Deviation Records vient de rééditer sous la forme d’un joli coffret ces deux derniers albums des Dogs de Rouen qui annonçaient à la fin des années 90 ce qui aurait pu être un renouveau pour le groupe de Dominique Laboubée. Le destin en décidera autrement. Afin de revenir en détails sur cet épisode, je suis allé à la rencontre d’un des artisans de cette dernière phase des Dogs, Laurent Ciron, chez lui en région parisienne.
« Les voisins viennent de me dire qu’ils avaient vu quelqu’un de louche traîner dans la rue et s’arrêter devant la maison, je suppose que c’est vous ! Je suis vraiment désolé ! ». La mère de Laurent Ciron vient de rentrer dans le salon-cuisine de la maison de son fils. Le type louche, c’est moi, alors que je cherchais l’adresse de notre entrevue. Un soleil pâle brille dans le ciel de Saint-Ouen où Laurent Ciron m’accueille chez lui. A côté de l’espace cuisine trône tout le nécessaire pour des répétitions d’un groupe de rock. Je suis bien au bon endroit. Le guitariste m’accueille avec gentillesse et entrain. Il a le visage plus rond qu’à l’époque des Dogs, mais il a toujours ses cheveux longs et frisés et ses traits doux et bienveillants reconnaissables entre tous.
Un jeune homme élégant de Rouen
L’histoire des Dogs a très souvent été attachée à la scène punk française de la seconde moitié des années 1970, mais leur destinée remontait à bien avant. Les Dogs sont des pionniers d’une certaine forme de rock français chantée en anglais, et destinée à se mettre au niveau de la concurrence anglo-saxonne, à l’instar de Little Bob Story, les voisins du Havre qui joueront davantage en Grande-Bretagne qu’en France.
Dominique Laboubée est un jeune homme grandissant dans une vieille maison bourgeoise de Mont-Saint-Aignan. La famille Laboubée fut un temps plutôt aisée, mais ce confort s’est un peu effrité avec le temps. Subsisteront des souvenirs, et une certaine éducation qui va donner à Dominique ses manières de gentleman qui contrasteront toujours avec la rage crue de sa musique. La proximité de la Normandie avec la Grande-Bretagne lui permet de se procurer des albums pointus en termes de rock’n’roll anglo-saxon : Flamin’ Groovies, Them, Who, Velvet Underground, Rolling Stones, Pretty Things… Il sera aidé dans cette quête par un certain Lionel Herrmani, patron du magasin de disques rouennais Mélodies Massacre, de dix ans son aîné.
Dominique Laboubée fonde les Dogs en 1973. Michel « Mimi » Gross en est le batteur et le co-fondateur. Les deux garçons étaient des amis d’enfance, la rencontre se faisant au Club Mickey de Saint-Vaast-La-Hougue dans le Cotentin vers huit-neuf ans. Paul Péchenart deviendra le second guitariste et François Camuzeaux, alias Zox, en sera le bassiste. Le groupe joue des reprises, mais aussi quelques premiers morceaux originaux. Ils répètent dans la cave de la maison familiale, sans aucune entrave des parents de Dominique, qui laissent leur fils s’exprimer artistiquement, sans savoir que le rock sera sa vie.
Les Dogs joueront rapidement leurs premiers concerts sur la côte normande, dans des MJCs et des casinos. Ils participent au tremplin du Golf Drouot à Paris en 1974, et s’y font une réputation de groupe turbulent et bruyant alors que la scène rock française est toujours largement dans l’esprit du rock progressif. Philippe Manoeuvre leur tresse leurs premiers lauriers dans Rock & Folk, magazine qu’il vient d’intégrer, et débute avec ces lignes le statut de groupe culte des Dogs, au milieu d’un article sur le hard-rock de Black Sabbath, Mountain et Led Zeppelin.
Deux ans plus tard, Zox et Péchenart s’en vont. Dominique et Mimi recrutent un camarade de lycée, Hughes Urvoy de Portzamparc, à la basse. Rappelons qu’ils ont formé Dogs à l’âge de quinze ans, et ils sont donc toujours scolarisés, consacrant l’essentiel de leurs vacances et de leur temps libre en répétition et en concerts. Hughes est lui aussi un jeune homme élégant, à l’allure plutôt bourgeoise comme le signale son patronyme. Pourtant, il semble se transformer en une sorte de teigne à la moue agressive, les dents serrées, lorsqu’il se met à jouer de la basse. Jean-Yves Garin rejoint les Dogs à la seconde guitare grâce aux rencontres à la boutique Mélodies Massacre. Il restera jusqu’en 1978, avant de partir, manquant de temps pour s’investir.
