(C) Gérard Love

Vous vous sentez perdu parmi les plus de 60 000 titres mis en ligne chaque jour sur Spotify ? Nous aussi. Mais on a quand même pris le temps d’en écouter certains et voici ce qui a retenu notre attention ce mois-ci, comme au bon vieux temps où l’on écoutait des CDs commandés chez Club Dial, l’ancêtre de Spotify pour les mélomanes en chaises roulantes.

Blur – « The Ballad of Darren »

Mood : Quoicoubeh.

Blur était le tout premier concert auquel j’ai assisté, en tant que jeune kid. Je veux dire, c’était le premier spectacle auquel j’ai assisté volontairement, en achetant moi-même le billet et tout ça. Car, en vrai, la première représentation scénique dont j’ai fait l’expérience – et le mot est faible – c’était un concert de Carlos. Mais c’est une autre histoire. Pour Blur, c’était lors de leur tournée « Parklife », à Aix-en-Provence, dans un gymnase en périphérie de la ville. Leur performance punk et violente m’a marqué, tout comme leurs Dr Martens cerise avec lacets jaunes. Ma mère m’a accompagné et elle m’attendait à la sortie, pour me ramener en voiture. C’était ma première rencontre avec une scène et un public alternatifs. Dans ce gymnase, il y avait beaucoup d’adultes : des gens plus âgés que moi qui fumaient des cigarettes et je me souviens d’un gars qui portait un t-shirt dont le motif était une étrange photo en noir et blanc d’une fille étranglée en train de faire une overdose – j’ai compris bien plus tard que c’était un t-shirt de PJ Harvey.

J’ai toujours suivi – même de loin – la carrière de Blur en raison du lien qui semblait s’être créé entre eux et moi. Même si le cœur n’y est plus. Depuis l’album « 13 « ou « Think Tank », j’ai complètement arrêté d’écouter ce groupe. Je n’ai même pas écouté l’album avec un cornet de glace en couverture. Cet album, « The Ballad of Darren », est présenté comme un retour aux sources pour Blur, après huit ans de silence. En tant que fan depuis le début, tous les signaux devraient être au vert pour que cet album me parle. Mais en réalité, ce n’est pas du tout le cas. C’est un album pour les quadragénaires et les quinquagénaires qui ont grandi avec les souvenirs des disques « Leisure », « Modern Life Is Rubbish » ou « The Great Escape ». Pas de Krautrock ici, ni de techno ou des touches électroniques, comme on peut en trouver sur leurs albums de la fin des années 90. Ici, c’est du Blur rock classique, soit du Bruce Springsteen britpop. Un coup d’œil rapide aux crédits de l’album confirme cela : James Ford en est le producteur. Pour rappel, il vient de produire les derniers disques ennuyeux de Depeche Mode et des Arctic Monkeys.

Lorsque le choix du groupe se porte sur un producteur qui ne prend aucun risque et dont le CV se résume aux disques de The Foals, cela donne une idée du résultat. De plus, je trouve qu’il y a un manque d’authenticité que la production peine à dissimuler. Cela me dérange particulièrement sur les – très nombreuses – ballades de l’album, comme Avalon, Far Away Island ou The Ballad : je n’y crois pas. Albarn chante comme un vieux chanteur de variété sur le déclin, cela manque de naturel. Cependant, je sauve la chanson Goodbye Albert, la seule piste qui adopte une approche plus moderne. Pourquoi sortir un disque avec aussi peu de prise de risque ? Quel est le message envoyé à leurs fanbase de quadras ? « On ne veut pas faire un truc trop compliqué pour vous ? » Ou alors, on pense que leur public a envie d’entendre des morceaux qui rappellent le bon vieux temps ? On ne veut pas les froisser/perdre ? En tant qu’auditeur et suiveur de ce groupe depuis mi-90’s, je n’ai droit qu’à cela ? Peut-être que les mecs de Blur pensent qu’ils n’ont plus rien à prouver. Après tout, le guitariste a déjà sorti une biographie – comme s’il était, genre, Keith Richards et que tout est déjà plié. C’est le problème de cet album : il sent définitivement la naphtaline : les Dr Martens couleur cerise ont été remplacées par des Charentaises en tweed. Gerard LOVE. 

PJ Harvey –  I Inside The Old Year Dying

Mood : pour les apéros sur la plage en relisant les sœurs Brontë.

