Annoncée voilà quelques jours, la nouvelle n’a – été oblige – pas fait grand bruit. Après cinq ans de bons et loyaux services pour une culture alternative en plein centre de Paris, l’équipe à la tête de la Gaîté Lyrique s’est faite expulser pour cause d’uber-hipsterisation d’un public dont la Mairie de Paris ne voulait plus. Peu importe que le lieu soit installé à cheval entre le Marais et le onzième arrondissement (temple de la culture bobo pour reprendre les arguments pro-provinciaux du FN), le centre culturel initialement consacré aux arts numériques et aux musiques actuelles servira désormais de QG pour les abonnés CSP+ de Télérama avec – dixit un ancien membre de la Direction, un peu amer – « de la musique contemporaine et du théâtre ». Pas vraiment l’idée qu’on se fait d’une factory warholienne capable de rivaliser avec Londres, Berlin ou Barcelone.
Si cet exemple est ici donné alors qu’on est censé faire la promo du nouveau lieu éphémère ouvert par le Collectif Mu, c’est parce qu’il illustre bien la gentrification en cours à Paris depuis plusieurs années ; et comment les minorités se voient repousser aux périphéries de la ville, qu’il s’agisse de l’Olympic Café, du 6B à Saint Denis ou encore – tiens tiens – du Garage Mu dans le quartier de la Goutte d’or. Pour contrer l’inflation du festif consistant à foutre un Dj-laptop analphabète face à trois greluches pour éviter les procès pour tapage nocturne, la bande MU s’est volontairement délocalisée dans une ancienne friche industrielle SNCF, là où logiquement l’herbe n’aurait pas dû repousser. 400m2 qui brûleront tout l’été avec une programmation déviante telle qu’on n’en verra jamais sur les Champs Elysées. Après Buvette, Vox Low, Crackboy ou le collectif Antinote, les freaks de l’extra-centre lancent le Garage Mu Festival du 21 au 24 juillet avec JC Satan, Headwar, Nova Materia, Volcan, Krikor et quelques autres. Et si comme un Français sur deux tu ne pars pas en vacances cette année, l’interview d’Eric Stil, programmateur du lieu et Serge Kruger de son temps, devrait t’intéresser.
Comment est venue l’idée d’ouvrir La Station ? Pourquoi ce lieu ?
Le lancement de « l’appel à manifestation d’intérêt » de SNCF Immobilier correspondait à une période de transition pour le collectif : après quelques années passées au Garage MU en parallèle aux festivals et aux autres projets qu’on a proposés, on avait envie d’expérimenter de nouvelles choses. Donc l’idée d’avoir un lieu plus grand, avec de l’espace pour réunir toutes les dynamiques du collectif, ça faisait point de jonction et ça tombait au bon moment. Pour le lieu lui-même, on l’a choisi parmi ce que proposait la SNCF pour ce côté « enclave » dans un quartier plutôt industriel, son look aussi tout simplement, le fait que ce soit une ancienne boîte de nuit africaine… et pour toutes les connexions que cela nous permettait d’envisager avec ce territoire.
J’ai cru comprendre que l’ouverture n’avait pas été de tout repos. Quels genres d’emmerdes avez-vous rencontré ?
Vu de l’extérieur, ça peut paraître simple d’ouvrir un espace en plein air : ça ne l’est pas tant que ça, car il y a tout un tas de règles à respecter, de contacts à suivre, etc. Surtout, on envisageait au départ d’ouvrir simultanément l’extérieur et l’intérieur de La Station. Dans les délais impartis, ce n’était pas loin d’être infaisable, ou alors dangereux pour l’ensemble du projet. On a donc choisi de changer notre fusil d’épaule, de se concentrer en premier lieu sur les concerts, de faire une sorte de festival ininterrompu et en plein air. Une fois ce choix fait, les choses sont allées hyper vite : des collectifs nous ont filé un coup de main pour la construction et la scénographie et tout était prêt pour le week-end d’ouverture. Maintenant que le lieu est lancé, on cherche toujours des moyens pour la suite : que ce soit pour les aménagements à faire à l’intérieur, et pour ouvrir notre programmation progressivement à des propositions autres que des concerts. Ca va commencer dès cet été.
J’ai longtemps blagué sur la notion « d’extra-centre », à l’époque où tout se passait intra-muros à Paris. Sauf que c’est de moins en moins le cas. Ouvrir La Station aux portes de Paris, était-ce un manifeste clair dans vos têtes ?
Oui c’était une partie intégrante du projet, que d’aller se confronter à une zone urbaine moins centrale, d’amener les gens à se déplacer dans des lieux où ils n’ont jamais mis les pieds. Ca fait partie de l’expérience globale qu’on avait envie de présenter. C’est un peu moins le cas aujourd’hui, mais déjà avec le Garage MU en plein quartier de la Goutte d’Or, on avait des gens qui rechignaient un peu à venir jusqu’à nous ! Alors que maintenant, ils sont prêts à nous suivre jusqu’à Porte d’Aubervilliers !