C’est grâce à Lionel Herrmani que les Dogs enregistrent enfin leurs premiers disques, un trois titres en 1977 et un cinq titres en juin 1978. La chanson Nineteen est tellement efficace que le label anglais Beggars Banquet l’intègre à sa compilation « Streets », une jolie reconnaissance de la part des British pour ce groupe de français. Tout est enregistré dans la cave d’Herrmani, avec un quatre pistes, mais l’énergie surpasse le côté rudimentaire de la captation. Skydog, le label de Marc Zermati, l’homme pivot de la scène punk française, intègre un de leurs titres sur sa compilation « Skydog Commando » en 1978. Puis les choses sérieuses débutent avec la signature d’un vrai contrat discographique chez Philips.
Un groupe impossible à classer
Les Dogs ne seront ni punk, ni hard-rock, ni heavy-metal, ni pop. La complexité des influences musicales de Dominique Laboubée rend son écriture érudite impossible à mettre dans une case précise. Il sèmera d’ailleurs régulièrement le trouble chez ses propres fans en remettant régulièrement en question son approche du rock. Bien sûr, il conservera une ligne conductrice en quatre mots : nervosité, élégance, mélodie, puissance. Le chant de Laboubée est en soi un élément de personnalité : son timbre est un peu traînant, son accent anglais est teinté de ce petit côté français classieux. Dominique conservera une coupe de cheveux mi-longue inspirée des Beatles et des Pretty Things, et ses gestes scéniques auront toujours ce fond de dédain et de provocation typiquement anglais hérité des années 1960, entre retenue et rage.
Le premier album nommé « Different » sort en 1979 et impose avec brio toutes les nuances du son Dogs : la richesse des mélodies anglaises et américaines des années 1960, une nervosité rythmique héritée du MC5 et des Stooges qui doit beaucoup à Mimi et Portzamparc, et un feu unique qui brûle dans la musique des Dogs, difficile à cerner. Il est alimenté par une subtilité musicale qui conjugue des choses qui semblaient impossible à réunir : Velvet Underground, MC5, Pretty Things, Rolling Stones, Beatles, Kinks… L’album bénéficie d’un vrai soutien de la part de la presse musicale, et les Dogs jouent même en direct dans l’émission Chorus d’Antoine De Caunes.
Dominique Laboubée va continuellement déstabiliser ses fans. Groupe au départ considéré comme punk de par ses premiers enregistrements « Do It Yourself », le premier album dévoile une facette plus sixties élégante. Le second album, « Walking Shadows » de 1980, sera bruyant, influencé par des groupes de la New Wave anglaise comme Joy Division, Wire ou The Cure. « Walking Shadows » perturbe de par son côté nocturne et sale. Certaines chansons datant de plusieurs années sont réarrangées, comme Algomania, qui eut droit à une version filmé brute dans le film « La Brune Et Moi » de Philippe Puicouyoul en 1979. Algomania est un des pinacles de l’écriture de Dominique Laboubée et une parfaite quintessence du son Dogs.
Fort de ce second disque puissant, les Dogs sont courtisés par des majors qui voient en eux de futurs Stranglers ou Clash. Ils quittent Philips pour Epic/CBS, un label international. Pour eux ils vont enregistrer quatre albums majeurs, dont les fabuleux « Too Much Class For The Neighbourhood » en 1982 produit par Tony Platt, l’homme derrière AC/DC, et « Shout ! » en 1985. Antoine Massy-Perrier, alias Tony Truant, a pris la seconde guitare. Les Dogs ont une fois encore bifurqué vers une sonorité plus rockabilly et twist, malgré la présence du spécialiste du hard-rock Platt à la console. Les Dogs continuent sur leur lancée, et gagnent leurs fans concert après concert. Car ils sont une véritable machine de scène virtuose, saisissant à la gorge le public avec leurs prestations d’à peine plus d’une heure sans aucun temps mort.