C’est le dixième album de PJ Harvey d’après Wikipédia et il était impossible d’imaginer à ses débuts que le sosie féminin de Ronnie James Dio puisse avoir enfanté une discographie aussi riche et variée trente ans plus tard. La moitié de ses disques au moins est mémorable – peu d’artistes peuvent en dire autant – et sa trajectoire est singulière puisqu’elle a délaissé les guitares énervées de ses premiers albums pour des compositions plus complexes et apaisées, notamment avec le superbe White Chalk paru en 2007 et ses ballades au piano. La démarche consistant à casser les moules précédents, dès lors qu’on retourne en studio pour proposer quelque chose de nouveau, force l’admiration : à quoi bon révolutionner son style si c’est pour se faire défoncer par la critique et perdre des fans en passant ? L’exercice est très casse-gueule et peu d’artistes l’ont réussi (les Beatles, Bowie, Miles Davis, The Cure ou les Talking Heads, toujours les mêmes…). Même ses albums les moins marquants recèlent quelques beaux moments ou trouvailles intéressantes.

Et ce nouveau disque alors, au titre si riant ? Et bien pas besoin de l’écouter dix fois pour en saisir les qualités : les mélodies sont soignées tout comme les orchestrations. Harvey a ce don d’instaurer des ambiances folk et post-rock mémorables. C’est le genre de disque qu’il fait bon d’entendre en contemplant ses cheveux blancs dans la glace, un verre de vin canaille et sur le fruit à 30 balles la quille dans la main. C’est de la musique de vieux en somme, et j’interdirais à mes gosses d’y jeter une oreille : qu’ils continuent à écouter Naps et Gims avant de tomber de l’autre côté du miroir. Bien malin qui pourra dire si I Inside The Old Year Dying rejoindra Stories From the City, Stories From the Sea ou Let England Shake dans les chefs d’œuvre de Polly Jean mais qu’importe, les occasions d’entendre de beaux disques se font plutôt rares. Romain Flon 

Billy Woods – Maps / Kassa Overall – Animals

Mood : Quand Pharoah Sanders, William Burroughs ou Aphex Twin veillent sur le hip-hop.

J’ai remarqué que le public rap était vraiment très intransigeant, un peu comme dans le metal d’ailleurs. Si tu ne connais pas la date de naissance de Nas, le casier judiciaire de Suge Knight ou le nombre de tatouages de Lil Wayne par cœur, tu n’as pas le droit d’en parler. Alors autant être honnête, même si j’écoute cette musique depuis près de trente ans, je ne connaissais pas Billy Woods ni Kassa Overall. Le premier a déjà près de 20 ans de carrière, cache son visage et serait plutôt à ranger du côté des MCs sérieux à qui on ne l’a fait pas, courant intègre à la Company Flow. Le second n’est pas non plus un perdreau de l’année et a longtemps été batteur de jazz, a collaboré avec le fils Coltrane ou Das Racist. Et les deux anciens ont pourtant chacun sorti parmi les meilleurs albums rap de l’année. Sur « Maps », un disque un peu trop long, encensé par Pitchfork et composé avec le producteur de L.A. Kenny Segal, Woods œuvre dans le rap canal historique pas fait pour les rigolos. L’écriture est léchée, ça parle de William Burroughs, ça se permet de sampler le #2 d’Aphex Twin sur Babylon By Bus ou de partir dans le free-jazz sur Blue Smoke.

J’avais longtemps entendu parler de la série Atlanta de Donald Glover et quand je m’y suis enfin mis j’ai été charmé par ce psychédélisme noir-américain qu’on pourrait facilement rapprocher de l’afrofuturisme (voir l’indispensable numéro spécial de Gonzaï sur le sujet). C’est immédiatement ce à quoi m’a fait penser l’album « ANIMALS » de Kassa Overall. La folie mystique du spiritual jazz se mêle au hip-hop de Quasimoto (Ready to Ball), il y a de la soul psyché et le meilleur morceau que Frank Ocean n’a pas sorti depuis « Blonde » avec Going Up. Et s’il fallait trouver une raison pour cette double chronique un peu boursouflée, les deux ont fait appel aux services du génial Danny Brown au mic, fils siphonné de B-Real et de Rammellzee, avec son flow nasillard « gangster duke ».
Emmanuel Jean

Natural Wonder Beauty Concept – Natural Wonder Beauty Concept

Mood : Le duo composé d’Ana Roxane et de DJ Python ne fait pas dans l’Eurodance.

Ça se fait rare les duos de stars de nos jours. Quand j’étais enfant, celui entre Stevie Wonder et Paul McCartney passait de partout, même si avec le recul, cet Ebony and Ivory était un peu gênant et vraiment pas terrible au regard du CV des deux musiciens. Ici, les artistes en question n’ont clairement pas la notoriété de little Stevie et du fab four. Leur association suscite pourtant d’emblée la curiosité. D’un côté, la Californienne Ana Roxane est une habituée de NTS et a publié en 2020 un album immaculé d’ambient « Because Of A Flower ». De l’autre, le new yorkais DJ Python, avec son blaze à balancer de l’EDM de supermarché et s’émerveiller devant les éliminations du PSG en Coupe d’Europe, a plutôt choisi de faire dans le mélange osé entre reggaeton et IDM. Après leur rencontre à NYC en 2020, ils ont choisi de faire de la musique ensemble en plein COVID.

