Leroy Se Meurt, transformateur de caves en dancefloor pour déprimés

Le groupe français, qui a sorti en novembre 2023 l’album « Voué à Rouiller » sur le label berlinois Mannequin Records, réussit l’exploit de réunir sur le même disque des influences allant de Joy Division à ASS – un projet de Ventre de Biche – en passant par Young Gods, et sans se vautrer lamentablement.

Ça vous est déjà arrivé d’écouter un album et d’avoir la conviction que les humains derrière les chansons étaient sûrement comme vous, c’est-à-dire des fans de musique avec les mêmes références et la même passion pour des artistes qu’on n’entend pas sur NRJ ? Si c’est le cas, alors prenez la deuxième à gauche, continuez tout droit sur 500 mètres direction Bandcamp et cliquer sur l’album « Voué à Rouiller » de Leroy Se Meurt. Ça y est, c’est fait ? Alors on peut continuer.

Leroy Se Meurt est un duo parisien composé par Mathieu (le man-machine du groupe) et Volkan (la voix) qui fait du bruit depuis déjà cinq ans. Entre 2020 et 2022, durant cette belle période qu’on appelle aussi « les confinements », les deux parisiens ont donc planché sur un premier album. Pendant sa confection, chaque morceau entamé s’est vus affilier une étiquette, genre « rock », « EDM », « electro », « kraut », « acid », etc. « On donne des étiquettes à nos morceaux, mais les autres personnes n’auront pas du tout la même interprétation. Un morceau peut être krautrock pour nous, mais ça ne le sera pas pour CAN », explique Mathieu.

« On fait de la musique car on en écoute, pas pour gagner notre vie. »

Pour cet album, les garçons ont pris une décision un peu conne mais qui, finalement, s’est avérée être la bonne : faire un disque orienté rock avec des machines. « C‘est assez contre-productif : le mieux, c’est d’avoir une guitare », avoue Mathieu, sans essayer de chercher à convaincre les gens du bar où a lieu l’interview du contraire. « Mais je trouve ça cool, ça donne un résultat ‘‘machinique’’. Ça crée quelque chose d’hypnotique. Tu n’es pas libre avec la matière de travail que tu as entre les mains. Il faut trouver des parades comme des samples, des logiciels qui imitent des guitares ou des basses, etc. Si ton sample, tu veux le faire évoluer, il faut être imaginatif : ça ne va pas suffire de le pitcher sur trois quatre notes par exemple. »
Niveau machines et ambiance musicale, Mathieu cite des groupes comme Napalm Death, Young Gods, Big Black, Youth Code ou encore Throbbing Gristle. Des artistes qu’il a découvert à la vingtaine et qui lui ont donné envie de « bidouiller des machines » (sic). « J’ai acheté mes premiers synthés, un Korg MS20 puis une boîte à rythme, puis un deuxième synthé, etc. J’ai un sampleur depuis quelques années. Je viens de cette logique mathématique, des jeux video, de la science-fiction, et donc je ne suis pas du tout rebuté à l’idée de me taper 150 pages d’un manuel complètement chiant. »

Pour Volkan, le travail est différent. Quand il entre en jeu, il doit trouver des manières de se démerder avec tout ce bordel sonique pour venir placer sa voix, en français ou en turc. « J’aime bien travailler sur des airs, sur le mouvement. Ça commence avec du yaourt et parfois, on écrit des paroles pour qu’elles collent au yaourt. Quand Mathieu a terminé sa partie, soit l’enregistrement des voix prend une session de trois heures et c’est bouclé, soit on va bosser dessus une semaine. Ça sonnera brut au final, mais derrière, il y a eu du boulot. Les langues, le français et le turc, permettent d’apporter une diversité. Le turc est une langue hybride qui se rapproche, dans ses sonorités, de l’allemand », avance Volkan.
Pour le chant, là encore, des influences sont perceptibles : Ian Curtis, Gilla Band, Rendez-Vous mais aussi des artistes comme Noir Boy George ou ASS – le projet qui tabasse de Ventre de Biche. De toute façon, ils ne s’en cachent pas : ils sont « pétris d’influences. On fait de la musique car on en écoute, pas pour gagner notre vie. »

Sur l’album – avec une pochette signée Elzo Durt – Leroy Se Meurt nous offre assez de joyeux moments pour rester éveillé toute la nuit malgré la fatigue, la redescente et les copains relous qui veulent rentrer tôt. Il y a du punk électronique de seconde zone (Liquide, l’un des meilleurs titres du disque si vous voulez mon avis), des ultras du Fenerbahçe qui vous regardent du coin de l’œil (Bencil Ilki), des uppercuts (Veuve 909), du sang qui coule, des samples de batteries assourdissants et des séquences tendues qui font l’effet d’une énorme gifle dans la gueule (Kacis). Sur « Voué à Rouiller », « presque tous les morceaux ont ce côté énergique et puissant, mais ce sont des choses qu’on fait naturellement, et forcément ça marche bien en live. Nous, on vient du rock, du punk et des musiques à guitares : on a voulu travailler cette matière-là », expose Mathieu. « En concert, c’est ultra physique. Je ne suis quelqu’un de violent, mais sur scène, c’est le seul endroit où je peux sortir ces émotions », enchaîne Volkan.

Jubilatoire, intense, infernal et déraisonnable, « Voué à Rouiller » n’est pas à mettre en toutes les mains, ni à écouter un dimanche soir de février alors qu’il fait -7 dehors et que l’envie de se lever dans six heures vous donne des sueurs froides angoissantes. Non, ce disque existe pour faire du bien aux personnes qui vont mal. À toutes celles et ceux qui ont envie de crier mais ne peuvent pas, à celles et ceux qui voudraient se révolter mais qui sont trop lâches pour le faire. Vous êtes peut-être voués à rouiller mais au moins, dans cette lente descente aux enfers, vous aurez une B.O. pour vous accompagner. Et un groupe qui, peut-être sans le vouloir, vous aidera à accepter un fait incontestable : machines ou humains, tout le monde rouille.

Leroy Se Meurt est en tournée en mars et en avril près de chez vous. Plus d’infos par ici.

 

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