La désillusion et l’homme providentiel
Malgré quatre très bons albums entre 1982 et 1986, les Dogs n’ont pas réussi à s’imposer, dépassés par le succès des Alain Bashung, Etienne Daho et Rita Mitsouko. C’est le retour des vaches maigres, avec « A Million Ways Of Killing Time » publié sur le minuscule label Mix-It en 1989, et « Three Is A Crowd » en 1993 sur le label Skydog de Zermati. Les musiciens qui ont assuré la charpente des Dogs durant toutes ces années partent les uns après les autres, cherchant tous un peu de stabilité financière et sociale. Hughes De Portzamparc s’en va en 1987, Mimi en 1989, et Tony Truant en 1992.
En 1996, les Dogs sont un trio : Dominique à la guitare et au chant, Christian Rosset à la basse et Bruno Lefaivre à la batterie, arrivés respectivement en 1987 et 1989 . Ils seront l’ultime section rythmique des Dogs qui continuent de jouer en concert, d’exister, mais le trio peine à sortir un nouveau disque après « Three Is A Crowd ». Ils répètent à trois dans la cave de la maison familiale de Mont-Saint-Aignan, espérant enregistrer.
De son côté, Laurent Ciron grandit du côté de Saint-Etienne dans les années 1970-1980. La ville est encore intensément industrielle, et la famille Ciron est issue de ces milieux prolétaires forgés sur les chaînes de production voisines de la région lyonnaise :
« Mon père était fan de rock, il y avait une guitare qui traînait à la maison. Un jour en vacances, mes parents m’achète un petit magnéto cassette, et je me mets à enregistrer les émissions de rock qui passent à la télé, comme Chorus avec Antoine De Caunes. Je me souviens du passage des Stray Cats. Et puis, le grand frère d’un copain de classe, qui venait d’avoir une chaîne hifi, me propose de me faire des cassettes. La première qu’il me donne, il y l’album « Jazz » de Queen, et « Different » des Dogs. Elle va tourner en boucle, et je grandis avec les Dogs. J’achète chaque album à sa sortie. En fait, quelque part, j’ai toujours joué avec les Dogs, car dès que j’ai commencé à jouer de la guitare, il y avait des retranscriptions de leurs morceaux. »
Ciron n’est pourtant pas, à la base, un musicien professionnel. C’est un technicien audiovisuel capable de filmer et de réaliser des montages. Après tout, c’est alors encore l’ascenseur social grâce à des associations et des antennes locales de la télévision publique comme FR3. Laurent Ciron gagne sa vie ainsi, créant des reportages, assurant la couverture d’évènements sportifs ou médiatiques. Il deviendra journaliste professionnel pour la télévision publique, mais ne perdra jamais de vue l’envie de faire du rock comme musicien professionnel. Et les Dogs sont toujours là. En octobre 1995, internet n’existe toujours pas, et la presse télévisée, radiophonique et écrite ont toujours un statut de monopole médiatique. Laurent Ciron traverse une période de doute existentielle :
« Je m’étais installé à Paris après avoir fini mon école de musique à Nancy. Je traverse alors une période de moins bien, j’ai des problèmes au boulot, une histoire qui se finit avec une copine. Je ne me sens pas très bien dans ma peau. Un jour, je m’arrête dans une station-service sur l’autoroute, et je déambule dans les rayons de la boutique, à la recherche d’un peu de lecture. Je m’attarde dans les bouquins en solde, et je tombe sur ce livre : « Le Tour du Monde En Vélo ».Pourquoi j’achète ce livre, je ne sais pas. Ca ne me ressemble absolument pas. Et puis le soir chez moi, je n’arrive pas à dormir, et je me mets à le lire. Je vais le terminer dans la nuit. C’est l’histoire de deux personnes, un couple, qui décident d’acheter deux vélos pour se balader le week-end. Et puis ils adorent ça, alors ils commencent à partir quinze jours en vacances, et puis un mois, puis six mois… et enfin ils reviendront au bout de quatorze ans. Ce livre raconte leur aventure, et surtout d’où elle vient. Le leitmotiv, c’est : et pourquoi pas ? Là, je ferme le bouquin vers huit heure du matin, et je décide d’écrire trois trucs importants pour moi que je veux faire dans la vie, et le premier c’est : jouer avec les Dogs. »
