Le groupe le plus déprimé de France vient de sortir son troisième album, sobrement intitulé « Troa », sur lequel il emprunte de nouvelles directions toujours aussi nicotinées. Le temps d’un griller un, le chef d’orchestre Kim Giani et son avatar Guillaume Patrick déballent tout dans cette interview brûlée au troisième degré.

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J’aimerais revenir sur une déclaration des Clopes à l’occasion de la sortie de « DEU », le second album des Clopes, où vous disiez que « Les Clopes, avec l’album DEU, sont hyper déprimés ». Qu’en est-il de « Troa », comment vous sentez-vous ?

Guillaume Patrick : eh bien, en fait, on est encore totalement déprimés. Encore plus même.

Qu’est-ce que vous voulez dire avec ce nouvel album ?

GP : on a voulu dire qu’on est déprimés, et qu’on souhaite que le monde soit de plus en plus déprimé et glauque.

D’où vient cette envie de rendre le monde déprimé ?

GP : en fait, la dépression c’est hyper sexy.

C’est marrant parce que j’associe le morceau Je fume des clopes dans un blockhaus noir à deux histoires d’amour très intenses et unilatérales que j’ai vécues il y a longtemps. Donc votre déprime c’est romantique ?

GP : en réalité, plus que romantique, la déprime est indispensable pour faire du sexy et du glamour.

Kim, qu’est-ce qui a changé pour toi dans cet album, par rapport aux précédents ?

Kim Giani : ce disque a été fabriqué avec beaucoup plus de membres des Clopes que d’habitude. Il y a eu une grosse participation collective dans l’écriture et l’enregistrement, parce que la pandémie rendait les réunions difficiles. On a aussi eu des changements de personnage, par exemple le personnage de Laurence Inutile a été repris par un autre membre, donc on a crédité deux Laurence Inutile sur l’album. On a aussi commencé à incorporer dans l’univers des Clopes (notamment la pochette) des membres qui ne participent pas à la musique, comme Ernestine Letrange et Olma, dont on ne sait pas encore exactement quelle est leur participation. Ernestine vient sur scène mais elle ne fait absolument rien.
Musicalement, on a aussi essayé des choses avec des morceaux chantés sans aucune interprétation, en voix blanche. Je trouvais l’idée de s’éloigner des voix typées cold wave inconfortable et j’ai voulu essayer, comme sur Éternellement schlag, qui a été écrite par la claviériste Cléa Vincent. C’est vraiment ce qu’on a voulu faire sur cet album : ouvrir de nouvelles pistes pour voir vers où l’on pourrait continuer.

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Créer un groupe composé d’avatars, c’est quelque chose que tu as déjà fait dans ta carrière, avec Jean-Pierre Fromage entre autres.

KG : ça permet de se distancier du quotidien, de devenir quelqu’un d’autre pour l’interprétation, comme de se déguiser au Carnaval, et s’amuser surtout. Imaginer un personnage d’une vingtaine d’années, Nantais, avec des cheveux roux et gras qui s’appellerait Guillaume Patrick, rien que de dire ça en fait, ça m’amuse. On est très proches du fou rire, on arrive sur scène en tirant une gueule de six pieds de long, on a envie de se marrer tout du long. Des fois, on est obligés de se retourner pour rire.

« Quand tout est beau, quand tout est joli, techniquement impeccable, ça laisse assez peu de place au public et à l’émotion, et ça donne du Calogero ».

Peut-être que compte tenu du genre new wave/cold wave dans lequel vous évoluez, les avatars permettent aussi de sortir d’un truc qui pourrait être très lourd au premier degré ?

KG : alors j’ai toujours fait de la new wave, mais quand j’en faisais en solo elle était très mélancolique, souvent mal comprise et ça me dérangeait. Au départ c’était un pastiche de Lescop, mais même sur scène ça donnait une ambiance assez plombante. Mais en mettant des paroles très incongrues et ces avatars débiles sur cette musique très sombre, en fait ça faisait un cocktail très marrant. Je trouve aussi que le côté très sérieux de cette musique n’est pas évident à interpréter. Ce qui est difficile, c’est que la musique cataloguée dans la case humoristique manque souvent de musique au sens mélomane du terme. Mais d’un autre côté, la musique très sérieuse, très mélomane, manque souvent cruellement d’humour aussi. Les Inconnus ont très bien mêlé l’humour et la musique, Vald, Stupeflip et Katerine aussi l’ont très bien fait, mais c’est pas évident. Les Clopes, c’est une proposition. En ce moment on creuse de plus en plus l’univers du groupe, car ce sont les membres qui construisent les personnages. Certains sont à Pôle Emploi, d’autres ont des galères d’appart, de meufs, de mecs. C’est comme un costume, qui permet aussi d’improviser des chansons, ou d’improviser en live aussi.