Ils ont bien fait et ont choisi le nom de Natural Wonder Beauty Concept. Pour leur premier album enregistré entre le studio du boss de Kranky Brian Foote à L.A. et Brooklyn, ils ont opté pour une electronica sensible marquée par les sorties Warp du début des années 90 et portée par la voix d’ange de Roxane. Ici du Autechre autotuné (Sword), là de la drum’n’bass mélodique (Natural Wonder Beauty Concept), ou de la pop électronique de haut niveau (Driving) entrecoupés de phases plus contemplatives. DJ Python se prête même au chant sur un exercice périlleux de witcho-trap à la Salem (III). C’est un disque électronique où la froideur laisse place à la pureté, une forme de sérénité qui illustrerait parfaitement une balade dans le metaverse si c’était un endroit cool. Emmanuel Jean

HiTech – Détwat

Mood : Pour ceux qui ont gardé une âme d’enfant.

Je ne sais pas si vous avez déjà vu le film musical de Michael Jackson, Moonwalker, de 1988. Je veux dire, en entier. Pour ma part, j’étais dans un état un peu fébrile – dû à une nuit agitée – lorsque j’ai entrepris de me taper ce monument de la pop culture. Je ne l’avais jamais vu et je n’arrive toujours pas à croire que ce truc ait coûté autant d’argent et soit sorti dans tous les cinémas du monde. C’est le film le plus pété-drogue que j’ai vu depuis longtemps. Il détient une logique de narration absolument débile, confuse et absurde, propre aux dessins animés pour les tout-petits. Oui : Moonwalker c’est la rencontre entre T’choupi et 2001, l’Odyssée de l’espace. Et c’est une sacrée expérience. J’aimerais vous en dire plus, mais c’est très compliqué à pitcher. Le long métrage – quasi expérimental dans sa forme – mélange les extraits de concert et des scènes de fiction sans queue ni tête, monté de façon totalement anarchique.

On observe Michael en concert avec des inserts d’images épileptiques où se mélangent le King of Pop avec le Pape, JFK, les Jackson Five, la bombe atomique, Gandhi, des enfants éthiopiens en train de souffrir de malnutrition, Pepsi Cola, etc. Le tout avec une esthétique qui est clairement inspirée de la propagande fasciste – mais pop. Et il y a cette scène, juste après, où Jackson est poursuivi par des personnages en pâte à modeler et donc lui-même se change ensuite en lapin en pâte à modeler dégueulasse afin de leur échapper. Il monte dans une fusée, il s’envole et voilà. Quelle dinguerie ! Et vers la fin, Michael joue au ballon en riant comme un con avec trois petits enfants : une fille blonde, un Afro-Américain et un métis asiatique. Ce casting n’est évidemment pas dû au hasard, car Jackson se voyait comme le gourou unificateur de tous les peuples du monde, une philosophie complètement weird. Ce n’est pas un hasard non plus, si le gamin aux traits asiatiques est en fait le tout jeune Sean Lennon – la symbolique, le king of pop, toussa. Bref, tout ce petit monde joue au ballon dans la prairie et ils perdent le ballon. Alors ils vont le chercher et – tout d’un coup, mais VRAIMENT – ils se retrouvent dans une caverne dont ils actionnent une porte cachée grâce à une statue d’araignée. Et ils entrent ensuite dans… Oh ! mec, j’arrête là. Si vous aimez les trucs pétés comme Moonwalker, la pop culture, les vaines – mais attendrissantes – tentatives d’imagination du futur, je vous recommande ce disque de HiTech. C’est le renouveau de la gettotech de Detroit, ça rape des trucs débiles avec des voix trafiquées, ça va dans tous les sens et très très vite – compter 170 BPM. Ce gros weirdos de Michael aurait adoré. Gerard LOVE

Lispector – The Return Of The Old Flame  

Mood : Le secret le mieux gardé de la pop française depuis Jenifer.

Le Lofi, ça n’a plus vraiment lieu d’être en 2023. Avec tout ce qu’on peut faire avec un simple ordinateur aujourd’hui, enregistrer sur un 4 pistes au son pourri c’est vraiment une démarche de poseurs fils d’ophtalmo. Lispector aka Julie Sarlat, elle était là depuis le début. A partir de 1996, elle publie dans une certaine confidentialité de la pop qui souffle ce qui ferait d’elle une sorte de nièce bordelaise de Daniel Johnston, en jouant toutefois aussi avec The Go! Team ou Petit Fantôme. Il faudrait aller plus souvent sur Bandcamp, elle y a publié une grosse partie de son imposante discographie qui permet de constater l’évolution de sa musique.Depuis une quinzaine d’années, le son y est bien plus travaillé même si on reste quand même loin de « Dark Side Of The Moon ».