Le lendemain matin, il se lance : il appelle les renseignements, et demande M. Dominique Laboubée à Rouen. On lui propose une Mme Jeannine Laboubée à Mont-Saint-Aignan, dans le même secteur. Il accepte l’appel, et tombe sur la mère de Dominique :
« Au culot, je lui demande si il est possible de parler à Dominique. Et là elle me répond de ne pas bouger, elle va le chercher, il est dans la cave. Au bout de trois minutes, il prend le combiné. Là, je lui explique que je suis fan des Dogs, qu’on s’est croisé à quelques reprises en concerts. Je sais qu’ils jouent à trois, et je voulais savoir si il n’avait pas dans l’idée de prendre un second guitariste. Et là, Dominique me répond que justement, lors des répétitions de la veille, il avait dit aux autres que ça serait peut-être pas mal de prendre un autre guitariste ! Et là on se met à discuter trois, quatre heures, comme si on se connaissait depuis toujours. »
Dominique vient participer à un hommage à John Lennon au Gibus deux semaines plus tard. Laboubée et Laurent se croisent, ils passent la soirée ensemble et il l’invite à une audition à Mont-Saint-Aignan. Ciron répète la totalité du répertoire des Dogs par coeur. La répétition se termine, et l’heure du train de Laurent approche. Tout le monde redescend sur Rouen, on boit une bière ensemble au Bar De La Banque, puis Dominique lui dit simplement : « Bon, on s’appelle… à la semaine prochaine. » Laurent Ciron est désormais un Dogs.
Le renouveau des Dogs
L’arrivée de Laurent Ciron va injecter de l’énergie et de l’enthousiasme dans un groupe alors un peu perdu et clairement en perte de vitesse. Les Dogs sont d’ailleurs un peu une anomalie pour ne pas encore avoir jeté l’éponge face à l’adversité. Dominique Laboubée s’accroche avec ferveur à son groupe qui est toute sa vie, vivant chaque succès et chaque échec comme étant de sa propre chair. Ce second guitariste plein d’entrain ravive la plume de Laboubée, dont les nouvelles compositions commencent à émerger en nombre. Ciron l’aide à peaufiner les arrangements et les solos. Si Christian Rosset et Bruno Lefaivre s’entendent régulièrement comme chien et chat dans les coulisses des concerts, ils assurent un travail solide de rythmique qui donne de la hargne aux nouvelles mélodies.
« Dominique est alors dans un statut d’intermittent du spectacle au RMI. Il avait décidé de se consacrer corps et âme à sa musique. Pour cela, il était capable de tout. Mais se projeter dans le monde du travail pour vivre, en séparant sa passion et l’alimentaire, c’était impossible. La quantité d’argent généré par les Dogs était de moins en moins importante. Il s’était fait beaucoup arnaquer, notamment par les tourneurs. Des trucs comme ça, ça avait l’art de casser les pattes à Dominique. Et puis, il venait de se séparer de sa dernière compagne, et il était retourné vivre chez sa mère, d’où les répétitions à Mont-Saint-Aignan. L’opinion qu’il avait de lui-même, c’était pas la joie. C’était un peu mon rôle d’apporter de la bonne humeur dans ce contexte difficile. La confiance a toujours été réciproque. Il n’y a jamais eu de problème d’ego. L’histoire qui me revient toujours, c’est quand il fallait faire un solo de guitare. Systématiquement, Dominique me disait de le faire, et moi je lui répondais que non, ce solo, c’était plus dans son style, et ça n’en finissait pas, aha. C’était l’inverse du leader égocentré. »
Alors que le travail avance, il convient de penser à trouver une maison de disques. La première piste sera Zermati et Skydog. Puis Patrick Mathé et New Rose sont une autre hypothèse :
« Tous les deux nous ont fait sensiblement la même réponse : les Dogs, ça vendra pas, c’est pas intéressant, le groupe est mort. Etant donné que j’avais la confiance de Dominique, Christian et Bruno, j’ai fait jouer mon réseau, en l’occurrence : Jean Gamet. »