C’est quoi la mythologie des Clopes ?

KG : l’histoire fictive des Clopes vient d’un pastiche de Lescop, avec Je fume des clopes dans un blockhaus noir parce que je suis déprimé. Tout s’est fait petit à petit, j’ai fabriqué une page Facebook Les Clopes pour sortir le pastiche, que j’ai localisée à Nantes car j’y trouvais une voix un peu de l’Ouest, dans le genre Étienne Daho. Mais ensuite, on a eu des demandes de concerts via Facebook venant de gens qui pensaient qu’on était un vrai groupe. Donc j’ai dû leur expliquer qu’on n’existait pas, et je n’avais pas trop d’inspiration pour aller plus loin.
En 2017, j’ai repris une instru de mon projet Laptop Sisters pour faire Le téléphone cellulaire. Et là, ça m’a donné de l’inspiration pour un EP. J’ai appelé deux copains pour faire des concerts, ça a donné Daniel Brumeux, Guillaume Patrick et Patrick Guillaume, avec des perruques et des lunettes blanches. C’était génial, et c’est là qu’on s’est dit que ça vaudrait le coup de continuer.

On a été contactés par un label australien pour sortir un single mais je n’avais plus de chanson. On a écrit Des signaux contradictoires et Putain que c’est glauque avec ma copine Valérie Hernandez, qui est devenue Laurence Inutile. Et en Australie les morceaux ont énormément tourné ! Du coup, on a eu assez de morceaux pour sortir un album, trouver deux nouveaux membres et avatars pour être complètement capables de se produire sur scène et honorer les demandes de concert. On en a fait beaucoup, sur beaucoup de scènes et de festivals différents, ce qui nous a donné très envie de creuser d’autres directions dans lesquelles chaque personnage peut s’exprimer. Aujourd’hui, on commence à tomber les masques car les gens commencent à comprendre et à nous situer. Ca m’intéresse beaucoup de voir comment on va se démerder avec ça.

Et au niveau des personnages ? Tu peux me présenter tes collègues, Guillaume ?

GP : absolument, il y a mon demi-frère Patrick Guillaume qui joue de la basse. Il y a Laurence Inutile qui joue les claviers et qui a des problèmes de logement. Et il y a une autre Laurence Inutile qui chante. Et il y a également Daniel Brumeux à la guitare. Et aussi également Gerda Glockenspiel qui joue de divers instruments et qui a des problèmes avec sa famille allemande. Et Alain Chambreforte qui joue des claviers et qui chante et qui a des problèmes d’impôts sur le merchandising. Moi je chante et je joue de la boîte à rythmes : j’appuie sur le bouton au début de la chanson et je l’arrête si j’ai besoin de dire un truc. Et on a tous des problèmes de dépression à Nantes.

« Parfois les gens viennent me voir et me demandent : « mais c’est pour rire ou pas ? ».

En parlant de Nantes, vous chantez souvent à propos de lieux. Bacalan Mériadeck, Les dimanches à Trentemoult, Les après-midis à Evreux… qu’est-ce qui vous touche dans ces lieux ?

GP : ce sont principalement des lieux dans lesquels on a déprimé.

KG : en l’occurrence, ce sont des lieux que je connais vraiment. J’aime la singularité des lieux, les différents accents, ça me fait rire d’en faire des images. Par contre, je suis allé à Bacalan l’autre jour et le morceau est en fait complètement dépassé : j’y habitais dans les années 80, c’était archi craignos, j’ai rarement vu des lieux aussi dangereux. Et aujourd’hui c’est Miami, c’est assez joli et tant mieux, je ne suis pas nostalgique parce que c’était vraiment un coupe-gorge, c’est là-bas que j’ai appris à courir. Et Mériadeck j’y traînais beaucoup en écoutant de la cold wave dans mon walkman, donc le morceau est hyper sincère, mais périmé. Mais bon, il y a toujours un blockhaus à Quimperlé, donc tout va bien.
Blague à part, en France, il y a tout un tas de petites villes en train de mourir et qui ont pourtant un charme fou. C’est ce dont parlait Noir Boy George avec Les villes de moins de 4000 habitants, les sous-préfectures. C’est pas évident d’y vivre ou d’y faire faire quoi que ce soit. Avec mes projets solo folk ou avec Les Clopes, j’ai la chance d’y jouer régulièrement et il y a quelque chose de désuet vraiment magnifique, on passe de super moments, les gens sont en demande de musique et il y a plein de choses à faire. Ce sont des lieux souvent débarrassées de chauvinisme, ce qui est assez agréable, parce que les gens savent qu’ils sont sur le déclin et essaient de s’en sortir. C’est assez dynamique et plein de surprises.