Tant mieux diront certains, son album « Small Town Graffiti » de 2019 était une merveille de pop naïve et enjouée. Elle a sorti récemment et discrètement « The Return Of The Old Flame » dont la seule description disponible est qu’il s’agit de chansons écrites et enregistrées à Bruxelles entre 2000 et 2022; ce qui est un écart assez conséquent. Là encore, on est au-delà de la simple synth-pop sympathique. Elle compose de vraies chansons (Do You Happen ?, The Runners, Self Driving Car, Interesting Facts) qui mériteraient vraiment de dépasser le cadre des seuls initiés. On n’a quand même pas grand-monde en France capable d’écrire des pop songs comme ça. Emmanuel Jean

Les quarante ans de PIAS

Mood : pour s’ambiancer en marcel filet de pêche dans une cave humide entre potes.

On peut affirmer sans prendre de gros risque que la période post punk a été la plus féconde de l’histoire musicale de ces soixante dernières années avec l’âge d’or de la fin des Sixties, son prolongement new-wave ayant bizarrement moins la cote. Probablement la faute aux synthés omniprésents qui déplaisent aux puristes même si Duran Duran a dorénavant autant droit de cité que Wire. Rétrospectivement, tout y était : les mélodies, l’attitude, l’ambigüité, le goût du beau après les régressions punks.

Le label belge PIAS – initialement Play It Again, Sam, un acronyme apocryphe du film Casablanca – fête ses quarante ans cette année et publie pour l’occasion autant de maxis emblématiques : soit des débuts du label pour certains comme Skinny Puppy, The Neon Judgement, à :GRUMH, Meat Beat Manifesto soit plus récents avec les rééditions de Tiga ou Junior Jack notamment. Si le label belge représente aujourd’hui des artistes aussi différents que les Pixies, Agnes Obel ou Black M, son tropisme EBM et industriel a fortement marqué ses débuts. Le fait d’écouter ces maxis nous ramène à une époque plus audacieuse sur le plan musical, où les fans de Cabaret Voltaire ne se seraient jamais compromis en écoutant Iron Maiden ou Michael Jackson. Il s’est passé autant de temps entre l’apogée de la carrière de Fréhel et les premières sorties du label qu’entre ces dernières et la période actuelle : c’est peu dire qu’on s’ennuie sec depuis vingt ans. Romain FLON

Decisive Pink – Ticket To Fame 

Mood : Plutôt que la guerre froide, la Russe Kate NV et l’Américaine Dedadoorian ont préféré faire de la cold wave (enfin presque).

Il y a une certaine pop que j’ai toujours du mal à définir. Les Anglais parlent de leftfield dans ce cas-là, quand ils ne savent pas ce que c’est. Le projet Decisive Pink se situe dans ce créneau. Ce serait une forme d’art rock à la Talking Heads mais avec une forte influence japonaise courant city pop ou Yellow Magic Orchestra. C’est expérimental mais aussi très fluo et électronique. Derrière tout ça se cache un autre duo composé de la russe déjà bien connue Kate NV et de l’Américaine Deradoorian qui a œuvré chez Dirty Projectors. Au lieu de se castagner comme Rocky Balboa et Ivan Drago, elles ont préféré sortir un disque ensemble après leur rencontre. C’est plutôt un monde synthétique naïf aux couleurs criardes où l’on se sent bien avec quelques petits tubes de pop électronique (Ode To Boy, Dopamine), des effluves fourth World (Destiny) avant de se terminer sur des plages ambient (Dusk) même si ça vrille un peu par moment (Potato Tomato).

Ça ne doit pas être évident d’être une artiste russe en ce moment. En se permettant une variation de l’hymne à la joie toujours sur Ode To Boy, Kate NV prouve clairement, et s’il en était besoin, qu’elle n’est pas une grande fan de Vladimir Poutine. Je ne suis pas super calé en pop russe mais sa compatriote Kedr Livanskiy vient aussi de sortir un EP de drum’n’bass (« K-Notes ») chantée dans « la langue de Tolstoï ». C’est assez surprenant au départ mais ça vaut le coup d’écouter. Emmanuel Jean

6 commentaires

  1. vous pouriez pas paser l’annonce et boycotter discogs!!!!!! au hazard zam zam la boum start 59eu monte a + de 2ooe un maxi de new beat souvent proposé sans pochette originale!!!!!

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