Lorsque le groupe dîne avec ce dernier sur Lyon, Dominique Laboubée est agréablement surpris par la bonhomie du personnage, mais qui est aussi et surtout emballé par les nouvelles chansons des Dogs. Tout est déjà prêt dans sa tête : il a le studio, l’Hacienda, et il n’y a plus qu’à se mettre au travail :
« Dominique avait plein de doutes. Qu’allait faire ce producteur ? Les Dogs, c’était fini. Il ne pourrait pas faire mieux que les autres. J’ai insisté, et on l’a finalement rencontré. C’était l’anti-thèse de Dominique. Lui était assez pessimiste, délicat, élégant. Jean était un lyonnais, bon vivant. On se retrouve donc dans un restaurant à Paris, et la première chose qu’il dit à Dominique : « bon, on se met à table, qu’est-ce qu’on mange ? » Il prend sa serviette, il la colle en plastron dans sa chemise, et il dit : « bon, on commande à manger, et après on discute ! ». Il nous propose un contrat, et il a déjà tout dans la tête. A la sortie, Dominique me fait comprendre à sa manière que ce mec est fou ! Bon, il y a eu un peu de méfiance de Christian et Bruno au départ. Quoi, le petit jeune, il nous a déjà trouvé un contrat ? Mais c’était concret. »
4 Of A Kind
Le rêve des Dogs, c’est de sortir un double album dans la lignée du Double Blanc des Beatles ou de « Exile On Main Street » des Rolling Stones. Mais le label Night & Day calme leurs ardeurs. Vu le statut des Dogs, il vaudrait mieux publier l’album en deux volumes distincts. Cela permettra également d’occuper le terrain médiatique à plus long terme avec deux publications successives au lieu d’une.
« Les Dogs ne se sont jamais séparés, ils ont toujours existé. Simplement, le business n’a pas toujours été florissant pour le groupe. Peut-être que mon arrivée a mis des repères pour le futur. Il avait des doutes au début, parce que les Dogs avaient eu des périodes difficiles. Et en France, quand tu as un genou à terre, on a plutôt tendance à te tirer une balle dans la nuque. Et tu as toujours ce truc dans un groupe qui dure : c’était mieux avant. Mais petit à petit, les gens finissaient par se dire que franchement, on était en forme et progressivement, on a réussi à s’imposer de nouveau, même si une partie de ce petit monde a continué à nous tourner le dos parce que ce n’était plus comme avant. »
Deux albums essentiels enfin réunis
« 4 Of A Kind Vol.1 » sort en 1998 sur le label Night & Day. C’est le premier album des Dogs depuis cinq ans. Si le travail de scène a réussi à raviver l’intérêt des Dogs parmi le public rock, les médias musicaux les avaient largement enterré. Lorsque claque dans les tweeters Dreadful Times, il est évident que les Dogs sont bien de retour à leur tout meilleur niveau. Le son est organique, riche de ses deux guitares qui se marient à la perfection. On y retrouve le chant élégant et nerveux de Dominique Laboubée avec son petit accent français si caractéristique. Il a 41 ans, mais semble en pleine forme malgré les affres de la route et des difficultés à faire vivre en France un groupe aussi exigeant musicalement parlant.
Les titres défilent, beaux de leur poésie rock mais aussi de la matière parfaitement maîtrisée par Laboubée. Les Rolling Stones, les Beatles, les Who, les Stooges, MC5, les Pretty Things, les New York Dolls sont parmi ses principales influences, et il en tire désormais une substantifique moelle qu’il a fait sienne. Cela donne des coups de génie comme 4 Of A Kind, Dead Girls Don’t Talk, Professional Liar ou Back On The Horse. Il n’existait franchement pas de groupe de cette trempe en 1998. Les Blur ou Oasis labouraient un sillon réchauffé, et surtout sans cette énergie ravageuse issue du proto-punk qui irrigue les veines des Dogs depuis leurs débuts. C’est ainsi que Dominique va exhumer le titre de 1972 de Kim Fowley, I’m Bad, dans une version qui tend vers Born To Be Wild de Steppenwolf. Il est d’ailleurs assez amusant de voir Laboubée rugir sur la violence et le côté implacable du rock’n’roll alors que l’homme est d’une délicatesse et d’une finesse d’esprit bien éloignée de l’aspect agressif et violent du rock. Il semble habité par de multiples facettes humaines qui s’entrechoquent en permanence et donne la musique des Dogs.
