pour se faire la main avant d’enregistrer l’album, parce que c’est ça le vrai truc ». Mais pour le moment, il était temps de rentrer pour rejoindre la scène, et Joakim donnait pour finir le ton de la soirée dans ses chaussures turquoises: « Le jour où on nous confond avec SexySushi, putain j’crois qu’on changera de nom ! »
Entrée dans la salle. Quelques dizaines de personnes se trémoussaient déjà dans la poussière de l’usine désaffectée et commençaient timidement à lever les bras. Trente minutes plus tard je jetais un coup par-dessus l’épaule et constatais que la moitié de la salle était remplie. Il devait être à peu près minuit, DyE, Jackson, Krikor et Joakim se passaient le relais et distribuaient les basses en même temps qu’ils alimentaient leur twitter. Je ne sais pas trop ce que ça pouvait représenter en quantité, sauf qu’à la fin plus du double de ce qu’espérait le festival s’était déplacé. Genre 1500 personnes ? 2500 ? Certains, coincés à l’entrée trouvaient dans les failles du bâtiment une porte d’entrée officieuse pour participer à la soirée, et quelques souris se glissaient à l’intérieur quand d’autres se faisaient rattraper par les videurs.
A partir de 4h, et parce que gavé de café l’après-midi, avec ma crève et l’alcool, le reste est aujourd’hui plutôt flou. Mon état oscillait mollement entre coup de chaud en dansant devant les enceintes et traîner ici et là. En commandant un verre avant d’aller aux toilettes, je croisais une fille dont la pâleur de la peau contrastait avec son rouge à lèvres. Superbe alors que dehors je retrouvais un couple à moitié en train de copuler debout en sandales. Plus un type qui n’avait pas dû avoir le début de soirée le plus évident, partagé entre le repos en position fœtus dans l’herbe et l’envie de retourner à l’intérieur plutôt que rester près des caravanes/toilettes pour filles. J’allais y retourner quand un type me proposa de la MDMA en louchant le dos courbé, et n’étant pas sûr de m’en servir pour me déboucher le nez, je déclinai l’invitation, retournai à l’intérieur et me faufilai pour un moment à l’intérieur de la foule, compacte.
A 7h, j’étais en train de tituber à moitié quand une organisatrice me récupéra sur la route en voiture pour me déposer à quelques minutes de mon logement. J’écoutais encore NoSummer4U de oOoOO en gardant en tête la dernière image du festival : partout sous la poussière, des gobelets et bouteilles en plastique écrasés sous les sneakers des festivaliers. « Take me, take me to the party, summertime summertime… ». Quelqu’un a un tip pour bronzer la nuit ?
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Crédits photos: Pauline Hisbacq