Après une première nuit passée à regarder la montre qui défile, seconde journée du Rock dans tous ses Etats, festival du nul part à situer entre Evreux, le Vésuve et l’ouest lointain. Quand les écossais de Phantom Band croisent un Nick Cave fantasmé sous le soleil de Satan et que François-Marie Banier (si si) trinquent à ta santé dans une histoire à n’en plus dormir debout avec des festivaliers affalés sur la terre battue, ça donne forcément un récit en forme d’homme de paille qui titube. L’histoire aussi, mais sans glaçons.
Samedi matin, around 12.00. J’aurais aimé dire que les restes de la veille ont laissé l’homme sur le carreau, que la soirée s’est finie tard et que les tessons de bouteilles tapissent désormais la chambre de l’hôtel avec trois groupies qui ont étendu leurs strings au frigo. Erreur. Quelques mégots tout au plus et un badge presse qui trône mollement sur la moquette à double couches. PAS DE PANIQUE. Rapide inventaire des forces en présence pour la soirée qui vient : le psychédélisme de Caribou en hors d’œuvres, le meilleur groupe d’écosse (Phantom Band, qui d’autres ?) en passe-plat, Jim Jones Revue en résistance, Chokebore en trou normand, qui sait… Arrivé à un certain stade, entre bons et mauvais mets, on ne fait VRAIMENT plus la différence. Ce soir encore, il faudra fermer sa gueule et avaler, déglutir, saliver puis recracher les guitares anglo-saxonnes en forme de barbapapa enfournées en entonnoir. Ce soir, pas d’outsiders. Les boulets de canon à ventre ouvert.
14H30. Quatre heures à tuer avant le premier concert en plein air. Dehors, c’est encore la chaleur de plomb. Brève tentative de divagations à demi-éveillé : Mon corps bouillant plongé dans une baignoire remplie de Coca-Cola, des poissons rouges à l’intérieur qui happent les bulles et font la sieste sur le dos, l’écaille humide à la surface. Brrrrrrrrrr… Réveil. Pas de Coca, mais les « contre-news » de journée. Où l’on apprend, page 187 d’Un jeune homme Chic, qu’avant de détrousser de vieilles milliardaires, François-Marie Banier[1] nightclubbait lui aussi avec Andy Warhol, Pacadis, Man Ray et Paloma Picasso. Mai 77. C’est bien connu, les arnaqueurs ont souvent bon goût.
17.40. Départ vers le chaudron électrique. Dernière soirée d’un festival aussi rapide qu’un zip de fermeture éclair. Aujourd’hui, canicule oblige, ce sera le bus direction l’enfer à 40°la pénitence. Pour patienter jusqu’à l’arrivée au cortège des festivaliers, j’enfourne dans mon casque un peu du gospel micro-ondes tiré prochain album de Nick Cave et de ses Voodoo-killers
17.48: Chronique express du prochain album de Grinderman.
Roulés dans la paille sèche comme d’autres dans les piscines sans fond, Nick et sa clique reviennent avec un deuxième album de chanoines ayant égrené un à un tous les classiques du western touillé à la sauce blues calciné. Sur Grinderman 2, c’est le vrombissement des moteurs à wah-wah qui copulent lentement avec le claquement des éperons. Au fond, on distingue parfaitement une poignée de cow-boys tapant dans leurs mains pour expier les démons. Se faire une place au soleil, vider sa panse comme un bouton de pus. Sec, pas une seule mesure grasse, tout en guitare, pas de fioriture. No Make-up. Un Nick Cave habité qui susurre ses histoires sales au curé du village incarné par un Warren Ellis dont le regard perçant fait penser, selon les variations du thermomètre, à Lee Van Cleef ou Steve McQueen. Transposition musicale d’un village de far-west où les tambourins ont remplacé les colts, l’ange Gabriel fringué en cuir moulant, quoi d’autre… le deuxième tome des Grinderman se hisse au plus haut des aventures des Bad Seeds. A l’aise. Oooooooh, oooooooh… des histoires de princesses éventrées, des corbeaux improvisés preacherman… Come on baby, let’s get out of the cold… Oooooooh, oooooooh… Gimme me gimme me gimme me your precious love…. Oooooooh, oooooooh…. Les trois minutes trente de brûlures blues de Palaces of Montezuma viennent juste de se terminer qu’on est arrivé à bon port, le bus et moi. Rock dans tous ses états, décidément.
18.00: B(l)ack to reality.