« 4 Of A Kind Vol.2 – A Different Kind » sort en 1999. Il a curieusement conservé une image de disque un peu superflu, le meilleur se trouvant dans le premier volume. L’écoute enchaînée des deux volumes montre en fait deux volets parfaitement complémentaires, et qui s’apprécie désormais dans la version rêvée par Dominique Laboubée.
Disons que ce second volume sonne plus psychédélique alors que le premier revenait au nerf du rock mélodique high energy des premiers albums. Les chansons de « 4 Of A Kind Vol.2 – A Different Kind » sont de ce fait moins faciles d’accès, plus subtiles musicalement parlant. Les références sont moins faciles à cerner, mais cela n’est pas le sens d’appréciation de cet album. Les chansons parlent d’elles-mêmes, et elles le font parfaitement. Laboubée se permet une chanson autobiographique avec The Story Of The Dogs, racontant de son point de vue cette aventure d’un groupe de rock de province qui décida d’aller jouer dans la cour des grands, et qui va finalement y arriver d’une certaine manière.
Les Dogs exploitent largement leur côté power-pop sur Back To Bali, Hurricane Judith, et It’s About Time. Le rock’n’roll pur jus reste présent sur Never Stop et Rock’n’Roll Lesson N°1 qui retrouvent le son nerveux des Dogs mythiques. En prime, deux morceaux en prise live sont ajoutés : Walkin’ Shadows et I’m Just Losin’ That Girl. Le résultat sonore est brillant et réactive définitivement la magie des Dogs dans le paysage rock français.
Le troisième CD du coffret « 4 Of A Kind » réunit le simple Jenny Jane accouplé à l’album « 4 Of A Kind Vol.1 », et les titres du second CD de « 4 Of A Kind Vol.2 – A Different Kind ». Le résultat est assez époustouflant d’efficacité. Ca lâche les chiens, et c’est véritablement une alternative musicale française de qualité à la soupe pop habituelle.
Triste coda
Les Dogs étaient bien trop exigeants et érudits pour intéresser les médias grand public. Ils n’auront droit qu’à des miettes savamment distillés, et sur lesquelles quelques opportunistes sauront se faire reluire la façade rock’n’roll. Le groupe va disparaître dans la tragédie, et le souvenir de ce groupe exceptionnel s’effacera dans l’indifférence de ceux qui auront temps prôné jadis l’intransigeance artistique des Dogs.
Pour l’heure, rien ne semble arrêter les Dogs, qui viennent de sortir un double live de leurs pérégrinations à travers la France sous le nom de « Short, Fast And Tight » en 2001. Les Dogs ont enfin un album en concert digne de leur réputation scénique mythique, et le quatuor avec Dominique, Laurent, Christian et Bruno et tout simplement l’un des tous meilleurs qui soit. La dynamique enclenchée par Ciron avec les concerts et les deux albums se poursuit :
« Un jour, Freddy Lynxx des Jet Boys, que Dominique connaissait aussi, et avec qui je jouais de la basse (j’adore jouer de la basse) dans de petits groupes à Paris, me propose de les dépanner pour une tournée organisée dans le Sud de la France et en Espagne pour trois semaines. Ca se passe super bien, et on devient bien potes. Il me rappelle six mois plus tard pour le même genre de périple, et ça se passe à nouveau super-bien. On est en 2000-2001, et en Espagne, c’était merveilleux pour le rock’n’roll. C’est là que l’organisateur de la seconde tournée, Jeff Crane, un mec de Boston, me propose de faire tourner les Dogs aux Etats-Unis après que je lui aie passé des albums du groupe. Ca sera une quinzaine de concerts sur la Côte Est, dans des lieux que Jeff connaissait bien. J’en parle aux autres, et la première question de Dominique, ce fut de savoir comment on allait faire financièrement, car clairement, on n’avait pas une thune. J’allais partir en Corée pour la Coupe du Monde de foot en tant que chef opérateur, j’allais me faire un bon billet, ce serait pour les Dogs, et je me rembourserais gentiment avec les tournées en France à venir, pas de problème. On a donc pris les billets d’avion, j’ai loué la camionnette, et on devait jouer avec le groupe de Jeff, les Ballbusters, en septembre 2002, dans des clubs plus ou moins grands. »