« On a cherché le numéro de téléphone de Drake sur internet et on n’a pas trouvé de numéro de téléphone, donc on s’est dit que Drake n’avait pas de téléphone cellulaire. »

Tout à l’heure tu parlais de la folk et des musiques « sérieuses ». Dans quelle mesure tu prends les choses au sérieux, en fait ?

KG : parfois, les gens viennent me voir et me demandent « mais c’est pour rire ou pas ? ». J’adore cette question. Il y a plein de différents registres dans ce qu’on appelle « humour » : le grotesque, le burlesque, l’ironie, le pastiche, le grivois… et parfois, une petite peau de banane ça permet de casser le cadre, de prendre un peu de recul dans quelque chose de très intense et travaillé, et beaucoup de très grands artistes l’ont fait. Même les Cure se sont permis de sortir un pipeau et un ocarina en plein âge d’or cold wave, alors que c’est hyper désuet. Et quelque part, c’est aussi se montrer vulnérable, c’est ouvrir une porte d’entrée et dire « vous pouvez vous moquer de moi ».

Par exemple, l’album « La Fossette » de Dominique A, c’est une écriture à la Barbara, très poétique, mais enregistré avec des instruments très rudimentaires : des claviers pour enfants, une guitare merdique, très sale, on disait aussi qu’il frappait des pantoufles sur des casseroles. Et c’était étonnant, ce parti-pris, mais ça nous donnait un choix : soit on se laisser emporter et c’était magnifique, soit on se bloquait parce que le son sonnait pourrave, ridicule. Et c’est hyper généreux cette vulnérabilité, t’as envie de rire et de chialer en même temps, d’ailleurs j’ai pleuré quand je l’ai vu en concert, c’était tellement touchant. Quand tout est beau, quand tout est joli, techniquement impeccable, ça laisse assez peu de place au public et à l’émotion, et ça donne du Calogero. L’imperfection, c’est la plus grande peur des gens en pop.

Mais ça ne risquerait pas de devenir une norme et une esthétique à son tour?

KG : Ça peut créer un code et être repris. Il y a des gens qui chantent de manière extrêmement engagée, comme Noir Boy George, Colombey ou Ventre de Biche, qui peuvent hurler, chanter à pleins poumons. On le voit bien, si on met un morceau pop à fond dans un bar, les gens vont chanter à fond, et ça sonne comme une équipe de rugby bourrée, c’est normal. Mais le côté « pas joli » de ces artistes, ça m’intéresse parce que je trouve que la pop est allée trop loin dans le « joli » et manque d’interprétation. Je préfère une interprétation imparfaite et sincère, quitte à ce que ça sonne rugbyman. En pop c’est souvent ce problème : soit on met du style et on passe à côté de la sincérité, soit on met tellement de sincérité qu’il n’y a plus trop de porte pour faire rentrer les gens. Je le vois chez moi aussi, je me fais cette critique aussi sur des projets pop ou folk, d’où le besoin d’avatars pour jouer avec les lignes. Mais Ventre de Biche, Colombey ou Noir Boy George, ils se contre-foutent de l’esthétisme de la performance vocale. Par contre c’est viscéral, c’est que du sentiment, c’est généreux parce qu’on peut se moquer d’eux. Mais il se pourrait que des gens le reproduisent, codent du code et finissent par copier cette signature, mais c’est inimitable.

Dernière question : à la fin de votre précédente interview chez Gonzai vous annonciez une collaboration avec Drake. Mais on ne l’entend pas sur cet album et il n’apparaît pas dans les crédits. Que s’est-il passé ?

GP : en fait on a cherché le numéro de téléphone de Drake sur internet et on n’a pas trouvé de numéro de téléphone, donc on s’est dit que Drake n’avait pas de téléphone cellulaire. Et on a plus très envie de collaborer avec lui finalement.

Les Clopes // Troa // disponible partout sur internet
https://lesclopes.bandcamp.com/album/troa

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