Le set des canadiens de Caribou vient juste de commencer lorsque j’atterris sur le tarmac en fleurs séchées. Une foule déjà compacte de lecteurs qu’on suppose tous abonnés à Magic s’affaire déjà à dodeliner de la tête sur les mélodies math’ rock d’un groupe, disons, un peu chiant. Chaleur, horaire de programmation mal choisie ou simple envie d’en finir pour rentrer à l’hôtel climatisé, la bande à Caribou tape des bambous et ça semble leur faire du bien. Sous-Tortoise à l’œil un peu mou sur leurs deux batteries posées en miroir, leur rock spé’ ressemble plus à du Phoenix sous speed (pas dur, notez) qu’à du prog-rock nouvelle ère. « De la Batucada(na dry) » note-je sur mon carnet, pas sûr de l’effet comique. Un peu plus loin dans la marge, une annotation prise la veille : « Serviettes hygiéniques propres disséminées sur le chemin qui mène au festival. NB : Tenter de comprendre pourquoi. »
19H et des poussières. La grande attraction de la soirée, n’en déplaise aux amateurs de Guitar Hero Contest (en partenariat avec la Société Générale, merci pour le placement produit), c’est Phantom Band. Leur premier album a presque réussi à réconcilier rockeurs, branchés et alcooliques – les trois vont souvent de pair, dans le meilleur des cas. Aucune trace de l’ombre, un soleil à son zénith et des peaux rougies comme deux squaws, impossible d’échapper à l’insolation Phantom Band. Démarré à tue-tête sur The Howling, à cheval sur les claviers et la batterie kraut montée sans selle, le set des écossais rassemble badauds, minettes et fans éparpillés. Les yeux se ferment, on oublie tout : la peaux qui se tend, les rayons qui tapent, la gamine du devant qui tente une photo sur son appareil hard-discount. Les paupières à demies-closes, on oublie sa propre existence à l’entame de Folk Song Oblivion et ses accords Ledzeppeliniens. Sur Halfound, ce sont les fantômes de Radiohead, période Kid A, qui ressurgissent, le tout tenu en haleine par une basse qui vire scottish rock au refrain ; Burial Sounds et ses cœurs cheyennes réveillent le Comanche qui est en moi. Rapide tour de tête pour admirer la foule qui s’éloigne, harassée par la chaleur et les coups de boutoir. Patience, bientôt le folk du pauvre de Renan Luce saura panser vos plaies de français moyens. En attendant, un chanteur barbu à moitié chauve sur le dessus parvient à électriser ce qui restera comme le meilleur concert. Hold-up pour les écossais, on leur souhaite un avenir doré, fait de groupies en sucre et de succès mérité. La (ga)lois du plus fort.
Autour de 20H00. Détour par la tente presse où j’apprends que l’assistant de com’ du festival est décidément bien sympa. Il a bossé pour Nova qu’il me dit, puis France 2, pour les débuts d’Action Discrète. Un pilote, qu’il dit, jamais diffusé. Ticket boisson, champagne, il poursuit : « C’était déjà des dingues les types d’Action Discrète, je les suivais sur leurs « interviews touchés ». Le principe, c’était de faire chier les people en leur posant une question tout en leur touchant le nez, la joue, un membre. Mia Frye, elle a pas compris. Daniel Mussot, il a bien failli leur en foutre une, au bout de la troisième question à se faire tripoter le museau. Dommage, ça a jamais été diffusé». Je vous la fais courte, certaines histoires drôles peinent à être correctement traduites, à l’écrit.
Sur la seconde scène, les américains de Chokebore – pourtant décrit dans la brochure touristique comme « cultes et adoubés par Nirvana » – accordent leurs guitares à 20H00 pétantes, devant un parterre de fans de la première heure et autres festivaliers collés au crash photo comme des abeilles sur une moustiquaire. Passée la minute insolite du « génial ce groupe de vieux qui tient encore debout », on baille. Pas de chansons, des looks de grungies ayant recousu les jeans et un charisme de lapin mort finissent par résumer ma conclusion à une punchline : « Chokebore, la musique rêvée des trentenaires possédant un barbecue portatif et un Nissan Break avec un Cd grave des Pixies qui tourne en boucle ». Et dieu sait que les Pixies, c’est encore moins divertissant que Les sous-doués à Seattle.
21H00. Page blanche. Rien ou presque. Renan Luce, l’Alain Bashung des Centre Leclerc, mobilise la totalité des cerveaux vides et une fraiche brise d’urine se répand sur mon carnet. Page blanche. Pourrait-on envoyer cette Victoire de la Musique sur une mission humanitaire, disons, en Corée du Nord ?