Les répétitions commencent en vue de la tournée, sans Bruno qui a dû prendre un job de pion pour des raisons familiales, et qui, en septembre, est en pleine rentrée scolaire. Laurent débauche un pote batteur, Ritchie, originaire de Dole, et les répétitions commencent avec un Dominique un peu malade, grippé, alors qu’on est en été :
« Je lui ai dit que si ça n’allait pas mieux, on annulait, pas de problème. J’avais justement pris une assurance pour cela, au cas où, donc il n’avait pas à s’en faire. Mais Dominique voulait absolument faire une tournée là-bas. Il était heureux et fier de jouer aux USA, c’était une nouvelle étape pour les Dogs. On a alors répété 3 ou 4 semaines, mais son état ne s’arrangeait pas. Il allait régulièrement chez le médecin, il avait du mal à respirer, mais à chaque fois, il ressortait avec des médicaments, il nous disait qu’il se reposait pour être prêt pour la tournée américaine. »
A chaque répétition, Dominique retrouve sa rage et sa verve, et cela annule les doutes des heures précédentes. Cependant, il ne dit pas tout à ses camarades. Il sait que sa consommation de cigarettes, deux à trois paquets par jour depuis l’âge de quinze ans, viendrait sonner à la porte de son karma. Et il a clairement dit à son médecin traitant qu’il ferait le scanner des poumons qu’il lui a prescrit à son retour des Etats-Unis. Seulement voilà :
« On ne pouvait pas aller contre sa volonté. Il n’était pas capricieux, il n’a jamais tiré la couverture à lui, par contre, quand il avait une idée en tête pour le groupe, il ne lâchait pas. Aussi, quand il m’a dit qu’ils allaient aller aux USA pour cette première tournée, qu’importe sa mauvaise toux, on savait qu’on ne pouvait pas le faire changer d’avis. Et puis, on termine le premier morceau du premier concert, Skydog, on entame If You Don’t Want Me No More, à la fin du premier refrain, il s’accroupit, il va s’asseoir sur une banquette, il ne va vraiment pas bien. Je termine le concert au chant comme j’ai pu. Jeff l’accueille chez lui, lui laisse une chambre seul. On avait deux jours off, on avait prévu de se balader, mais il était toujours très faible et n’avait rien mangé. Je réussis à le convaincre d’aller à l’hôpital. Et ils refusent de le laisser sortir en raison de son état. Christian, Ritchie et moi on va le voir tous les jours. Il nous dit qu’il faut faire les concerts. Il est malade, on doit l’excuser, mais il faut assurer. Et puis ça va aller mieux, et il reprendra les sets en fonction de sa santé. »
Le groupe assure donc la tournée avec Jeff Crane à la seconde guitare, sans oublier de venir voir Dominique chaque après-midi. Il est perfusé de partout, mais semble aller mieux, malgré son état de nerf, car il ne peut pas fumer. Une lumière d’espoir s’allume cependant. C’est sans aucun doute une mauvaise passe qui se réglera au retour en France avec toute la médecine publique nécessaire.
« Un jour, on est arrivé, et il l’avait endormi, en coma artificiel, car il souffrait trop à cause d’une tumeur dans les poumons. Et puis la tournée s’est terminée. Christian et moi, on est resté auprès de Dominique, avec toutes les difficultés administratives car on n’était pas des membres de sa famille. Et puis, il a fallu que j’appelle Catherine, la sœur de Dominique, pour lui dire que si elle voulait dire au revoir à son frère, c’était maintenant. Ce fut d’une violence inouïe : on est parti avec un groupe, on est revenu avec un cercueil. Après sa sa mort, je me suis rendu compte que j’aimais Dominique comme un grand frère. Et puis cette injustice de la Mort est venue sonnée. Je crois que quand ce sera mon tour, je lui collerai mon poing dans la gueule. »
Réédition 4 Of A Kind Vol.1 et 2, chez Deviation Records.
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In Loving Memory of Dominique Laboubée 1957-2002
2 commentaires
celui qui joue avec les tampax wampas se la coule en tatanes eculées d’un pas pressé in 7 c pas beau a voir sa chevelure devenue………
wampax