Puisqu’on parle de la mairie de Paris, tiens, recevez-vous le soutien de qui que ce soit sur ce délire estival ?
Il y a la SNCF qui nous suit dans la conduite du projet, mais pas de façon financière, et le Point Ephémère qui nous a filé un bon coup de main pour le début du projet. Ensuite du côté institutionnel, on travaille sur un accompagnement pour la partie résidences d’artiste que l’on souhaite développer. Mais en gros, le lieu fonctionne de façon indépendante : à savoir avec le bar et la billetterie.
« Les petites boîtes à sardines, les fumoirs de la mort, les consos hors de prix, les mauvais sound systems et les gens qui te traitent comme de la merde, il y a eu tellement d’abus du côté des tauliers parisiens que les habitudes ont changé ».
Quelle différence entre votre festival du 21 au 24 juillet et la programmation de la Station tout l’été ?
C’est assez simple : le Garage MU Festival c’est tout ce qu’on apprécie, condensé en quatre jours. C’est la musique qui a signé l’identité du Garage MU depuis 2012, avec les artistes que l’on suit depuis longtemps, que l’on connaît bien pour certains d’entre eux. Avec cette volonté de mélanger les genres, ou de faire appel directement à des groupes qui mélangent eux-mêmes les registres. Côté été, on se renouvelle, on tente de nouvelles collaborations, on fait appel à des collectifs que l’on connaissait moins bien. Parce que l’idée n’est pas d’avoir une programmation monolithique avec du Garage MU partout, mais plutôt d’offrir l’opportunité à des petites organisations de faire leurs projets, dans des conditions que l’on juge plutôt saines est accueillantes.
Pour finir, quelle évolution vois-tu sur les soirées parisiennes depuis 5 ans, dans les habitudes et comportements des fêtards qui aiment voir des concerts ? Aux extrémités du spectre festif, Le Baron et la Miroiterie ont fermé, L’international est devenu un piège à con, et même Le Cabaret Electrique de Kiki Picasso a semble-t-il fermé ses portes. Ca fait quand même beaucoup de négation et hormis la réouverture de l’Elysée Montmartre (dont on se cogne) peu d’affirmations positives, non ? Luttez-vous, à votre manière, contre la muséification de la culture à Paris ?
Tu parles de trucs défraichis depuis longtemps… Sur la carte des bons spots, il y a quand même l’Olympic Café qui reste une excellente salle pour écouter du rock, comme le Chinois à Montreuil, et La Mécanique Ondulatoire. Mais ce qui est intéressant quand tu fidélise les gens avec une programmation de bonne qualité, c’est que tu as affaire à un public exigeant, qui ne se laisse pas raconter n’importe quoi. Les petites boîtes à sardines, les fumoirs de la mort, les consos hors de prix, les mauvais sound systems, et les gens qui te traitent comme de la merde… il y a eu tellement d’abus du côté des tauliers parisiens que les habitudes ont changé. Paris n’est pas grand, les gens sont prêts à bouger pour qu’on leur raconte autre chose. On peut aussi citer le nouveau projet Halle Papin du Collectif Soukmachine, la programmation vivifiante du jeune collectif Hydropathes pour le festival Bellastock sur canal de l’Ourcq ou la constance de collectifs électros comme Microclimat qui organisent régulièrement des free parties dans les parcs de la Capitale… La meilleure réponse à la muséification de Paris, c’est peut-être cette forme nouvelle d’activisme de l’éphémère qu’on a déjà vécue au début des années 90 – portée par de nouveaux modes de communication : Newsletters, SMS et Facebook ont remplacés les flyers DIY, les consignes diffusées sur la bande FM par les radios libres et les infolines téléphoniques ! Mais cela rend aussi les projets plus événementiels et donc plus fragiles, notamment vis-à-vis des pouvoirs publics ou dans leur relation aux territoires et aux habitants : ces chers voisins avec qui il faut toujours compter… C’est justement cela qu’on souhaite questionner à la Gare des Mines si on nous laisse le temps d’installer quelque chose sur deux ou trois ans. Ce qui n’est déjà pas beaucoup mais ça laisse le temps d’expérimenter des projets artistiques hors-les-murs, en relation avec le quartier, histoire de faire connaissance et pourquoi pas de transformer un peu les choses pour rendre ces projets artistiques un peu moins « hors sol ».
https://www.mu.asso.fr/station/
29, avenue de la Porte d’Aubervilliers, 75018 Paris
Ouvert du mercredi au dimanche avec des projections cinéma plein air, des jeux, des ateliers, des pop up stores, un tournoi de ping pong… Et le Garage Mu Festival du 21 au 24 juillet avec