Plus tard, ou avant, tout se brouille. Jim Jones Revue vient de dévaster ce qui reste des âmes sensibles avec un pastiche de rock convainquant qui lutte sans peine avec les fifties, Jerry Roll Morton, Elvis et Jerry Lee Lewis. Bluffant. Foutez un groupe comme ça dans tous les patelins français, et plus de fracture sociale, plus de retraite. Jim Jones Revue, c’est un remède contre les arthroses. Paraît même que les manchots remarchent, à leur contact. Pas de boogie-woogie ce soir, mais un show miraculeux. J’ai soif.
Extérieur nuit, un étrange duo monte sur scène. A force de croire que le festivalier est un mélange de fût de bière et de pantalons bariolés, j’avais fini par oublier qu’on pouvait parfois se rejoindre une fois ma misanthropie laissée au vestiaire. Un duo donc, qui s’avance sous les sifflets impatients de la horde des rockeurs au cœur dur comme un bout de gingembre. Le premier porte une paire de lunette carrée comme son visage angulaire, c’est Patrick Carney, le batteur. L’autre arrive par nonchalance, sur sa gauche, une guitare entre les mains calleuses, la barbe fraichement taillée et le regard trois étages au dessus, c’est Dan Auerbach, le tiseur de foules. A eux deux, ce sont les Black Keys, tête d’affiche de la soirée dont on peine à croire qu’il puissent faire un boucan pareil avec si peu de mains. Un vomi sonique d’où s’échappe pourtant les notes claires, les breaks de batteries, la subtilité des riffs gras d’Auerbach, en « grande forme », comme disent les experts turfistes. Et chaque chanson de se jouer comme un sprint, tête baissée, regard sur le compteur, à la recherche des anciens croiseurs de fer – R.L. Burnside et pourquoi pas ZZ Top, tant qu’on y est. La note bleue, Black Keys la possède deux fois plus que la concurrence ; les têtes montent et descendent comme des pendus qui refuseraient de mourir et tout recommence à chaque mixture blues 3’30, invariablement, comme un délicieux supplice. Ce soir, il n’y aura plus rien d’autre que ces accords en septième et l’étrange odeur de poulet grillé au fin fond du Mississippi. Tout mon Jésus contre du papier gras.
Sur les derniers roulements de caisse claire de Patrick Carney, mon œil s’est bloqué sur l’inscription de la batterie. BLACK KEYS. Quelques lettres qui tremblent sous les vrombissements sourds du cogneur d’enclume. La foule s’est évanouie et les lettres grossissent dans mon esprit, tournant sur elles-mêmes comme dans un flash psyché extrait du bulbe de Sergent Poivre. Soudain, rétro-hallu en couleur jaune sable, vision gold cendrée :
Extérieur jour. Nick Cave en barman, la moustache derrière le comptoir et tablier sur l’épaule. Derrière lui : la chorale de cowboys en play-back et des bottes de foin qui tombent du plafond au ralenti.
– T’es pale comme un cul d’indien. J’te sers quelque chose, mon ptit ?
Moi, gringo fatigué par deux jours de Rock dans tous ses états à chroniquer des concerts excellents dans l’ensemble, ne sachant pas comment terminer mon récit débuté 48H plus tôt.
– Pas très soif, vous auriez pas quelque chose contre la migraine, plutôt ?
Nick, « mauvaise graine » de rockeur à qui on ne la fait pas mais qui aimerait quand même bien rentrer chez lui pour percuter sa cowgirl :
– Yeah. Ca te fera deux jetons pour l’aspirine. C’est du Grinderman 500 double dose, à prendre matin et soir avec deux génuflexions sur ma moustache.
Moi, désormais à courts d’arguments pour conclure :
– Tout compte fait, donnez moi un billet pour le prochain train direction Paris. J’ai un article à écrire et pas moyen de trouver la phrase de chute. On se quitte bons amis, on se dit à l’année prochaine?
[1] Photographe et âme soeur de Liliane Bettencourt à près d’un milliard l’amitié, pour ceux qui aurait passé le début d’été à sauter à l’élastique au fin fond du Vercors.
3 commentaires
Putain, je flippais que PB et BK soient bidons(trop de whisky,du je m’enfoutisme, ce genre de trucs) il n’en fut rien, fucking cool ! Comme ce papier auquel il manque peut-être un quart de buvard pour que tu perdes tes cheveux du dessus et qu’il te pousse un fume cigarette. Mais en tant que lecteur, je te conseille de continuer comme ça.
Signé un auto-stoppeur perdu dans les landes à la recherche du mojo d’Auerbach.
…
R.L Burnside… Tu as finis par écouter ça toi?
…
SUBBACULTCHA
Tes mots non soignés par un orthophoniste jouent à la corde à sauter dans le jardin pour enfants snobs…