Il y a 30 ans,  PJ Harvey écrasait ses lèvres sur une vitre comme un fruit trop mûr sur la pochette de « Dry ». Elles semblent s’être aujourd’hui asséchées et « I Inside The Old Year Dying », dixième album en date, laisse filtrer un autre chant que celui du désir et de l’amour. Ce chant murmuré, dorénavant, c’est celui du manque. Au risque de déboussoler ses fans.

L’artiste de 54 ans n’a plus les mêmes préoccupations que celle qui, dressée sur ses vingt et un ans furieux, surgissait de nulle part, du Dorset, avec quelques démos de chansons écorchées. Polly Jean n’est plus dans l’urgence depuis longtemps, elle tisse une discographie éparse, elle écrit, elle coud sans doute, à la chaleur d’un âtre de campagne. Á cet âge, on n’est plus vierge folle, bassin en avant à secouer sa guitare à tout vent.

Crédit : Christophe Poot

Échapper à la caricature, esquisser des chemins de traverse, entretenir des brasiers, écrire et penser, repliée sur ses foyers, c’est ce que nous propose PJ Harvey dans ce nouveau disque méditatif et champêtre. On s’y ennuie? Oui, parfois. On regrette la foudre des débuts, la rutilance criarde de « Rid of Me », on cherche la mélodie fédératrice et sexy qui la caractérisait si bien, le “who the fuck” foutraque qui excitait mâles et femelles. Pour un temps, peut-être longtemps, Polly Jean ne nous entraîne plus dans une impasse sombre pour relever sa jupe et provoquer ce violent désir “rock&roll”. C’est passé, tout ça. Les chansons, à présent, s’égrainent comme on prépare un plat du dimanche, dans l’intimité et la confidence. C’est une oraison en partie chantée en dialecte gaélique, comme s’il fallait draper le texte dans un voile de mystère. C’est lent, c’est presque une messe. Une messe pour soi, dans une chapelle avec des ex-voto glanés ça et là, qui dessine en creux la silhouette d’un enfant.

 

White walking

Le manque, le silence, la marche, l’introspection. Depuis “White Chalk” au moins, tout ce blanc, tout ce vide envahit la discographie de Polly. C’est cet inédit, Nina in Ecstasy, qui met la puce à l’oreille. Cette comptine cruelle, cette voix asexuée qui psalmodie “Where’s your mama gone?” résonne comme un aveu, et l’orgue rachitique qui l’accompagne comme un poumon qui s’essouffle donne le ton à ce qui suit. Les escarpins rouges sont dans l’armoire, la pythie de feu couve un brasier autrement plus intense que tout ce cirque. C’est le brasier de l’enfant absente, qu’on rejoint dans la chambre d’écho, qu’on dessine à la craie blanche et qui s’enfuit effrayée d’avoir déjà 54 ans. Un fantôme? sans doute. Un désir d’enfant inassouvi qui s’incarne dans des chansons? Peut-être.

Cette enfant seule, qui explore les carrières blanches de Corscombe à côté de la maison familiale, Polly la sauvageonne, elle se cristallise tout entière dans les chansons de « I Inside the Old Year Dying ».
Les réminiscences de l’enfance, des promenades en campagne, des cimetières visités, des après-midis chez la grand-mère affluent tout au long de cet album à la fois intense et sourd, têtu et fermé, intègre et personnel. Il n’est adressé qu’à elle, dans une attitude un peu minérale de l’artiste qui sait très bien ce qu’elle veut, et qui se préoccupe assez peu de laisser des auditeurs sur le bas-côté. On y croise les camarades John Parish et Flood, capables d’orner chaque soupir de Polly, d’anticiper ses volontés et ses extrapolations lunaires dans les moindres clair-obscurs. Elle, cette sœurette qu’ils couvent jalousement depuis plus de trente ans, a besoin de cette assise attentive et fraternelle pour donner au plus près, au plus sec, au plus décharné. Deux frères, une gamine fluide et revêche, du bruit, de l’espace et la vie qui palpite. Un gang, une histoire commune qui soude comme les doigts d’une main.

A noiseless noise

Bruits blancs. Seule concession à l’électricité, le disque se clôt sur un morceau qui saille et qui râpe, qui montre que ce calme intérieur affiché n’est pas si désarmé qu’il n’y paraît, que les guitares silencieuses sont juste déposées jusqu’aux prochaines véhémences.

L’apparence, une fois de plus, n’est qu’un costume de scène. Polly Jean, même ceinte d’une couronne de fleurs et vêtue d’une robe blanche, reste farouche et prête à ferrailler.

PJ Harvey // I Inside The Old Year Dying // Partisan Records

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